La fin de l’aventure Supertanker

Hier, le Boeing 747-400 N744ST a été convoyé depuis Moses Lake (WA) vers San Antonio (TX). Il s’agit de son ultime vol gréé comme avion de lutte anti-incendie après l’annonce de la cessation des opérations et de la liquidation de son exploitant Global Supertanker Services.

La carrière du N744ST comme « pompier du ciel » s’achève.

Le dernier vol du Supertanker de GSS le 28 mai 2021. (capture : FR24)

Le Boeing 747, dont le système de largage venait pourtant de subir quelques améliorations et avait effectué un vol d’essais à la fin du mois de mars autour de Moses Lake, a été vendu et devrait retrouver la configuration cargo qui était la sienne avant de devenir pompier du ciel au début 2016.

Essais en vol et sans doute dernier largage de l’histoire du N744ST le 24 mars 2021. (Capture : FR24)

Le chantier à venir sera donc d’ôter la soute interne et de supprimer les évolutions que GSS avait fait subir à son avion. Le futur exploitant de l’appareil n’a pas encore été dévoilé.

Voici qui clôt sans doute une histoire qui a débuté il y a une vingtaine d’années lorsque chez Evergreen ont été lancées les bases d’un système de largage pouvant être installé à bord d’un Jumbo Jet.

Le deuxième Supertanker d’Evergreen à Chateauroux en 2009.

Tout au long de son histoire, le projet Supertanker a été confronté à des vents contraires. Les expérimentations d’Evergreen avec le 747-200 puis le 747-100 n’ont pas permis à la compagnie de développer son marché et le « shutdown » de 2013 a été fatal.

La reprise en main du concept et le rachat des soutes pour les adapter à un vecteur plus moderne était porteur de grands espoirs et de la première intervention en Israël à l’hiver 2016 à la terrible saison des feux californienne 2020 et ses tristes records, le 747 a apporté une aide qui s’est avéré décisive à de nombreuses reprises.

Mars 2015, lors de l’AFF de Zadar, les congressistes découvrent le projet de relance du Supertanker par GSS.

Est-ce que l’histoire rebondira une fois de plus ? Rien n’est certain. Mais il existe deux soutes de largage pour 747 qui ne demandent qu’à être rachetées et remises en service.

Le complexe système de largage pressurisé conçu par Evergreen à bord du 747-400 de GSS.

Mais la clé est ailleurs, entre les mains de l’US Forest Service et des collectivités américaines qui, seules, peuvent permettre aux entreprises de travail aérien de pérenniser leurs activités car c’est ce n’est pas vraiment sur le plan opérationnel que le concept a péché comme le démontrent parfaitement les DC-10 de la concurrence.

Les DC-10 restent les seuls VLAT en service. (Photo : RAAF)

En raisonnant de façon simpliste, on pourrait penser que les coûts opérationnels du 747 désormais économisés (on parle d’un budget estimé de 50 000 $ par jour + 16 000 $ par heure de vol, il n’y a pas eu de communication officielle du Cal Fire sur ce point) pourraient permettre à la Californie de louer d’autres avions ou permettre d’accélérer le programme des C-130 hérités des Coast-Guard, sauf que ça ne sera pas le cas, au moins pour la saison 2021.

Les C-130 californiens ne sont pas encore dotés de leurs soutes de largage, le programme traîne en longueur pour de sombres motifs administratifs visiblement. (Photo : Cal Fire)

La fin du 747 marque réellement une perte sèche dans les moyens aériens US.  Et se passer d’un outil de cette importance alors que la saison 2020 a vu se dérouler 3 des 5 plus gros feux de l’histoire de l’État est simplement alarmant.

Et en plus il était splendide !

Viking CL-415EAF

Lors du salon du Bourget 2017, Viking Air, qui venait de racheter à Bombardier les droits relatifs à la production des avions amphibies Canadair, dont la production s’était achevée quelques mois plus tôt, affichait ses ambitions pour relancer cette famille d’avions.

Pour promouvoir ses projets, Viking a présenté un de ses CL-215 à Oshkosh (msn 1084 ex-NWT et Buffalo Airways ) en 2019, ici sublimé par une démonstration en vol nocturne. (Photo : Damien Defever)

La première annonce concernait le CL-415EAF, Enhanced Aerial Firefighter. En fait, cette version du Canadair n’est que la « version Viking » du CL-215T. Dans cette optique, la firme relevant du groupe Longview a racheté 11 CL-215 à moteurs à pistons auprès de différents opérateurs et les a acheminé à Calgary.

Une partie des CL-215 de Viking stationnés à Calgary en 2020. (Photo : Google Earth)

Ces appareils des dernières séries construites sont éligibles à la turbinisation ce qui n’était pas le cas des CL-215 dont la France fut dotée, qui relevaient des séries I et II et qui étaient incompatibles avec cette modification majeure.

Le premier appareil à entrer en chantier fut le CL-215 « Tanker 262 » (MSN 1081) qui avait volé pour la Province de l’Ontario puis pour la société Aero Flite.

Trois CL-215 vus en 2019 dans les ateliers de Cascade Aerospace. (Photo : Longview Air Services)

La transformation a été effectuée dans les ateliers de la société Cascade Aeropace, ancienne filiale de Conair devenu indépendante depuis (c’est chez Cascade que furent transformés les deux premiers Q400MR de la Sécurité Civile française en 2004-2005) et qui a fait office de sous-traitant pour le groupe Longview et sa filiale Viking.

Le 10 mars 2020 il fait son premier  vol avec ses nouvelles turbines PW123AF depuis l’aérodrome d’Abbotsford où l’essentiel du chantier s’est déroulé.

Le premier envol du premier CL-415EAF à Abbotsford. (Photo : Viking Air)

Il est ensuite repeint aux couleurs de son nouveau propriétaire, la société Bridger Aerospace, qui en prend possession le mois suivant. Désormais immatriculé N415BT, il est désormais le Tanker 281.

Ce nouveau CL-215-6B11 participe alors aux opérations de la difficile saison 2020 dans le Nevada, où se déroule sa première intervention le 19 juillet sur le Cedar Fire dans la région d’Elko, et dans l’État de Washington.

Quatre Canadair écopant dans le South Fork Dam reservoir dans le Nevada, une vision pas si courante aux USA. (Photo : K. Mita)

Bridger reçoit ensuite son deuxième Canadair, l’ex CL-215 Tanker 263 ex Province de l’Ontario puis de l’Etat du Minnesota (MSN 1082) qui est devenu le Tanker 282 immatriculé N417BT.

