L’atterrissage à Roissy du vol AF439 en provenance de Mexico, le lundi 11 janvier 2016 vers 14h00, mettait le point final à une longue histoire d’amour entre une compagnie et un avion aussi emblématique qu’historique. Après plus de 45 ans, il s’agissait du dernier vol commercial assuré pour Air France par un Boeing 747. Le premier avait eu lieu le 3 juin 1970 sur la ligne « star » de la compagnie, entre Paris et New-York.
Sur cette longue période, qui représente plus de la moitié de toute l’histoire de la compagnie, les versions du Jumbo se sont succédé, les 747-100 laissant leurs places à des 200 et des 300 et enfin, à partir de la fin des années 80, aux 747-400.
Avion mythique, reconnaissable entre mille avec sa fameuse bosse, le plus gros des Boeing, dont on ne se lasse pas d’expliquer qu’il a révolutionné le transport aérien, ne pouvait pas tirer sa révérence d’une grande compagnie nationale en catimini.
Début décembre 2015, Air France a donc mis en vente des places pour un vol commémoratif, indicatif AF747, prévu pour l’après-midi du 14 janvier 2015 pour permettre aux passionnés et aux anciens de passer un dernier moment à bord d’une légende de l’histoire de l’aviation. Le succès de l’opération a été indéniable, le standard de la compagnie se retrouvant rapidement hors- service, plus de 30 000 tentatives pour le joindre ayant été comptabilisés ce jour-là. Il y avait donc des dizaines de milliers de volontaires en mesure de dépenser 220 € pour effectuer un tour de France en Boeing 747. Quelques jours plus tard, un second vol fut alors annoncé pour la matinée du 14 janvier, indicatif AF744, et dont les places partirent tout aussi vite.
Bienvenue à bord du vol AF744
Le vol étant annoncé au décollage à 9h00, les passagers étaient invités à se présenter à l’aéroport avant 8h00. Sur les tableaux des terminaux, l’avion était bien prévu à l’heure.
Si au comptoir d’embarquement Air France les équipes étaient prévenues qu’elles allaient avoir des passagers pour un vol à destination de Paris, pour les prestataires externes affectés aux points de filtrage, qui vérifiaient donc les bagages à main et les cartes d’embarquement, la découverte de « fictitious » comme destination a causé quelques interrogations vite levées par les passagers eux-mêmes.
C’est une foule joyeuse et variée qui s’est donc engouffrée dans le F-GITJ à l’heure dite. le temps de s’installer tranquillement, les premiers messages au « public adress » du personnel de bord indiquaient que ce vol ne sera décidément pas comme les autres. Alors que les écrans de l’IFE diffusaient les consignes de sécurité que personne ne suivait vraiment, à plusieurs reprises, la chef de cabine a rappelé que les personnels au sol montés à bord devaient en descendre maintenant pour permettre le décollage. Il ne fait aucun doute que ces passionnés avaient du mal à quitter un avion dont il se sont occupés, aux arrivés et aux départs, pendant des années. Pour eux aussi, c’était aussi un moment particulier teinté d’émotion.
« Pour la dernière fois, PNC aux portes, armement des toboggans, vérification de la porte opposée ». Avec plus d’une demi-heure de retard sur le programmé prévu, le 747 Tango-Juliette est repoussé et mets en route, un à un, ses quatre réacteurs avant de rouler en destination des pistes.
Après un court temps d’attente, l’avion s’engage dans un « rolling take off » très vif face à l’ouest. A la masse au décollage de 286 tonnes, dont 50 de carburant, le 747-400 est très léger, loin des 400 tonnes maximales possibles. Il décolle donc rapidement et grimpe vite dans la couche qui empêcha les passagers d’apercevoir Paris. Un léger virage vers l’Est le vol prit le cap vers les Alpes en grimpant vers le niveau de vol 300 soit 10 000 mètres environ.
A peine les indications « attachez vos ceintures » éteintes que les allées de l’appareil se sont remplies d’une foule désireuse de visiter l’avion de fond en comble.
Pour les PNC, le « cauchemar » commençait. Comment faire circuler dans ces allées les petits chariots chargés de Champagne pour servir des gens qui de toute façon se sont éparpillés dans tout l’avion ?
Quelques messages très amicaux et même rigolards incitèrent les curieux à revenir s’assoir à leurs places. La petite collation servie, aux standards de ce qui est proposé habituellement aux passagers de la classe affaires, était juste parfaite et le Champagne qui l’accompagnait tout à fait délicieux. Un petit assortiments de sucreries dans un sachet estampillé « Fauchon » vint accompagner ces quelques mets. Cette légère collation consommée, à nouveau la foule vint encombrer les couloirs, dans la bonne humeur générale. Quelques hublots accessibles permirent aux photographes frustrés d’être installés dans les rangées centrales de faire travailler leurs cartes mémoires.
Après avoir frôlé les Alpes, l’avion a obliqué vers Marseille puis a survolé Toulouse, la région de Bordeaux avant de remonter vers Nantes. La France étant particulièrement couverte ce jeudi, difficile de profiter du paysage. Mais en arrivant vers les pays de la Loire, la couche nuageuse se déchirant, l’équipage amena son appareil vers des niveaux de vols plus touristiques, afin que les passagers puissent un peu profiter du paysage. Pendant ce temps, le journaliste et pilote émérite Frédéric Béniada, auteur d’un très joli livre sur le Jumbo, racontait au micro l’aventure du Boeing 747 et la grande histoire d’amour entre cet appareil et la compagnie française.
