Si la famille Canadair, par ses différents avatars, CL-215, CL-215T et CL-415, en attendant le CL-415EAF et le futur CL-515, représentent les avions phares de la lutte anti-incendie au Canada et en Europe, il est un pays, les USA, durement touché par les feux, où cette famille d’appareils n’est pas parvenue à s’imposer en dépit d’une présence remontant à des décennies et des grands espoirs de ses constructeurs. De nombreux facteurs opérationnels, structurels et économiques expliquent cette déception.
Lorsque Canadair lance son CL-215 à la fin des années 60, il ne fait guère de doute que le marché américain fait partie de ceux visés par la firme canadienne. Les feux y sont nombreux et les avions convertis pour lutter contre eux montrent leurs limites. Un avion spécifiquement conçu pour cette mission devrait pouvoir trouver là des débouchés commerciaux importants. Cette réflexion n’avait rien d’utopique, puisqu’un certain nombre d’opérateurs exploitaient alors des PBY Catalina, c’était le cas notamment de la société Flying Firemen ou de Hemet Valley Flying Services en Californie, mais pas seulement, et que le CL-215 visait clairement la succession de ces appareils.
Une des premières présences attestées du CL-215 aux USA, remonte au mois de septembre 1970 lors du feu dans les Laguna Mountains. Les Avenger, les Tigercat et les B-17 Tanker de l’époque furent cloués au sol certains jours en raison du vent. La firme canadienne envoya là bas un des premiers CL-215, au titre de démonstrateur, mais sans convaincre. Doit-on y voir un signe, mais au lieu de promouvoir l’utilisation du nouvel appareil, les feux de septembre et octobre 1970 servirent de point de départ pour la création des plateformes MAFFS de l’US Forest Service.
A plusieurs reprises, au cours des années 70 et 80, les avions du gouvernement de Québec traversèrent à nouveau la frontière sud de leur pays pour aller intervenir ponctuellement à la demande de collectivités locales d’Arkansas, de Caroline du Nord et du Sud, de Floride, du Maine, du Tennessee ou de Virginie.
En 1979, deux CL-215 se posèrent à Los Angeles et participèrent pendant quelques semaines aux opérations contre les feux, mais l’expérience ne fut pas poursuivie en raison du coût de ces appareils.
En 1993, de gros feux éclatèrent à nouveau autour de la mégapole californienne. 500 maisons furent détruites et les dégâts se montèrent à 1 milliard de Dollar. Les moyens du CDF et les avions fédéraux s’avérèrent dépassés ou pas assez nombreux, le comté de Los Angeles, qui administre un territoire une surface de 12 300 km2 et près de 10 millions d’habitants, de Long Beach sur la côte sud à Palmdale aux portes du désert, décida de prendre les choses en main et demanda au Québec de lui fournir deux avions. Ce sont deux CL-215T qui arrivèrent pour renforcer les moyens locaux, constitués d’hélicoptères bombardiers d’eau.
A partir de 1995, ces avions font l’objet d’un contrat de mise à disposition entre septembre et décembre, période calme pour feux dans leur Province d’origine. Ces contrats, d’une durée de cinq ans ont été reconduits à échéance de façon systématique et les CL-215T ont laissé la place désormais à des CL-415.
Ce contrat est un accord gagnant-gagnant. Le Comté de Los Angeles dispose alors de deux avions avec de bonnes capacités, pouvant écoper notamment sur le front de mer et sur quelques plan d’eau à l’intérieur des terre autour de l’agglomération de Los Angeles. Pour le Québec, les deux avions peuvent aussi servir pour l’entraînement et la formation des équipages dans une région où les conditions météo sont favorables au vol plus de 300 jours par an.
Dans les années 90, ce contrat a néanmoins fait l’objet de contestations des opérateurs locaux car ces avions sous contrat constituaient une concurrence directe pour leurs entreprises de travail aérien. l’AAF, Associated Aerial Firefighter Association, qui avait fait plier l’USFS et l’USAF sur l’emploi des MAFFS était une fois de plus en première ligne. Plusieurs opérateurs, dont les PBY Catalina commençaient à avoir du mal à trouver des missions, faisaient valoir que leurs appareils étaient mieux adaptés que les avions canadiens et moins chers. Néanmoins, le L.A. County Fire Department ne plia pas et les Canadair restèrent.