En septembre 2020, les deux Canadair de Bridger sont en action depuis l’aérodrome de Yakima (WA) pour opérer sur le Pear Hill Fire, un feu qui a dévoré plus de 90 000 hectares en quelques jours. (Photo : Bridger Aerospace)

Au total, Bridger doit prendre en compte 6 CL-415EAF. Le calendrier précis des livraisons n’a pas été annoncé et peut avoir été perturbé par la crise sanitaire mondiale. Certaines sources parlent d’une opération d’un budget total de 200 millions $ ce qui nous fait une trentaine de millions par avion rénové et remotorisé, un coût qui peut être considéré comme élevé.

Les autres avions sont proposés à d’autres clients, ainsi l’Indonésie qui a signé un protocole d’accord pour la livraison de 6 CL-515 a également opté pour un CL-415EAF livrable en 2021, reste à voir si le calendrier sera tenu.

Le CL-415EAF n’est finalement rien de plus qu’un CL-215T modifié par une nouvelle entreprise. Néanmoins plusieurs évolutions notables sont possibles. Comme les avions éligibles au programme 415AUP (chantier de rénovation des CL-415 sélectionné pour prolonger les avions de la Province du Québec) ils peuvent recevoir la nouvelle avionique sélectionnée par Viking pour les avions Canadair, la Proline Fusion de Collins, constituée d’écrans tactiles de grande taille.

Prévisualisation d’un cockpit de CL-415 upgradé avec la nouvelle suite avionique sélectionnée par Viking. (infographie : Viking Air)

Il fut pressenti un temps que les avions de Bridger auraient pu être dotés de cette option mais les photos diffusées ensuite montrent que si des évolutions de la planche de bord des avions basculés au standard EAF ont bien eu lieu, elles sont bien moins révolutionnaires qu’attendu.

La planche de bord d’un des CL-415EAF de Bridger Aerospace. Un standard intermédiaire entre le CL-215 et le CL-415 de base. (Photo : Bridger Aerospace)

De même, dotée de turbines PW123AF comme les CL-415, la cellule du CL-215 serait tout à fait en mesure de supporter une augmentation de la masse d’eau écopable. L’option avait été également évoquée lors du lancement du projet mais les 5500 litres utilisables par l’ancien CL-215, en deux réservoirs (contre 6200 en quatre compartiments pour la version ultérieure) semblent être suffisants et efficaces pour que cette évolution ne devienne pas impérative. Les CL-415EAF conservent donc les deux grandes portes qui marquent la principale différence extérieure avec le CL-415 de base.

Le Tanker 282 de Bridger au largage montre le lien direct qui existe entre le CL-415EAF et le CL-215, son système de largage en deux réservoirs et deux grandes portes. (Photo : Bridger Aerospace)

Le CL-415EAF n’est pas un concept novateur, le CL-215T ayant depuis longtemps fait les preuves qu’une rénovation complète des « vieux » CL-215 et en les dotant de turbines est une opération qui améliore leur efficacité tout en leur offrant une longévité accrue. Il ne s’agit pas d’une révolution, tout au plus une évolution si on prend en compte l’option de la nouvelle avionique.

Le CL-215T, un concept désormais ancien mais particulièrement efficace comme le démontrent depuis 25 ans les 15 avions de ce type en service au Grupo 43.

C’est surtout pour l’entreprise canadienne l’opportunité de revaloriser une flotte pour laquelle il faudra assurer le maintien en condition opérationnelle (MCO) qui autrement pourrait n’avoir comme avenir que les musées !

C’est peut-être aussi un moyen de préparer l’avenir en créant des processus industriels qui permettront, le moment venu, de lancer et produire enfin le CL-515.

Un des CL-415EAF de Bridger en vol, les bandes blanches sont un hommage aux aviateurs du 6 juin 1944. De façon incroyable, le contraste créé avec le jaune du fuselage rend ces appareils visibles et identifiables à longue distance. (Photo : Bridger Aerospace)

La saison des feux reprend en Australie

Si le pic des feux en Australie ont fait les gros titres en février dernier, avec une émergence de sinistres géants aux conséquences désastreuses, la nouvelle saison est d’ores et déjà lancée et les moyens aériens de renfort arrivent sur place.

Le Bomber 141 de Conair sur l’aérodrome de Bundaberg. (Photo : B. Sutton/ Conair)

L’état du Queensland a loué le premier Dash 8 Q400AT de Conair (même réservoir que les Q400MR en service en France, mais sans aucun aménagement de transport de passagers ou de fret), le Bomber 141 qui a effectué ses premiers largages opérationnels il y a quelques jours.

De son côté, La Nouvelle-Galles du Sud a déjà engagé à plusieurs reprises son Boeing 737 Fireliner acheté l’an passé, revêtu d’une nouvelle livrée.

L’ex Tanker 138 de Coulson en action comme Bomber 210 en Australie. (Photo : M. Oblati)

Toujours pour cet état, six hélicoptères lourds Erickson Aircrane sont en cours d’acheminement. Le premier, le N189AC « Gipsy Lady », qui a fait la saison des feux en Grèce a été livré ce 12 octobre par un Antonov 124 de Volga-Dniepr qui l’a convoyé depuis Athènes.

Déchargement à Sidney de l’Aircrane arrivant d’Athènes à bord d’un Antonov. (photo : C. Matei/ Kestrel Aviation)

Lors de la terrible saison 2019-2020, 17 millions d’hectares avaient été dévastés principalement en Nouvelle-Galles-du-Sud. Outre des centaines de millions de tonnes de CO2 rejetés dans l’atmosphère, ces feux avaient aussi causé plus d’une trentaine de morts dont les trois hommes de l’équipage du C-130 Tanker 134. Le rapport d’étape publié il y a quelques jours ne donne pas encore de cause précise au drame mais aucune défaillance technique de l’appareil n’a été décelée à cette étape de l’enquête.

Ainsi, la nouvelle saison des feux a débuté. Elle pourrait être très longue si on en juge par l’expérience des mois passés et par la situation dramatique de la Californie, où des surfaces record ont encore été dévorées cet été encore. (1,7 millions d’hectares brûlés à ce jour dont plus de 500 000 pour le seul August Fire qui fait rage depuis mi-août). Beaucoup d’avions et d’hélicoptères sont encore engagés dans de durs combats devenant, de fait, indisponibles pour se rendre de l’autre côté du Pacifique. Une situation inconfortable aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Les MD-87 d’Erickson Aero Tanker

C’est en 2013 que la compagnie Erickson Aero Tanker (EAT) fait voler son premier MD-87 modifié pour la lutte anti-incendie. Au mois d’avril, Brent Connor et Doug Griffith, à bord du futur Tanker 101, qui n’était pas encore revêtu de la livrée de la compagnie, effectuent les premiers essais de largages à l’eau. La modification de l’avion a été sous-traitée à une compagnie faisant aussi partie de la holding de Jack Erickson, Precision Aircraft Solutions, également basée à Hillsboro, non loin de Portland, Oregon.