A proximité de Nantes, l’avion se trouvait à environ 25 000 pieds. Rennes fut survolé à 20 000 pieds avant de remonter un peu vers le Mont Saint-Michel, visible pour ceux qui étaient alors du bon côté.
Après la Normandie, l’avion est encore descendu pour atteindre les alentours de 10 000 pieds. Procédure rare dans l’histoire de l’exploitation des avions d’Air France, mais la fin du vol a été effectué en régime de vol VFR, comme n’importe quel avion léger, surveillé attentivement cependant par les contrôleurs aériens. Le trafic à Roissy étant particulièrement dense à ce moment-là, par deux fois l’appareil a dû procéder à un 360° d’attente afin de laisser passer des avions qui, eux, avaient un horaire à tenir. C’est ainsi que ce vol prévu pour durer 2h40 a finalement atteint les 3h20. Une situation qui aurait tendance à tendre les nerfs des passagers en temps normal mais qui, dans ces circonstances, a été particulièrement apprécié par les passionnés.
Puis vint le temps de la descente finale.
Et l’émotion gagna l’équipage qui effectuait son dernier vol sur cet appareil. Il y eu quelques larmes au moment des dernières annonces mais sans que l’ambiance générale n’en soit alourdie.
Le Boeing 747 toucha terre sur la piste 27L de Roissy et le commandant de bord, M. Thierry Mondon, gratifia ses passagers d’un spectaculaire freinage, volets sortis, AF et spoilers en action, reverse à fond, histoire de démontrer que sa monture en avait encore « sous le capot ».
Si le vol était parti de la porte M26 du terminal 2E, le débarquement devait se faire en zone de maintenance pour une courte réception dans les ateliers d’entretien de la compagnie. Après le roulage, juste après avoir coupé une dernière fois les réacteurs, l’équipage a, comme d’habitude, autorisé les passagers à se lever en coupant le signal « ceintures attachées ». Petit soucis, l’appareil n’était pas, alors, vraiment à l’endroit où il devait s’arrêter. En attendant qu’il soit tracté sur les quelques mètres manquants, la chef de cabine fit un appel par le « public adress » assez inédit dans l’histoire de l’aviation commerciale : « Nous ne sommes pas tout à fait à notre point de stationnement, vous demander de vous asseoir n’est pas envisageable, faites très attention à vous ! »
C’est au moment où de la descente du Boeing qu’a eu lieu la seule petite fausse note de la journée. Comme les nombreux passagers étaient attendus dans le hangar juste devant l’avion en pleine zone de maintenance opérationnelle, il n’était pas possible de les laisser gambader autour de l’avion pour faire des photos. Des équipes d’Air France étaient là pour les canaliser et les faire entrer sur le lieu de la réception et si les incitations étaient aimablement faites, il n’a pas été vraiment possible de tirer correctement le portrait de l’avion. C’est dommage, mais surtout extrêmement frustrant.
Dans le hangar, un autre 747 d’Air France, le F-GITD attendait, servant de décor pour l’occasion, accompagné d’un Boeing 777 porteur d’une discrète décoration spéciale. Le troisième et dernier, le F-GITE, était alors en vol, en train d’assurer le vol historique AF747. Après l’intervention de la directrice du centre de maintenance, le PDG de la compagnie, qui avait participé au vol, prit la parole pour expliquer l’attachement de la compagnie à ses Boeing, avant de laisser la foule affamée se ruer vers un buffet très apprécié.
Après la remise du certificat de vol et du « filet garni » contenant quelques « goodies », porte-clef, casquette, autocollant, et un livre sur l’histoire d’Europe 1, partenaire média de l’opération puisqu’un direct a été organisé depuis le AF747 en vol au-dessus de la France, des navettes bus ont raccompagné les passagers jusqu’au terminal 2E par les voies de cheminement en zone aérodrome ; l’occasion de tirer le portrait de quelques avions de ligne sans être gênés par une quelconque barrière et sans avoir besoin d’avoir en poche l’autorisation préfectorale obligatoire pour les spotters à Roissy.
Avec ces deux vols commémoratifs, Air France a réussi une opération de communication importante. Relayé par de très nombreux médias dans le monde et surtout avec un succès public retentissant – n’oublions pas les 30 000 demandes enregistrées au moment de la mise en vente des places – le retrait de service des Boeing 747 à la dérive tricolore n’est pas passé inaperçu. Pour ceux, très privilégiés, qui ont vécu ces derniers instants à 30 000 pieds au-dessus de notre pays, il restera longtemps le souvenir d’un vol à l’ambiance incroyable et d’un moment absolument délicieux. Merci donc à Air France et aux équipes impliquées dans ce projet pour la réussite de cette opération. Et Bravo !
L’avenir des trois derniers 747 d’Air France n’a pas encore été précisé en détail. Le TE a fait, le samedi 16 janvier un court vol vers l’aéroport du Bourget où il est venu se garer devant le Musée de l’Air pour le weekend avant de repartir le dimanche soir à Roissy.
Ainsi de nombreux passionnés ont pu venir visiter une dernière fois le géant des airs. Ils ont ainsi pu faire directement la comparaison avec la première génération de cette famille d’avions puisque le Musée de l’Air présente dans ses collections le Boeing 747-128 F-BPVJ, entré en service à Air France en 1973 et retiré du service en 2000, exposé et ouvert au public depuis sur l’aéroport du Bourget.
Pourquoi retirer absolument,vouloir se séparer d’un tel appareil long-courrier de la circulation aérienne???…
Des avions plus modernes et plus économiques sont arrivés depuis. Mais si AF s’est séparé de ses Jumbo, la carrière du 747 est très loin d’être terminée ailleurs !