Ces contrats restent néanmoins onéreux (2 000 000 USD environ pour la saison 2017) ce qui peut expliquer que le LACoFD a même envisagé un temps d’acquérir un CL-415 en propre. En octobre 2015 pour la toute première fois, la flotte sous contrat a été portée exceptionnellement à quatre avions ; les évènement de ces dernières semaines sembleraient montrer qu’une initiative de ce genre mériterait d’être renouvelée !
L’expérience acquise par le LACoFD eu au moins pour conséquence d’inciter également la ville de San Diego, en octobre 2017, lors des grands feux de l’automne dernier, à émettre une demande équivalente vers le Québec et obtenir ainsi la présence de deux CL-415 pour la protection de la ville et de ses alentours immédiats.
L’expérience américaine du Canadair ne se résume pas seulement aux opérations canadiennes en Californie.
En 1999, la Division of Forest Ressources de Caroline du Nord achèta le CL-215 msn 1008 auprès du Québec. Immatriculé N215NC, le bombardier d’eau opéra régulièrement depuis sa base d’Hickory. L’avion est arrêté de vol en 2008 et radié en 2011.
De son côté, dans le Minnesota, un secteur où les lacs sont nombreux, le Department of Natural Resources s’offrait deux CL-215 d’occasion en 2001 portant les numéros de coque 263 et 266. Ces deux appareils sont revendus en 2015 pour être remplacé par des Air Tractor. Entre temps, outre les opérations dans leur État d’origine, ils ont été envoyés pour des missions ponctuelles en Alaska (en 2004) ou dans l’Arizona (2005).
La société Aero Flite de Kingman dans l’Arizona acheta trois CL-215 (1081/262 1090/264 et 1103/267) auprès de la Province de l’Ontario en 2001. Ces appareils sont remplacés par quatre CL-415 flambants neufs, parmi les derniers produits en 2015-2016 par Bombardier (2089, 2092, 2093 et 2095, Tanker 260 à 263.)
Face aux difficultés des années 2000, après le bannissement de nombreux types d’appareils en 2004, l’intérêt de l’avion écopeur sembla revenir au sein de l’US Forest Service.
Un premier rapport est publié en décembre 2007 portant sur la stratégie d’équipement de la flotte fédérale avec l’objectif de développer la flotte des Large Air Tanker à partir de 2008 pour atteindre 32 appareils en 2018. Selon ce plan, les effectifs des avions écopeurs devraient être de 2 à 3 appareils, pas plus, selon l’argumentation suivante : « Les appareils de type 3 (CL-215, 215T, 415 ou FireBoss) ne peuvent égaler les avantages de vitesse, de capacité et de rayon d’action des appareils de type 1 et 2.«
Un nouveau plan fédéral est ébauché en 2014 s’appuyant sur la présence dans la flotte de la société Aero Flite des quatre CL-415 neufs.
Un programme d’évaluation opérationnelle sur quatre saison fut engagé et les appareils concernés firent l’objet de contrats spécifiques. Deux se retrouvèrent sous contrat exclusifs et basés à Lake Tahoe Airport à la frontière entre la Californie et le Nevada, avec le lac Tahoe comme point d’écopage reconnu. Il faut dire qu’avec ses 30 km de long et 20 de large, il s’y prête tout à fait. Les deux autres avions furent sous contrat d’activation à la demande (Call When Needed).