Un des MD d’EAT en cours de conversion, aux côtés d’un 757 que la compagnie transforme en avion cargo. (Photo : Precision Aircraft Solutions)

Le choix du MD-87 est clairement lié aux considérations économiques. Avec seulement 75 exemplaires construits entre 1987 et 1992, la version courte de la famille, prévue pour 114 à 139 passagers n’a clairement pas connu le succès escompté. Au début des années 2000, ces avions quittent donc le service et, peu recherchés, peuvent être acquis à bon prix par les sociétés de travail aérien. Erickson achète donc 7 cellules disposant encore d’un bon potentiel.

Le système de largage est constitué d’une soute pouvant contenir jusqu’à 4000 gallons (15 000 litres) de retardant et d’un système « constant flow » ventral à deux portes ouvert au niveau de l’emplanture de l’aile pour l’évacuation de la charge.

Avant même que les essais s’achèvent et le STC (supplemental type certificate) validé, la compagnie se voyait attribuer un premier contrat pour la saison 2014 pour les Tanker 101 et 105 et une réserve pour le Tanker 103 au cas où sa conversion serait achevée rapidement et qu’il pourrait alors participer aux opérations estivales. Il leur était promis un contrat à 4 000 $ par jour et 7 111 $ par heure de vol effectuée.

Il faut dire qu’après la résiliation unilatérale du contrat des P-3 Orion d’Aero Union en juillet 2011, l’USFS avait besoin de renouveler en urgence ses effectifs et des contrats furent proposés à tous les opérateurs susceptibles de pouvoir fournir à l’organisme fédéral les avions dont il avait tant besoin.

Les deux MD-87 entrent donc en service au début de l’été 2014  mais ils sont retirés des opérations au bout de seulement quelques semaines. Le positionnement des trappes de largages fait qu’une partie du retardant est aspiré par les réacteurs, au risque de causer une double extinction, aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Le Tanker 101 en action au cours de l’été 2014 aux USA. Notez qu’à l’époque les largages s’effectuaient trains rentrés. (Photo : Inciweb)

Ce n’est qu’a l’orée de la saison 2017 qu’un STC amendé est validé et que les avions reviennent en opérations. Le système de largage a été modifié avec un pod ventral permettant de sortir le retardant de la couche limite et de réduire ainsi les risques d’absorption par les propulseurs.

Le Tanker 107 au décollage de McClellan au cours de la saison 2018. Le nouveau pod de largage ventral est particulièrement visible. (Photo : Jim Dunn)

Néanmoins, ce deuxième STC (ref ST14727LA-T) s’accompagne d’une obligation, celle d’opérer trains sortis dès que les volets sont abaissés à 40° ou plus. Visiblement le nouveau pod ventral entraîne un comportement non conforme de l’avion lors du décrochage, ce qui a été constaté lors de ces essais : « Bien que l’avion MD-87 comporte désormais un système d’alerte de basse vitesse (faisant aussi l’objet d’un STC), l’exemption autoriserait l’avion ainsi modifié à effectuer ses largages de retardant dans une configuration qui ne serait pas totalement conforme aux impératifs de caractéristiques de décrochages exigées par la réglementation. »

Erickson a tenté d’obtenir une dérogation, arguant que le travail des pilotes de Tanker est principalement la prévention du décrochage lors de la phase de largage, mais s’est heurté à un refus net de la FAA. Dans un courrier officiel de 2017, Aaron J. Morris, pilote de MD-87 ayant effectué 75% des vols de re-certification du MD-87 après l’ajout du système de largage extérieur confie : « Je pense, qu’en aucun cas, avoir le train baissé n’augmente la sécurité du MD-87 au cours d’un largage sur feu ; Au contraire, ceci nous oblige à effectuer deux actions supplémentaires, le baisser avant le largage et le remonter ensuite, ce qui augmente singulièrement notre charge de travail. »

Pour la FAA il existe des inquiétudes sur le comportement de l’avion en cas de décrochage et il est donc nécessaire de suivre strictement les procédures établies lors de la certification. En l’occurrence, si les volets doivent être descendus à 40° ou plus, afin d’atteindre la vitesse de largage optimale tournant autour de 135 kt, « les trains se doivent d’être abaissés« . L’autre facteur prévalant au maintien de la position de la FAA est que que l’acceptation de cette exemption pourrait créer un précédent juridique dans lequel bien des exploitants pourraient s’engouffrer.

Néanmoins la compagnie EAT semble vouloir poursuivre l’équipement de ses avions de différents systèmes de prévention et d’alerte du décrochage afin de pouvoir convaincre la FAA de lui concéder cette exemption, l’affaire n’est donc pas close.

En attendant les prochains rebondissements de l’affaire, les MD-87 opèrent donc leurs largages trains sortis pour se conformer aux caractéristiques certifiées de ces appareils et pour respecter les consignes claires de la FAA.

Pour des raisons notamment réglementaires, les MD-87 effectuent désormais leurs largages trains sortis. (Photo : Erickson Aero Tanker)

Aujourd’hui, EAT aligne 5 MD-87 et un sixième appareil pourrait être transformé sous peu. Cet été, les 5 avions disponibles sont sous contrat avec l’USFS, en contrat NextGen ou en Call When Needed et opèrent actuellement au Colorado (Tanker 101), en Californie (Santa-Maria pour les 102 et 105, Sacramento McClellan pour le 104) et dans le Nevada pour le 103, mais les appareils peuvent être déplacés en fonction des besoins et même revenir temporairement à leurs bases pour des opérations de maintenance. A noter que ces appareils sont désormais utilisés avec une capacité de 3000 gallons uniquement (11 400 litres).

On se souvient aussi que les Tanker 102 et 103 sont intervenus au début de l’année sur les feux géants qui ont ravagé l’Australie.

Aux côtés des Boeing 747, 737, RJ-85, BAe 146 et autres C-130, les MD-87 représentent donc un autre pan de ces nouvelles générations de Tanker à réaction en action principalement sur le continent américain. La particularité de leurs largages trains sortis ne manque pas d’interpeller les observateurs, leur offrant l’occasion d’échafauder des tas de théories complexes. La réalité est, pour une fois, plus simple, et, plus que les impératifs opérationnels, c’est bien l’aspect réglementaire qui prévaut .

