Cette vidéo, impressionnante, a largement fait le tour du web. Elle montre un CL-415 effectuer un largage sur un camion accidenté, une intervention peu banale pour un appareil normalement spécialisé dans la lutte contre les feux de forêts. Comme souvent, la date et les circonstances de cet évènement sont mal connus ce qui autorise toutes les supputations et les commentaires infondés.
Mais un élément s’impose comme une évidence : un Canadair blanc et rouge appartient forcément à la flotte gouvernementale de la Province du Labrador et de Terre Neuve au Canada.
Au début des années 80, la Province passa commande auprès de Canadair de 5 avions CL-215 pour succéder aux Catalina utilisés pour protéger les immenses forêts du sud-est du pays. Avec un schéma de décoration spectaculaire blanc rouge et vert, extrêmement visible, ce qui n’est pas inutile dans ces régions et pour ce genre de mission, ils sont parfois surnommés affectueusement les « petits pois-carottes ».
En octobre 2009, le Labrador and Newfoundland Aviation Services se porte acquéreur de 4 Bombardier 415 pour remplacer ses CL-215. En mars 2014, deux avions supplémentaires sont achetés, le premier étant livré le mois suivant et le deuxième en septembre 2015. Pendant la saison des feux, les appareils sont prépositionnés sur les aérodromes de Wabush et Goose bay au Labrador, Deer Lake, St John’s et Gander à Terre-Neuve. Aujourd’hui, la flotte de la province compte 5 appareils car le 3 juillet 2013, le C-FIZU « Tanker 286 » a été accidenté juste après un écopage sur le lac Moosehead. Par chance, l’équipage s’en est sorti sain et sauf mais l’avion a été irrémédiablement perdu.
La vidéo en question a été tournée juste quelques jours après.
Le 30 juillet 2013, une niveleuse était en train de travailler sur une portion de la Trans-Labrador Highway à quelques dizaines de km à l’Est de Churchill’s Falls. Longue de 1200 km, cette route permet, en arrivant du Québec, de rejoindre Goose Bay depuis Labrador City en passant par Churchill Falls, puis d’atteindre Red Bay après avoir traversé Cartwright junction, Port Hope Simspon, Mary’s Harbour puis Lodge Bay. Cette dernière partie est nommée Labrador Coastal Drive. Après Red Bay, la route retourne vers le Québec par Blanc-Sablon. Elle permet des liaisons entre ces villes qui autrement seraient totalement isolées, car, entre-elles, il n’y a rien d’autres que des lacs et des forêts. Cette route est soumise à de très fortes contraintes climatiques tout au long de l’année et doit être entretenue en permanence.
C’est la mission qu’avait reçu le conducteur de cette niveleuse. Alors qu’il était en train de réparer un virage, un camion de transport, chargé d’alcool, percuta son engin. Dans cette partie de la route, extrêmement isolée, les secours ne peuvent vraiment pas intervenir dans l’instant. Comme le camion prenait feu, que son chargement était inflammable et que le risque incendie de cette journée était extrêmement élevé, les services forestiers décidèrent de faire décoller immédiatement un bombardier d’eau.
D’après la presse locale, c’est le conducteur de la niveleuse qui a extrait le jeune chauffeur du camion accidenté, bien avant l’arrivée du Canadair. Blessé, bien que sans gravité, il fut conduit à l’hôpital le plus proche, c’est à dire celui de Goose Bay, à plus de 200 km du lieu de l’accident.
L’avion, le CL-415 Tanker 287 C-FNJC a décollé de sa base habituelle de Goose Bay et s’est présenté après seulement quelques minutes de vol, bien plus rapidement que ne l’aurait fait le moindre camion de pompiers. L’équipage a écopé sur un lac sans nom tout proche puis a effectué au moins deux largages, au moussant, sur l’épave du pauvre camion en feu.
C’est là qu’un témoin immobilisé par les véhicules accidentés a filmé cette scène impressionnante et spectaculaire.
L’objectif était d’éviter la propagation du feu à la végétation alentour. Au cœur de l’été, un départ de feu important peut prendre des proportions catastrophiques très rapidement. Bien sûr, l’utilisation d’un Canadair au cours d’un accident de la route a de quoi surprendre, mais finalement, étant donné les circonstances et le contexte local, elle est tout à fait logique. En cas de développement libre du sinistre, entre les coûts financiers de longues et pénibles opérations de lutte contre le feu et le coût écologique d’un tel désastre, et même si l’heure de vol d’un CL-415 n’a rien de bon marché, grâce à une analyse pertinente de la situation, les forestiers ont pris la décision la mieux adaptée à la situation et ont sans doute sauvé des ressources naturelles précieuses.
Merci à John Letto, chef pilote du service aviation du gouvernement du Labrador et de Terre Neuve, pour son aide dans la rédaction de cet article.