La première leçon de cette évaluation a surtout démontré à quel point ces avions étaient coûteux : pour la saison 2016, le N389AC était loué 54 246 USD par jour auxquels s’ajoutaient 9 247 USD par heure de vol. Bien évidemment, l’explication au prix à la journée est l’amortissement nécessaire des investissements consentis pour l’achat d’un avion neuf, bien plus onéreux par nature que les machines d’occasion converties
De fait, la comparaison avec les autres appareils en service n’est clairement pas en faveur de l’avion canadien surtout quand ses coûts sont mis en regard d’autres appareils achetés d’occasion :
En 2016, le DC-10 N522AX était loué 28 387 USD par jour plus 13 005 USD par heure de vol en contrat exclusif. Son homologue N612AX, en contrat Call When Needed était activable moyennant 54 128 USD par jour et 8 058 par heure de vol. Plus modeste par ses capacités, bien que disposant d’un réservoir de retardant de 7000 litres, le P2V Neptune Tanker 43, alors au crépuscule de sa carrière, opérait moyennant 18 387 USD et 8 495 USD par heure de vol.
Contrairement à l’Europe ou à certaines Provinces canadiennes où les moyens de lutte anti-incendies relève des moyens nationaux, les sociétés de droit privé intervenant dans ce domaine aux USA se doivent d’ être très regardantes sur le coût d’acquisition de leurs moyens afin d’être compétitives lors des appels d’offres pour les contrats saisonniers.
Néanmoins, ce n’est pas parce que les avions écopeurs sont onéreux, en neuf comme d’occasion, que leur mission n’est pas considéré comme importante. Mais d’autres moyens sont mis en œuvre pour l’accomplir.
Dès les années 80, les hélicoptères bombardiers d’eau commencèrent à se développer, équipés de réservoirs sous-élingue et de soutes spécialisées et se montrèrent à leur avantage. Pouvant recharger leurs moyens d’extinction dans des points d’eau de faible taille et de faible profondeur, totalement inaccessibles aux voilures fixes, ils pouvaient ainsi opérer au plus proche des feux. Dans certains cas, il est même possible d’acheminer des berces remplies d’eau ou de retardant pour alimenter les hélicos au contact du feu. Leur productivité est donc égale, voire supérieure, à celle d’un avion écopeur. La taille de ces hélicos n’a, de plus, cessé d’augmenter, comme leurs capacités d’emport.
Aujourd’hui Aircrane et CH-47 Chinook ont des capacités d’emport équivalentes aux tanker de type I (3000 gallons) soit une fois et demi la capacité d’un Canadair, environ, avec une souplesse d’emploi inégalable, un cout d’achat faible et des coût d’exploitation équivalents.
Pour les CL-415, ces hélicoptères sont de redoutables concurrents. A titre d’illustration, en 2016 le CH-47D N947CH, était loué en contrat exclusif par l’USFS pour la somme de 28 800 USD par jour et 7 394 USD par heure de vol.
En ce qui concerne les performances, avec une capacité théorique de 12 998 litres et une vitesse de 130 kt en croisière, ce CH-47D n’a pas à rougir face au 150 kt et aux 6200 litres d’un CL-415.
Mais un des freins plus étonnant à l’expansion de l’emploi des avions amphibies est venu, assez récemment et de façon très paradoxale, des mouvements environnementaux et écologistes, notamment en Californie où la préservation du patrimoine naturel est devenu un enjeu sociétal et politique majeur.
En Europe, les amphibies écopent au plus près du feu à traiter en fonction de facteurs habituels, opérationnels ou météorologiques, en privilégiant les points d’eau douce pour préserver l’outil de travail. En Californie, pour éviter que des espèces endémiques d’un lac n’aillent perturber les espèces endémiques du lac d’à côté, les avions ne peuvent utiliser qu’un nombre limité de points d’eau et avec la consigne de ne pas changer de point d’écopage sans repasser par un aérodrome pour le rinçage de la coque. Pour des raisons de même ordre, le nombre de lacs autorisés à l’écopage est également limité, pour les régions où ce genre de point d’eau existe, bien évidemment.
Ainsi les avions opérant à Los Angeles n’ont que trois points d’écopages possibles. : Le littoral, mais où la houle peut être forte et l’eau salée attaque les avions, ce qui oblige à des rinçages de précaution précis au retour du vol, le lac Castaic, une retenue d’eau pour un barrage située au nord du secteur, au-dessus de Santa-Clarita, et le Santa Fe Dam recreationnal Aera, une autre retenue d’eau de seulement 1200 mètres de long.