Et faire écoper les Tanker ?

C’est le discours habituel dès qu’on évoque les avions qui se rechargent au retardant : « quelle perte de temps. » Certes ! Mais le discours, pour autant restrictif qu’il soit n’en est pas moins quelque peu logique dans nos contrées où les plans d’eau écopables ne manquent vraiment pas.

Le passage au Pélicandrome, une perte de temps ? ça peut se discuter mais s’en passer avec des avions comme les RJ-85AT, ça va pas être simple !

Mais serait-il envisageable de permettre aux avions terrestres d’écoper, afin de combler cette « lacune » et de profiter de leurs coûts d’exploitation plus faibles que ceux des avions amphibies et avions spécialisés pour améliorer ainsi un petit peu leur productivité  pour peu qu’on oublie que le travail au retardant a aussi son importance ?

L’idée n’est pas si saugrenue. Faire écoper des avions non-hydravions, non-amphibies a même été exploré et expérimenté !

En 1965 l’ingénieur français Roland Payen, célèbre pour son travail sur les ailes delta, avait présenté un projet de perche plongeante pour équiper un Noratlas pour lui permettre d’écoper jusqu’à 8 tonnes d’eau. Le système avait été pensé pour équiper éventuellement le Transall ensuite.

Le Noratlas de lutte anti-incendie avec sa perche d’écopage pensée par Roland Payen. (Dessin : Cyril Defever, extrait du livre de Xavier Capy « Le Noratlas », éditions Escale 1997)

Le projet n’alla pas au-delà de la planche a dessin, le Noratlas n’eut jamais à combattre des feux et quand ce fut au Transall de le faire, il fut doté d’une soute de largage au remplissage conventionnel.

Au début des années 80, la société Britten Norman proposa un avion agricole, le Fieldmaster qui ne connut pas un très grand succès avec seulement une dizaine d’avions construits. Néanmoins au moins un appareil de ce type, le prototype G-NRDC, doté d’une soute de largage de 2000 litres, fut utilisé comme bombardier d’eau dans le département des Alpes Maritimes.

Le prototype du Fieldmaster présenté au salon de Farnborough en 1984 muni de sa perche d’écopage. (Photo : S. Fitzgerald)

Le constructeur en profita pour procéder à des essais d’écopage avec une perche plongeante sans doute inspirée du projet Payen. Au delà de quelques vols expérimentaux, le projet resta sans suite.

Le Britten-Norman Field Master et sa perche d’écopage lors des expérimentations du système dans les années 70. (Photo : DR)

On pensait que ce genre d’idée était désormais remisée mais il n’en est rien. Dans le cadre du développement du C-27J Fire Fighter une startup néerlandaise, Scodev est en train de développer un système d’écopage pour tanker et espère pouvoir le certifier  dès 2020. Son coût final est néanmoins estimé à 1,5 millions $.

Principe d’installation de la sonde d’écopage sur un C-130 Hercules. Document Scodev.

La sonde permettrait de prélever l’eau en volant à environ 30 mètres au-dessus de la surface du plan d’eau écopable. Des essais ont été menés, dans un premier temps, à partir d’un hélicoptère mais le système est pensé pour pouvoir s’adapter à un grand nombre d’appareils dont l’A400M.

Néanmoins la réussite de ce système n’est pas garantie et beaucoup de réticences seront à vaincre… Il faudra sans doute passer par des procédures de sécurité spécifiques sur les plan d’eau – il ne faudrait pas que le système de sonde s’accroche à un obstacle semi-immergé ou bien s’envase. Il faudra envisager aussi des procédures pour pallier un éventuel problème technique. On peut aussi imaginer passer par la mise en œuvre d’un système de flottabilité de secours mais tout nouveau surcoût fait le jeu des « écopeurs » naturels que sont les amphibies ou les voilures tournantes.

Essais de la buse d’écopage Scodev depuis un hélicoptère. (Photo : Scodev)

Faire écoper un avion non-amphibie nécessite donc un équipement spécialisé mais surtout d’inventer des procédures de sécurité. On pourrait imaginer que ces systèmes, si ils parvenaient au stade opérationnel, pourraient concurrencer sérieusement le marché des amphibies spécialisés, beaucoup plus onéreux, à l’achat comme à l’exploitation. Néanmoins il ne faudrait pas oublier que le retardant joue un rôle essentiel dans le combat contre les flammes… et qu’il ne s’écope pas !

Surtout, ces projets ne changeront pas la donne dans les secteurs où les Tankers sont utilisés en raison de l’absence de plans d’eau assez vastes épaulés par les hélicos pour l’attaque directe à l’eau qui trouvent plus facilement de quoi recharger leurs soutes.

Il ne faut guère de surface et de profondeur pour qu’un plan d’eau soit utilisable par un HBE. (Photo : US Navy)

L’histoire de l’aviation regorge de ces projets révolutionnaires. Certains aboutissent, d’autres pas. La réussite du projet Scodev ne passera que par une acceptation pleine et entière des opérateurs et des équipages.

Des Dash 8 pour Conair

Alors que la société Conair vient de livrer le deuxième Dash 8 Q400MRE (pour Enhanced, amélioré) à la Sécurité Civile française le 2 février dernier, appareil accepté au service actif le 24 février, on apprend que l’entreprise canadienne est en train de modifier un autre Q400 en bombardier d’eau pour son usage propre.

Le Dash 8 en version anti-feux de forêt va entrer en service avec un deuxième opérateur après la Sécurité Civile française, Conair, son concepteur.

L’appareil, qui a déjà commencé ses vols d’essais depuis Abbotsford sous l’immatriculation C-FFQF incarne le début de la succession des 6 Convair 580(AT) utilisés par Conair pour ses contrats saisonniers au Canada et aux USA.

Il s’agit du DHC-8-402 msn 4315 construit en 2010. Il a volé immatriculé D2-EUP chez Heli Malongo en Angola jusqu’en 2018 avant d’être stocké en Belgique jusqu’à son convoyage vers Abbotsford.

Le D2-EUP encore aux couleurs de son précédent exploitant photographié en mars 2019 à Calgary (Photo : CYYC Spotters)

L’appareil pourrait ne pas être multirôle comme les appareils français qui disposent de la possibilité d’aménagement intérieurs EVASAN, passagers ou fret et serait uniquement dévolu aux missions anti-incendies bien que désigné Q400MR. Il pourrait entrer en service dès la prochaine saison feu et sera suivi par 5 autres appareils de même type qui pousseront alors les Convair 580 vers la retraite. Il sera équipé de la même soute constant flow de 10 000 litres conçue initialement pour les avions français.

