Facteur de risques important, l’intrusion sur piste, généralement commise par étourderie ou manque de respect des procédures par un véhicule ou un aéronef, est un des problèmes que doivent prendre en compte les contrôleurs aériens dans leur gestion du trafic au sol. Les incidents sont fréquents mais, heureusement, généralement sans conséquence. A Gisborne, au nord-est de la Nouvelle-Zélande, les contrôleurs de cet aérodrome régional, en plus des aéronefs et des véhicules, devaient aussi composer avec un autre type de matériel fréquentant leur piste : les trains !
En effet, caractéristique assez rare, la piste 14-32, a la particularité d’être traversée par une voie ferrée, laquelle était utilisé jusqu’en 2012 par la liaison Palmerston North-Gisborne, via Napier et Wairoa. Si, depuis 2001, cette ligne était devenue à usage fret uniquement, elle était ponctuellement utilisée pour des voyages touristiques avec de splendides locomotives à vapeur, et le passage sur l’aérodrome était souvent l’occasion de faire quelques photos rares et exceptionnelles, immortalisant cette rencontre du ferroviaire et de l’aérien.
Désormais la liaison en train entre Napier et Gisborne est suspendue, l’opérateur ne souhaitant pas remettre en service une partie de la ligne très endommagée par une tempête, des discussions sont toutefois en cours pour sa réouverture, les arguments économiques et touristiques ayant été largement mis en avant. En attendant, les contrôleurs sol ont un trafic de moins à gérer.
Aussi étrange que cela puisse paraître, mais ce cas de figure, où une ligne ferroviaire traverse une piste aéronautique, n’est pas unique. Beaucoup plus près de chez nous, deux exemples se rapprochent un peu de la situation de l’aérodrome de Gisborne.
En bordure de Beauce, à Châteaudun, l’actuel Élément Air Rattaché 279 – rattaché à la Base Aérienne 123 d’Orléans-Bricy – spécialisé dans le stockage longue durée du matériel de l’armée de l’air, en particulier les aéronefs, était relié au réseau ferroviaire par une desserte particulière. Une ligne, ouverte en 1883, permettait de rejoindre Châteaudun à Orléans. Juste à la sortie de la ville, un embranchement rejoignait l’aérodrome.
Déferré lors d’une réfection importante de la route nationale 155 dans les années 2000, et sur une large portion au sein de la base, cet embranchement desservait le dépôt à carburant et traversait donc un des taxiway principaux. Il existe peut-être des photos s’approchant de celles prises en Nouvelle-Zélande, mais le trafic ferroviaire militaire ne devait pas fréquemment offrir ce genre d’opportunité.
La ligne reliant Châteaudun à Orléans resta ouverte au trains de voyageurs jusqu’en 1943. Elle est aujourd’hui largement déferrée mais une partie est toujours utilisable pour le fret agricole entre Châteaudun et Luz-en-Dunois. Après l’embranchement de Patay, elle rejoignait la ligne Chartres-Orléans et, longeant la base de Bricy, une desserte permettait l’acheminement de wagons -citernes jusqu’au dépôt de carburant, néanmoins sans empiéter sur les installations aéronautiques.
Mais l’exemple le plus marquant de tous est l’aérodrome du Touquet. Sur la vue aérienne, on voit parfaitement l’ancienne voie ferrée traverser le bout de l’ancienne piste 25 avant de virer vers la gauche et traverser le parking avion où les rails sont encore présents.
Dans les années 50, l’aéroport du Touquet était le terminus des trains « Flèche d’Argent » qui partaient de la gare du Nord. Les passagers étaient déposés directement sur le parking avion et pouvait embarquer, sans perdre de temps, à bord de leur avion en direction de l’aérodrome de Lydd, à 70 km environ, juste de l’autre coté de la Manche. Là, un service de bus permettait de les acheminer jusqu’à Londres. Cette ligne aéro-ferroviaire a été active de 1956 à 1981 et a compté jusqu’à 14 allers/retours par jour au pic de son activité.
La revue Historail évoque l’histoire de cette ligne peu banale dans son numéro de janvier 2011 avec une couverture véritablement spectaculaire montrant un train RGP, Rame à Grand Parcours, passant devant un Herald de la compagnie British Island Airways..
On retrouve des « aérodromes ferroviaires » à plusieurs endroits sur la planète, en voici quelques exemples notables :
Manacara se trouve sur la côte orientale de Madagascar. Cette piste est traversée par une ligne ferroviaire toujours active, reliant le port de la ville à la cité de de Fianarantsoa.
Au Pakistan, la même situation pouvait se retrouver sur l’aéroport de Peshawar, dans le nord du pays dont la piste 17-35 est coupée, au sud, par la ligne ferroviaire qui reliait la ville à Landi Kotal via la passe de Khyber. Autrefois fréquentée également par un train touristique, le Khyber train safari qui tirait profit jusqu’en 2006 des paysages extraordinaire des montagnes du pays, cette ligne est désormais fermée à la suite de la mousson de 2008 qui a emporté un pont qui n’a jamais été reconstruit et, même si les photos disponibles du Google Earth sont assez peu précises, elle pourrait avoir été déferrée sur la partie à l’ouest de la piste. Désormais, les avions peuvent donc fréquenter l’aérodrome sans craindre de croiser la moindre locomotive.