Les deux Canadair québécois à l’écopage en août 2015 sur le Santa Fe Dam, le bonheur pour un spotter !
Même si le rapport final de l’évaluation opérationnelle des Canadair d’Aero Flite a reconnu que ces appareils, lorsqu’ils étaient utilisés à proximité de plans d’eau permettant des rotations rapides, étaient viables, la comparaison avec les hélicoptères de type 1 a entraîné la relégation des deux avions sous contrats exclusifs à des contrats CWN. Néanmoins, la saison 2018, violente et mortelle, a vu ces avions être utilisés parfois intensément, notamment autour de Los Angeles et de Malibu.
Un autre facteur semble devoir être pris en considération : Si, en particulier en France, l’utilisation conjointe de plusieurs avions de ce type va de soi, il n’en est pas de même outre Atlantique.
Une vision stupéfiante pour un californien et une façon d’opérer inconnue là-bas, mais pour des raisons logiques.
La noria, qui permet à chacun des intervenants de profiter de l’efficacité du largage précédent pour augmenter l’effet du sien ne peut s’envisager qu’avec un nombre important d’avions, l’unité de base française étant souvent de quatre appareils en patrouille, ou avec la proximité immédiate du plan d’eau écopable.
Or, l’action simultanée de plusieurs avions est un concept peu mis en œuvre aux USA où les Tanker doivent être pris en compte par un Lead Plane et où les écopeurs ne sont pas assez nombreux pour permettre ce genre d’action. D’autant plus que la taille du théâtre d’opération oblige clairement un éparpillement des moyens. Là aussi, la notion de coût ne peut être mise de côté. Mais n’est-ce pas une piste à creuser pour les secteurs où ce mode d’action pourrait se révéler décisif, quitte à adapter les modes opératoires ?
Les avions écopeurs n’ont-ils vraiment aucune chance dans l’ouest des USA ? Certainement non, surtout si on en juge la présence grandissante des amphibies FireBoss et si on se souvient que, en 2007-2008, la présence du Martin Mars en Californie avait vraiment interpellé les pouvoirs publics.
Une autre annonce montre que l’intérêt pour les amphibies canadiens n’est pas mort puisque Viking a dévoilé il y a quelques semaines le nom du client pour lequel trois CL-215 série 5 vont être convertis au standard CL-415EAF.
Il s’agit de la compagnie Bridger Aerospace, dans le Montana. Pour le moment la destination de ces avions n’a pas été dévoilée, car on ne sait pas si ces appareils vont viser des contrats locaux ou bien s’aligner pour des contrat fédéraux. Un quatrième appareil pourrait venir compléter cette flotte dont la date de livraison n’a pas été précisée encore.
Culturellement, dans l’ouest des USA, les amphibies ont donc du mal à devenir aussi indispensables qu’ils le sont en Europe, concurrencés par les hélicoptères lourds et ne pouvant atteindre les performances des tankers, notamment en vitesse de croisière, une donnée importante quand on connaît les distances à couvrir. C’est peut-être sur ce dernier facteur que la société Seaplane Global Air Services, qui a commandé 4 Beriev 200 et 6 en options pour des missions feux de forêt peut essayer d’argumenter.
On peut imaginer que lorsqu’il sera officiellement lancé le futur CL-515 sera présenté aux différents opérateurs de bombardiers d’eau aux USA. Si cette nouvelle version ne bouleversera peut-être pas l’échiquier opérationnel local on peut aussi penser que les évènement de cet hiver, les dizaines de morts du Camp Fire, peuvent faire bouger les lignes et que, au niveau fédéral comme au niveau local, un regain d’intérêt pour multiplier les solutions de lutte contre les feux pourrait bénéficier au nouveau venu ! Personne n’aurait à s’en plaindre !
Tres bien ! Le Canadair est juste un outil de plus dans la boite a outils. Il ne fait pas tout… Il convient bien avec des conditions d’emploi: distance ecopage/feu minimum pour un max de largages. Employe en Noria (2, 3, 4) et conjointement aux Helicos. L’eau est efficace pour refroidir voire eteindre puis noyer mais beaucoup de deperdition…d’ou l’interet de la Noria.