La succession des Convair 580(AT) arrive. (Photo : Inciweb)

Ainsi, en dépit des critiques qu’il connaît dans notre pays, le Q400 pourrait donc voir sa flotte se développer désormais dans son pays d’origine.

 

La fin du Tracker, un crève-cœur !

L’annonce de la fin du Tracker au sein de la Sécurité Civile met un point final à une histoire longue de 37 années de bons et loyaux services. Bien sûr ce parcours n’a pas été exempt de drames, comme on l’a connu encore cet été, mais cet avion, acheté à vil prix pour épauler les CL-215 et les DC-6 au début des années 80 s’est avéré être un des investissements les plus remarquables de l’histoire de l’aviation française.

Bien sûr la turbinisation puis le plan 20/20, leur permettant d’être prolongés d’une vingtaine d’années, ont été couteux mais les services rendus ont été à la hauteur.

Initialement, les Tracker devaient être des avions d’intervention rapides, prêt à décoller sur alerte en complément des Canadair. Leur faible coût opérationnel et leurs performances ont rapidement conduit les équipages à effectuer des patrouilles de Reconnaissance à vue (RàV) rapidement renommées Guet Aérien Armé (GAAr) sur des itinéraires précis afin de pouvoir agir sans tarder sur les feux naissants. Et cette doctrine s’est avérée efficace et surtout décisive. Et l’avion particulièrement bien taillé pour cette mission.

Mais c’est aussi cette adéquation quasi-parfaite de l’avion à sa mission qui est la cause de cette fin précipitée puisqu’il aura fallu plus de dix ans pour trouver un successeur au Tracker tant il était difficile de trouver un appareil rassemblant toutes les qualités du bon vieux Grumman ! Et pendant ce temps, l’avion vieillissait, ses fûts de trains en particulier.

Évidemment, le Dash 8 prend la relève mais la mission va forcément évoluer, les appareils étant pensés différemment. C’est vrai qu’on aurait pu rêver que les Conair Firecat soient remplacés par des Dyncorp Tracker, ce qui aurait été une solution poste-pour-poste évidente, mais il est compliqué de réécrire l’histoire.

Pour moi, c’est un déchirement parce que le Tracker est un avion auquel je suis attaché. C’est l’avion qui a sans doute le plus contribué à mon intérêt pour les appareils de lutte contre les feux de forêt.

Nogent-le-Rotrou, début des années 90, démonstration des nouveaux Turbo-Firecat (Photo : Daniel Marsaly)

Dans un premier temps, c’est l’apparition au-dessus de la maison de mes parents de deux Turbo-Firecat flambants neufs, au début des années 90, lors d’une journée portes-ouvertes à la base de l’UISC n°1 de Nogent-le-Rotrou pour une démonstration feux de forêt qui constitua un premier moment inoubliable et dont je garde précieusement les photos faites alors par mon père.

Nogent-le-Rotrou 2010, le T01 effectue le dernier largage d’un Tracker en Eure-et-Loir.

Les deux étés passés ensuite à travailler à la Grande-Motte m’ont aussi permis de les voir de temps à autres, avec toujours un grand intérêt.

Quelques années plus tard, à la Ferté-Alais, alors que je campais sur place pour suivre les deux jours du meeting, j’ai été convié à visiter le cockpit du Firecat (oui, un Tracker à moteur à pistons peut se poser à la Ferté et en repartir !) par son pilote découvrant par là même sa mission, ses équipages, ce cockpit incroyable avec cette ergonomie étonnante – les fameuses poignées des gaz au plafond –  et surtout ces deux grandes bulles latérales. Ce fut un moment exceptionnel.

Au début des années 2000, ce fut la rencontre avec Bernard Servières, mécanicien navigant, qui m’ouvrit les portes du secteur en 2005 pour un article publié ensuite par Aviation Française Magazine (n°8, février-mars 2006).

Peut-on imaginer meilleur endroit pour faire une photo du T20 rentrant au parking de Marignane que juché sur T2 ?

Dans la foulée Jérôme Laval me fit découvrir le pan américain de l’histoire de cet avion. Deux voyages en Californie me permirent ensuite d’approcher les appareils du Cal Fire dans leur environnement, sur leurs bases de McClellan, Chico, Hemet Valley ou Ramona.

Le Tanker 90 du Cal Fire à Hemet Valley en 2018.

Le fruit de ces rencontres et ces voyages, ce fut le numéro spécial du Fana de l’été 2018 consacré en grande partie à leur histoire.

Comment ne pas citer, du coup, cet après-midi de mars 2019 passé avec « Hirsute » et quelques copains dans le cockpit du T01, un autre très grand moment, et cette très belle démo de « Goodec » qui fut la dernière occasion de mettre des Turbo Firecat en vol dans l’objectif de mon appareil photo.

Largage de démonstration. « Goodec » profite de sa bulle latérale pour vérifier immédiatement qu’il a bien tapé « dans le mille » !

Car vint le drame du T22 dont je fus averti immédiatement par un témoin direct. Un premier coup dur. Puis lorsque le T12 s’est affaissé sur son train à Béziers, on savait que la situation devenait grave étant donné le peu d’intérêt qu’il y avait à faire de « l’acharnement thérapeutique » pour un avion destiné à être, de toute façon, retiré du service dans quelques mois. J’étais heureux d’apprendre, en novembre, la reprise des vols… L’annonce, juste avant les fêtes, de la découverte d’une nouvelle crique ne laissait, dès lors, guère de doute dans l’issue de la crise.

Le T22 en démonstration à Nîmes en octobre 2017.

La fin de service du Tracker en France, qui rappelle un peu la façon dont les Nord 262 ont aussi terminé leur carrière il y a une décennie, est foncièrement injuste au regard de l’histoire du Grumman. Il méritait de survoler les Champs Élysées, d’avoir une cérémonie officielle de retrait et que les avions puissent gagner les musées par leurs propres moyens. Qu’un dernier vol officiel marque la fin de cette histoire !

Les pilotes du secteur n’ont jamais cessé de défendre leur monture, c’est peut-être ce qu’il faudra retenir. Il est impératif de garder en mémoire le travail fantastique effectué au cours de ces 37 dernières saisons feu !

Mon ultime photo d’un Firecat en action. Le T01 quitte le pélicandrome de Nîmes, le 20 mars 2019, vers une première mission d’entraînement solo pour son pilote.

Des Tracker vont continuer à voler sur feux en Californie, peut-être même ailleurs, pendant de nombreuses années, une preuve de plus que dans une mission extrêmement difficile le Tracker a su se rendre indispensable, au point de rendre sa succession tout sauf évidente. Il n’a pourtant jamais été une tête d’affiche mais des avions avec un tel palmarès et une telle longévité, on n’en connaît bien peu.