Au Royaume-Uni, un autre site présentait également des caractéristiques proches.
Sur l’aérodrome de Filton, à une quinzaine de km au nord-est de Bristol, une voie ferrée traversait le taxi-way qui reliait la piste à l’important parking sud. L’ancien site de la Bristol Aeroplane Company, où furent produits en masse les fameux Bristol Fighter de la première guerre mondiale et les Blenheim, Beaufort et Beaufighter pendant la seconde, ancienne base de la RAF, devenu propriété de BAE Systems a été fermé à la circulation aérienne a la fin de l’année 2012. Triste destin pour un site qui vit se dérouler la partie britannique de la production et des essais en vol du Concorde.
La voie ferrée était celle de la ligne, désormais inutilisée aussi, reliant la ville d’Avonmouth à Londres.
L’ancienne base de la RAF près de Ballykelly en Irlande était également dans ce cas. La ligne ferroviaire reste active, mais l’aérodrome est fermé depuis 1971. Cependant, le 29 mars 2006, les pistes ont retrouvé leur vocation lorsqu’un Airbus A320 d’Eirjet assurant un vol de Ryanair à destination de Derry s’est posé là… par erreur ! En effet, lors de l’approche effectuée en visuel, l’équipage a confondu l’ancien aérodrome militaire avec l’aéroport situé à moins de 10 km de là. Effectivement les pistes principales sont à peu près sur le même axe et orienté de la même façon, mais ça n’excuse pas tout ! Et encore heureux qu’ils n’aient pas croisé un train sur la piste ce jour-là !
A Wynward, au nord de la Tasmanie, la piste 05-23 était coupée dans sa partie nord par une voie ferrée. L’arrivée d’un train était alors signalée par des feux clignotants et avait pour conséquence d’interdire les atterrissages face à l’ouest à ce moment-là. Finalement, vers 2000, la piste est raccourcie et le seuil de piste décalé pour supprimer les contraintes liées au passage des trains. Une décision et des travaux rendus inutiles très peu de temps après puisque la voie ferrée fut désaffectée en 2003. Quand on regarde son parcours, essentiellement côtier, on se dit que le voyage devait valoir le coup d’oeil !
Autrefois, une des pistes de l’aérodrome de Mascot près de Sidney en Australie avait une piste traversée par une voie ferrée. Le 18 juin 1950, un DC-3 en train de rouler de nuit vers la piste télescopa un train de marchandises constitué de wagons à charbon heureusement vides qui passait alors sur l’emprise aéronautique. L’avion fut endommagé, le co-pilote blessé, et le train dérailla partiellement. En conséquence, la voie ferrée fut déviée. L’aérodrome prit de l’expansion puisqu’il est aujourd’hui le Kingsford-Smith Airport, l’aéroport international de Sidney.
L’aéroport de Gibraltar est déjà assez atypique avec une route qui traverse la piste. Lorsqu’un avion doit atterrir ou décoller, le trafic piéton et automobile est stoppé avec des barrières. Autrefois, une ligne de chemin de fer, aujourd’hui totalement démantelée et dont le tracé n’est même plus visible dans la ville, passait là aussi.
D’autres exemples peuvent être cités comme celui de Bari, en Italie, dont une piste était coupée par une ligne de tramway jusqu’à la fin des années 50 ou le Tomahawk Airport au bord du fleuve Wisconsin, aujourd’hui définitivement fermé, dont le bout de piste était aussi coupé par une voie ferrée active. Au final, il semble que la cohabitation entre les trains et les avions sur ces différentes plateformes se soit toujours bien déroulée et que la collision de Sidney soit restée unique dans l’histoire.
Aujourd’hui, de nombreux aéroports disposent d’une liaison ferroviaire dédiée, et, heureusement, aucun architecte ne s’aviserait de faire cohabiter directement les deux modes de transports, mais aucun ne se permettrait de faire l’impasse sur leur interdépendance. D’ailleurs, les connections privilégiées entre le ferré et l’aérien sont presque aussi vieilles que l’aviation elle-même puisqu’on se souvient qu’en 1909, à l’occasion de la Grande Semaine d’Aviation de la Champagne, qui fut le premier et un des plus grand meetings aériens de l’histoire, on construisit une voie ferrée spéciale pour acheminer les centaines de milliers de spectateurs venus assister à ce spectacle alors sans pareil, celui des fous volants et leurs machines bizarres !
Mais aujourd’hui, de tous ces aérodromes où ces deux modes de transport se côtoyaient de très près, seul celui de Madagascar continue a être fréquenté simultanément par les trains et les avions, en attendant peut-être, que les pistes de Gisborne puissent permettre d’immortaliser un jour une nouvelle rencontre entre un Warbird et une loco à vapeur ! Même si ça rajoute un peu de travail aux contrôleurs aériens !