Donc le porte-avions Charles de Gaulle a appareillé de Toulon avec à son bord 26 avions de combat : 18 Rafale des Flottilles 11F et 12F et 8 Super Étendard de la Flottille 17F.
Ce n’est sans doute pas le point que la communication des Armées a envie de mettre en avant, mais il faut bien noter qu’à quelques mois de sa retraite française, le bon vieux Super Étendard est encore apte à partir en guerre !
Entré en service en 1978, le monoréacteur a donc largement dépassé les 35 ans de service. Sa genèse est particulièrement intéressante puisqu’il n’est, en fait, qu’une évolution de l’Étendard IV, conçu dans les années 50. Pour preuve, ses trois prototypes étaient des Étendard IVM (n°68, 18 et 13) modifiés. Si on parle du vol inaugural du 28 octobre 1974, il serait plus juste de parler du premier vol de l’Étendard IVM n°68 en « configuration Super Étendard. »
Et ce n’est donc que le 24 novembre 1977, avec le premier vol du premier exemplaire de série, que le Super Étendard décolle véritablement.
L’avion fait une entrée tonitruante dans l’histoire en 1982, lorsque les avions livrés aux Argentins marquent au fer rouge la Royal Navy. 5 avions, 5 missiles Exocet livrés, deux navires anglais coulés, un destroyer type 42 utilisé comme « piquet » radar et un cargo chargé d’hélicoptères lourds, deux pertes inestimables. Si les Argentins avaient eu l’idée d’attendre d’avoir leur dotation complète avant d’envahir les îles Malouines, l’histoire aurait sans doute été très différente.
L’année suivante, 5 Super Étendard sont prélevés et prêtés à l’aviation irakienne. A partir du mois d’octobre 1983 et jusqu’au mois de juin 1985, ces avions sèment la terreur parmi les navires venus s’approvisionner de brut iranien dans le Golfe Persique. Quatre avions seulement sont finalement restitués, le SUE n°67 ayant été perdu, pour des raisons encore peu claires, le 2 avril 1984.
Pour les avions français, le temps de l’action est venu plus tard, mais il a été intense et continu sur une période extrêmement longue.
La première opération a lieu le 22 septembre 1983 au Liban où deux patrouilles sont catapultées du Foch pour bombarder des pièces d’artillerie Druzes qui avaient durement frappé la « Résidence des Pins », l’Ambassade de France à Beyrouth. C’était la première mission de guerre de l’aéronavale française depuis la fin de la guerre d’Algérie et la première partant d’un porte-avions depuis les opérations de Suez, 27 ans plus tôt. Une autre mission se déroule ensuite le 16 novembre, en rétorsion à l’attaque suicide du « Drakkar » où 58 soldats français ont perdu la vie.
Au milieu des années 80, les porte-avions français Foch et Clemenceau assurent de longues missions aux abords du Golfe Persique pour assurer la protection des approvisionnements pétroliers et maintenir une présence à proximité de l’Iran tandis que Paris est ensanglanté par une série d’attentats à la bombe commandités par Téhéran.
A partir de 1993, les deux vaisseaux français se relaient dans l’Adriatique dans le cadre du maintien de zones d’exclusion aériennes en ex-Yougoslavie. En août et septembre 1995, après les massacres de Srebrenica, l’Otan passe à l’action et la Flottille 11F participe aux mission « Deliberate Force » contre le siège de Sarajevo mené par les Serbes de Bosnie. Lorsque les Serbes lancent ensuite une offensive majeure contre le Kosovo en 1999, les Super Étendard de la 11F sont à nouveau mis à contribution. Ils effectuent lors de cette opération 412 sorties et larguent 215 bombes.
A partir de 2002, les avions français sont engagés en Afghanistan à partir du Charles de Gaulle, dans le cadre de l’opération « Héraclès ». La première bombe française à tomber sur les talibans venait d’un avion de la 17F, une BLU 111 larguée le 5 mars 2002. Les SEM, Super Étendard Modernisés, sont revenus opérer contre les Talibans à plusieurs reprises, en 2004, 2006, 2007 et 2008 et enfin en 2010 et 2011.