Quand on s’intéresse aux avions, on peut s’attacher à certains d’eux par leurs hauts-faits d’armes, l’importance de leurs avancées techniques, leur esthétique, leur histoire voire même tout simplement parce qu’on a volé dessus. Le Tracker n’est pas une vedette et son CV n’est pas forcément le plus impressionnant, mais pour qui sait lire entre les lignes, sa longévité comme avion embarqué puis pompier du ciel – il y a t’il des domaines plus exigeants ? – sa bonne bouille rondouillarde mais élégante en ont fait un avion sympathique, attachant. Il est aussi une des illustrations d’un axiome très personnel : seuls les très bons avions peuvent devenir pompiers du ciel.

Une patrouille sympathique qu’on ne reverra sans doute plus. Le meeting de 2016 restera donc la dernière apparition du Tracker à la Ferté-Alais.

Parce que, pour moi, il a aussi été une des machines par laquelle tout est arrivé, j’ai du mal à me résoudre de le savoir cloué au sol prématurément, définitivement, sans nous laisser le temps de célébrer sa grande histoire. Quelle amertume !

CFPA Newsletter December 2019

Voici notre dernière Newsletter.

Et quand j’écris dernière il ne s’agit pas de parler de nouvelle mais bien d’ultime. Après 9 saisons l’équipe mise en place autour de Jérôme Laval (rédac’chef) et de Cyril Defever (graphiste) passe la main à un nouveau mode de communication qui sera mis en place par la Cal Fire Pilots Association dès l’été prochain.

Nous avons fait le choix de ne pas poursuivre l’aventure parce que nos différentes activités personnelles et professionnelles nous obligeaient à faire des choix et de réorienter nos priorités. Nos difficultés à tenir le rythme ces derniers temps étaient aussi le signe d’une certaine usure.

Nous avons animé cette publication pendant presque une décennie avec un résultat dont nous tirons une légitime fierté. Ce travail, qui ne fut jamais facile, nous a offert bien des satisfactions, mais aussi des moments compliqué lorsqu’il fallait annoncer la perte d’un équipage, parfois d’un ami.

Nous avons donc, en particulier, une pensée pour Walt Darran qui fut un de nos soutiens les plus actifs jusqu’à son décès en 2013.

Voilà, nous allons quand même continuer à scruter le monde de l’aviation de lutte contre les feux de l’autre côté de l’Atlantique, parce que c’est aussi une passion, et peut-être, qui sait, l’occasion de se lancer dans de nouvelles aventures se présentera-t’elle de nouveau ?

De son côté 09-27.fr va continuer sa route même si, pour les mêmes raisons, le rythme des publications a sensiblement chuté.

Merci de votre soutien, merci aussi à ceux qui nous ont confié leurs souvenirs et leurs photos

La « NL Team »

La « NL Team » devant l’avion du chef par un petit matin frisquet de Californie en mars 2018. (Photo : Jim Dunn)

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Newsletter December 2019

en lecture à l’écran sur Calameo :

Newsletter December 2019

Sur Calameo, vous pouvez retrouver l’intégralité des 31 numéros que nous avons publié.

Bonne lecture !

 

Australie, saison 2019-2020 : les moyens aériens

Décembre se termine et déjà le bilan des feux de forêt en Australie est terrible. Une dizaine de personnes, dont deux pompiers de Nouvelle-Galles du Sud le 19 décembre, sont morts victimes des flammes. Des milliers d’habitations et de bâtiments ont été dévastés et des surfaces immenses de territoires naturels ont été dévorées. Même si on est encore loin du bilan catastrophique de 2009 et des 173 victimes du « Black Saturday » du 7 février de cette année-là, les fumées qui étouffent Sidney et toute la côte pourraient avoir des conséquences humaines lourdes.

Le Tanker 162 en action en Australie lors de la saison 2015-2016. (Photo : Country Fire Authority)

Les feux de forêts et d’espaces naturels en Australie sont des phénomènes qui ont toujours existé. Ce sont les États de la côte Est, le Queensland, La Nouvelle-Galles du Sud, la Province de Victoria au sud et la Tasmanie et le South-Australia (Australie-Méridionale) dans sa partie côtière qui sont les plus sensibles à ces phénomènes .

Ce sont les régions de l’est et du sud de l’Australie qui sont les plus sensibles aux feux.

Même si la première intervention attestée de moyens aériens pour lutter contre les feux remonte à 1967 dans l’État de Victoria, il ne s’agissait que de deux Piper Pawnee agricoles, aux capacités limitées, envoyés larguer de l’eau sur un départ de feu, en quasi-désespoir de cause, par leur propriétaire. Mais il avait ouvert une voie que ses confrères se sont empressés de suivre.

Pendant plusieurs décennies ce sont donc les avions agricoles et les hélicoptères bombardiers d’eau qui ont assuré l’appui aérien des pompiers confrontés à des feux couvrant des surfaces immenses mais dans des territoires majoritairement déserts. Néanmoins, ces phénomènes touchaient parfois les secteurs habités, menant à de cruelles situations.

Les industriels du secteur ont souvent espéré que les besoins australiens en vecteurs aériens anti-incendies se transforment en Eldorado. Tous vinrent faire la démonstrations de leurs outils, quadrimoteurs Douglas modifiés, plateforme MAFFS, écopeurs Canadair puis Bombardier. En dépit des qualités de leurs produits, aucun ne parvint à ce que les bourses australiennes se délient (1), et pour cause. Les autorités australiennes ont visiblement toujours considéré ces moyens comme peu efficaces et peu adaptés à la topographie des zones à risques qui se caractérisent par de longues distances à franchir et l’immensité des surfaces à défendre.

2009 a tout changé et les moyens aériens australien n’ont cessé de se renforcer à l’aide d’appareils lourds loués aux USA ou au Canada. La saison 2019-2020 a déjà pris une tournure spectaculaire.

Sidney suffoque des fumées des incendies alentours. (Photo : J. Carrett)

Fin décembre, on comptait déjà 3,7 millions d’hectares dévastés dont 2,7 pour la seule Nouvelle-Galles du Sud. Au 19 décembre au matin, 97 feux étaient identifiés dans l’état dont 50 n’étaient pas contenus par les 1700 hommes se trouvant sur le terrain. Ce jour là, en raison des vents forts, deux hommes perdirent la vie dans ce combat.

La carte des feux au matin du 19 décembre 2019 pour la côte du NSW et la ville de Sidney.

Le plus important est un sinistre qui a éclaté fin octobre dans la Gospers Mountain  à 100 km au nord-ouest de Sidney et qui s’est transformé en « méga » feu et on sait qu’il continuera à brûler jusqu’aux premières pluies qui ne sont pas attendues avant fin janvier.

Le rôle des aéronefs, alors, est d’aider à contenir le sinistre, protéger les habitations et offrir assez de temps à la population de se mettre à l’abri.

Comme pour les USA, la structure administrative de l’Australie complexifie quelque peu la compréhension de l’organisation générale des secours. Schématiquement, chaque gouvernement prend en charge cette lutte au sein de son territoire. Les moyens aériens relèvent bien souvent de compagnies privées locales sous contrat avec ces autorités territoriales qui sont le NSW Rural Fire Service pour la Nouvelle-Galles du Sud, le Country Fire Authority pour le Victoria, le Queensland Fire and Emergency Services, le South Australian Country Fire Service et le Tasmania Fire Service.

Néanmoins, en 2003, l’Australie s’est doté d’une agence nationale, le NAFC (National Aerial Firefighting Centre) dont le rôle est de centraliser les demandes d’appui aérien et de promouvoir la coopération entre les différentes agences impliquées. Le NAFC peut louer et activer ses propres moyens et les mettre à disposition des agences locales en plus de leurs moyens propres.

On dénombre dans le pays environ 500 aéronefs pouvant être mobilisés pour ces missions anti-incendies mais qui se relaient en fonction des territoires touchés et des contrats alloués. Début décembre, quelques 160 d’entre eux étaient déjà engagés contre les feux.

Parce que le nombre est fluctuant, il est donc difficile de faire un recensement exact de ces flottes, néanmoins, voici les principales machines rencontrées et leurs rôles :

SEAT, Single Engined Air Tanker

Les moyens de base sont constitués de monoturbines agricoles parmi lesquels on retrouve des PZL  Dromader, des Thrushmaster mais ce sont les Air Tractor qui sont les plus nombreux. Le NAFC recense 42 AT-802F mobilisables pour ses propres besoins et 2 Fireboss, leur version amphibie.

Un Air Tractor civil au remplissage retardant sur une base de la RAAF par des personnels militaires. (Photo : RAAF)

A noter que les appareils écopeurs ne semblent vraiment pas du tout faire partie des plans opérationnels de l’île-continent.

HBE légers et moyens

Les types utilisés sont extrêmement variés, comprenant des « Twin Squirrel » des BK-117 et EC-145. Les Bell sont néanmoins les plus courants, avec les modèles 202, 205, 214 et 412.  Deux UH-60A ont déjà rejoint aussi les moyens de lutte. Beaucoup de compagnies sont donc impliquées dans ce combat, comme Wildcat ou Valhalla Helicopter.

Deux Bell 212 HBE de Wildcat à l’entraînement sur la base RAAF Richmond en 2010. (Photo : RAAF)

Au cours de cette saison, deux appareils, les Bell Helitak 229 et 404 ont été accidentés mais heureusement, leurs équipages s’en sont sortis sans trop de dommages.

Le NAFC disposait, pour la saison 2018-2019, de 66 hélicoptères, une flotte qui comprenait notamment 20 AS350 Écureuil et 14 Bell 214B.

HBE lourds

Cette catégorie comprend 9 appareils, 6 Erickson Aircrane et 3 S-61. Certains de ces appareils sont stationné à demeure en Australie où ils servent de grues volantes pour les exploitations agricoles, forestières ou industrielles, et donc, en saison, comme HBE lourds.

Il est allé pomper où sa charge, celui-là ? (Photo : NSW)

Les 3 S-61 relèvent du groupe Coulson et c’est à partir de ces appareils qu’ont été menées les expérimentations d’interventions et largages de nuit.

Un des S-61 de Coulson lors des essais de largages nocturnes. (Photo : Coulson)

Au cours des années précédentes, les différentes provinces australiennes, par l’entremise du NAFC ont fait appel aux américains et aux canadiens pour disposer de matériels lourds.

LAT (Large Air Tanker) et VLAT (Very Large Air Tanker)

Après le désastre de 2009, l’Australie a donc commencé à s’intéresser de plus près aux Tankers. Convair 580 et DC-10 furent alors évalués mais au cours de saisons plutôt calmes dont peu représentatives. C’est à partir de 2015 que les choses sérieuses ont commencé avec dans un premier temps l’envoi d’un C-130Q équipé d’une soute RADS, le Tanker 131 de Coulson et d’un RJ-85AT d’Aero Flite. Depuis Hercules, RJ-85 et bientôt DC-10 sont des acteurs réguliers des saisons feu.

Trois Tanker utilisés en Nouvelle-Galles du Sud en 2018-2019 et leur Lead Plane sur la base aérienne de Richmond. (Photo : RAAF)

Pour la saison 2019-2020 sont présents sur le territoire : 2 C-130Q (Tanker 131 et 134 de Coulson), 2 RJ-85, deux Boeing 737 et un DC-10. Ces appareils sont répartis entre le NSW et le Victoria mais peuvent être amenés à intervenir ailleurs, c’est ainsi que le RJ-85AT affecté à l’État de Victoria a fait récemment un court détachement en Tasmanie.

C’est en Australie que le premier Boeing 737 Fireliner a effectué son premier largage opérationnel. Il faut croire qu’il a su répondre aux attente puisque quelques semaines plus tard, la province de Nouvelle-Galles du Sud prenait la décision d’acheter le Tanker 138 qui opère donc « Down Under » en compagnie du Tanker 137, en contrat de location et amené à rentrer aux USA après la saison.

Un Fireliner pour la Nouvelle-Galles-du-Sud

Coulson dispose de quatre autres Boeing 737 à convertir et vient d’annoncer l’acquisition de nouveaux C-130. Déjà largement implanté en Australie par sa filiale hélicoptères, on peut imaginer le groupe canadien parvenir à implanter d’autres LAT dans les années à venir.

Le Tanker 134 a effectué la saison des feux australiens 2018-2019 avant de recevoir sa livrée « Coulson-Unical » avec laquelle il a fait ensuite la saison des feux en Californie. (Photo : NSW)

Les auxiliaires

La présence de moyens venus du continent américain avec leurs équipages a entraîné une diffusion des méthodes d’action. Ainsi les LAT et VLAT sont engagés avec des Lead Planes, indicatif « Bird Dog. »

Comme aux USA, les VLAT suivent un Lead Plane pour leurs largages, ici un des TC-690 du NSW. (Photo : RAAF)

Le NAFC exploite ainsi un Piper PA46 Meridian, un King Air 200, un AC500 et trois TC-690B. Ces appareils sont très appréciés pour les missions de guidage mais, à l’occasion, peuvent aussi servir pour effectuer des missions d’observation et de reconnaissance rapide, ainsi que des missions de transport ou de liaisons ponctuelles.