En 2008, plusieurs SEM opèrent depuis la base de Kandahar. Ils arborent pour l’occasion une livrée grise basse visibilité.
En 2011, alors que le porte-avions et son Groupe Aérien Embarqué viennent juste de rentrer de leur dernière mission afghane, ils sont très rapidement réactivés pour participer aux opérations contre la Libye lors de l’opération « Harmattan ». Et là encore, les SEM s’illustrent vaillamment.
Choyé par ses mécanos capables de lui assurer une disponibilité ahurissante alors que la maintenance est parfois faite dans des conditions très difficiles, il a effectué des milliers de missions de guerre et d’entraînement sans jamais faillir, sans jamais trahir ses pilotes.
Le vieux soldat a tout fait : attaque anti-navires, reconnaissance, attaque de précision, mais il a aussi une mission secondaire indispensable grâce à son bidon de ravitaillement en vol. Il a surtout été chargé longtemps de la mission la plus sensible de l’aviation française, avec la dissuasion nucléaire puisque le Super Étendard a dans son arsenal le missile ASMP.
Si les premières années de service en France ont été marquées par plusieurs accidents mortels, il reste sans être impliqué dans un drame pendant 20 ans puisqu’on ne dénombre aucun pilote tué à ses commandes entre la mort du commandant de la 11F François Barthès lors d’un appontage de nuit le 17 juillet 1988 et la collision en vol des SEM 38 et 49 le 1er octobre 2008 qui a causé le décès de Sébastien Lhéritier, également de la 11F.
20 ans sans drame alors que l’avion a été utilisé avec intensité et dans des conditions terribles comme seul l’aviation embarquée peut connaître, c’est là qu’on juge qu’un avion est bien conçu, bien entretenu, bien piloté. Cependant, il faut noter qu’en 1993, un mécanicien a été tué par le départ accidentel du siège éjectable dont il assurait la maintenance, un drame qui s’est répété en 2007.
Dans l’histoire de l’aviation française qui sera écrite plus tard, il n’est pas certain que cet avion se taille un long chapitre, et pourtant ses pilotes, ses mécanos ont fait que cette machine directement héritée des années 50 a servi les ailes française comme peu l’ont fait avant lui.
Au cours de sa très longue carrière, le Super Étendard a toujours été relégué au second plan, même pour les passionnés les plus connaisseurs. Jusqu’en 1999, son compagnon d’écurie, le terrible F-8 Crusader lui volait la vedette sans remord. Et lorsque le vieux Vought a terminé son immense carrière, c’est le jeune Rafale qui captait déjà les feux de la rampe.
Pourtant, sur le plan opérationnel, il a été l’avion sur lequel il fallait compter pour le sale boulot en dépit de ses défauts comme son cockpit étroit et son confort très relatif. Pourtant lors des opération en Afghanistan, des missions d’environ 6 heures ont été effectuées (temps limité par la nourrice d’huile de l’appareil). Les pilotes racontent qu’apponter après une telle épreuve est un moment qui confirme que l’aviation embarquée « c’est pas un sport de masse ! »
L’avion est aussi limité par ses capacités d’emport mais la précision de la guerre moderne fait qu’une bombe guidée laser, parfois une seule, peut faire la différence et s’avérer décisive. A ce petit jeu là, les marins et leur avion rustique ont souvent montré qu’il n’avait à rougir devant personne.
A quelques mois de sa retraite, il ne restera alors qu’une poignée d’avions aux couleurs de l’Argentine, le SEM est donc reparti au combat, un dernier baroud.
Il ne fera sans doute pas les gros titres des journaux, même spécialisés, mais il ne faudra pas oublier, le moment venu, de rappeler qu’il a été un vrai guerrier. Il faudra compter les missions de guerre, le nombre munitions délivrées, les heures de vol et les appontages. Mais il faudra surtout que les pilotes racontent ce qu’ils ont vécu à son bord car c’est une part essentielle de l’histoire de l’aéronautique française dont ils ont été les acteurs.
Excellent Fred je connaissais pas ton site !!!!!
Merci Eric !! et bonne(s) lecture(s) alors !!
Très bel article, bel avion !! Bravo