La fiche technique du TC-690B diffusée par le NAFC.

Les missions d’observation et de pointage des sinistres, essentielles pour bien répartir les moyens terrestres aux endroits stratégiques et assurer aussi leur protection, sont effectuées avec des hélicoptères EC-120 mais aussi avec des avions légers comme des Cessna 182.

Les missions de supervision et de coordination « Air Attack » sont assurées par des Cessna 337G ou des Cessna 208B Caravan. Ces appareils peuvent aussi servir pour des missions de transport.

Trois Learjet 35 et 36A, équipés infra-rouge et scanner multispectral assurent des missions topographiques et cartographiques « Firescan » à haute altitude pour le NAFC principalement pour les gouvernements du Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud.

Les militaires.

La RAAF met à disposition plusieurs bases pour les tankers civils, RAAF Richmond en particulier, ce qui implique aussi, forcément, du personnel au sol. Néanmoins, et ce fut le cas cet été, des moyens techniques peuvent être engagés directement dans les opérations. Ainsi, il y a quelques semaines, deux hélicoptères Tigre ARH (Armed Reconnaissance Helicopter) de l’école d’aviation de l’Army d’Oakey près de Brisbane ont mené plusieurs missions de reconnaissances nocturnes sur des feux dans le Queensland en utilisant leurs moyens optroniques.

Un Tigre australien déployé à Rockhampton dans le Queensland de retour d’une mission de reconnaissance sur un feu dans le secteur côtier de Yeppoon.  (Photo : Australian Army)

Deux Blackhawk du 6 Aviation Regiment ont aussi été utilisés pour faire des relevés topographiques et la cartographie des feux.

La contribution des militaires prend aussi une autre  tournure :  deux Blackhawk retirés du service de l’Australian Army vont rejoindre le NWS Rural Fire Service pour être convertis en HBE. Les appareils, qui étaient espérés cette année seront opérationnels pour la saison 2021-2022.

La marine australienne, de son côté, a vu 11 de ses anciens S-70B Seahawk rejoindre  Skyline Aviation Group (NSW) pour subir également une transformation en Firehawk et le premier, qui vient d’être immatriculé VH-XHJ, ne devrait pas tarder à entrer en service.

En réaction à la demande de plusieurs hauts responsables des opérations de lutte contre les désastres naturels, qui a fait grand bruit dans le pays, eu égard la situation globale, le gouvernement fédéral australien a annoncé, mi décembre, augmenter le budget de l’aviation anti-incendie de 57%. Le budget national va donc passer de 14,6 millions $ à 26 millions, une rallonge de 11 millions qui fait débat localement, bien en dessous des attentes de la population. Néanmoins, l’Australie faisant appel à des avions de location, un tel accroissement de budget pourrait permettre de louer des LAT supplémentaires pour le reste de la saison.

Un RJ-85AT en action dans le relief australien et consolidant une barrière de retardant. (Photo : CFA)

Car le plus inquiétant, c’est bien que le pic des feux en Australie arrive généralement en janvier-février et que des records ont déjà été battus fin décembre !!

 

 

(1) la situation particulière de l’Australie et les nombreuses tentatives d’y implanter des avions de lutte anti-incendies ont été détaillés dans le hors-série VIM en 2017.

 

Coulson obtient le contrat pour les soutes des C-130 du Cal Fire

Sans surprise, c’est le Groupe Coulson qui a été sélectionné pour équiper les C-130 du Cal Fire. Ces appareils, anciens des Coast Guard, ont passé quelques saisons exploités directement par l’US Forest Service équipés d’une seule soute MAFFS. Ils ont été ensuite transférés à l’aviation de lutte contre les feux de forêt Californienne et vont donc être équipés de soutes RADS-XXL de 15 000 litres de capacité.

Un des deux premiers C-130 du Cal Fire à McClellan. Le Tanker 118 sera donc équipé d’une soute RADS fabriquée par Coulson. (Photo : Cal Fire)

Lors de leur bref passage au sein de l’USFS, un contrat avait déjà été attribué à Coulson pour l’équipement de ces avions mais il n’avait pas été confirmé et l‘USFS avait finalement renoncé à exploiter ces appareils. Il n’est guère surprenant que la Californie se prononce en faveur de ce matériel éprouvé et fiable.

Le Tanker 116 a été aussi transféré des Coast Guard à l’USFS puis au Cal Fire. Il a opéré sur feux équipé d’une soute MAFFS dont on voit la buse dépassant de la porte arrière. (Photo : Jim Dunn)

La soute RADS (Retardant Aerial Delivery System) nécessite qu’une ouverture soit pratiquée dans le plancher du C-130 pour l’installation du système de portes à ouverture régulée. La partie supérieure du système, la soute à retardant proprement dite, est amovible, permettant de pouvoir libérer l’appareil pour une mission de transport classique en cas de besoin.

Les différents modèles de soutes RADS, conçues initialement par Aero Union, sont utilisées en position interne sur les C-130 mais aussi en position ventrale sur les P-3 Orion, les Lockheed Electra et sur certains hélicoptères AirCrane. Ce sont des systèmes à débit constant comme on en retrouve sur les tankers et les HBE les plus récents. Coulson exploite 4 Hercules (2 L-382G/L-100-30 et 2 ex-EC-130Q) ainsi équipés pour ses contrats aux USA et en Australie.

La partie supérieure d’une RADS, ici la RADS-XL de 3000 gallons du premier Hercules de Coulson, est facilement manipulable pour conserver au C-130 toute sa polyvalence.

Le premier C-130 Tanker du Cal Fire pourrait être opérationnel pour la saison 2020. Le contrat est géré par l’US Air Force et le chantier va se dérouler à Greenville en Caroline du Sud.

Dans le même temps, le groupe canadien annonce se porter acquéreur, pour son propre compte cette fois et pour un montant de 4,5 millions $, de 5 C-130H ayant appartenu à l’aviation militaire norvégienne jusqu’en 2008 et stockés à Davis-Monthan.

Un des 5 C-130H ex-aviation militaire norvégienne stocké dans l’Arizona et vendu désormais  à Coulson. (Photo : Aeroprint.com)

Ces appareils seront aussi modifiés avec une soute RADS-XXL et si on en croit la rumeur ce sont les contrat australiens qui seraient visés par cette spectaculaire extension de flotte.