Touché depuis quelque jours par une série importante de départs de feux incontrôlés et qui ont surtout nécessités l’évacuation de plus de 50 000 personnes, Israël a rapidement fait appel aux pays du pourtour méditerranéen pour renforcer ses moyens aériens propres.
Après la tragédie du Mont Carmel en décembre 2010, un feu brutal qui avait entraîné la mort d’une quarantaine de personne et avait aussi amené la communauté internationale à dépêcher une flotte aérienne respectable. Israël s’était ensuite immédiatement doté d’une escadrille d’avions de lutte contre les feux de forêts, aujourd’hui mise en œuvre par Elbit Systems, qui compte désormais 14 Air Tractor AT-802F.
Un des AT-802F en opérations en Israël sur les feux péri-urbains de ces derniers jours. (Photo : Y. Sagi)
Bien que relativement performants, ces avions, ainsi que les sapeurs-pompiers qu’ils épaulaient, ont rapidement été débordés par les innombrables départs de feux, essentiellement d’origine volontaires, en lisières de zones habités. Plus de 10 000 ha ont été dévastés et de très nombreuses habitations ont été détruites.
3 CL-415 grecs, 2 croates et 2 italiens, 2 CL-215 turcs vont être rejoints le 26 novembre par un module européen constitué de 2 CL-415 et un Beechcraft King Air 200 de la Sécurité Civile française. Bien que dépourvu de tout moyen optronique, ce dernier appareil permet d’assurer les liaisons, les missions d’investigation et de reconnaissance à vue, mais surtout la coordination des moyens engagés. C’est un outil de commandement dont le rôle ne doit surtout pas être négligé.
« Bengale 96 », un des trois Beech King Air 200 de la Sécurité Civile.
De son côté, la Russie a dépêché sur place deux Beriev 200 d’Emercom, tandis que Chypre a envoyé un avion dont le type n’a pas été communiqué et l’Angleterre un hélicoptère. Preuve de bonne volonté, deux hélicoptères égyptiens sont également attendus, une aide qui ne sera pas seulement symbolique, tout comme les camions de pompiers palestiniens qui sont déjà à pied-d’œuvre aux côtés de leurs confrères israéliens.
Un des Beriev 200 d’Emercom, l’agence Russe en charge des risques naturels dont font partie les feux de forêts. (Photo . Emercom)
Tout ce petit monde va être épaulé par le Tanker 944, le Boeing 747-400 N744ST de Global Supertanker Services (GSS), l’appareil de lutte contre les feux de forêts superlatif, qui a été convoyé depuis Colorado Springs le 25 novembre et qui devrait débuter les opérations rapidement ; ses capacités d’emport de 75 tonnes de retardant pouvant se montrer particulièrement précieuses dans ce contexte.
Suivi du convoyage du Tanker 944 le 25 novembre 2016 sur Flightradar24.
La présence du Supertanker n’a rien d’anecdotique. Il est dans la lignée de l’intervention du Supertanker d’Evergreen, aujourd’hui retiré du service après la faillite de l’entreprise, sur le feu du Mont Carmel il y a 6 ans. Mais pour son opérateur, GSS, l’enjeu est de taille puisqu’il va s’agir de la première utilisation opérationnelle de son avion qui a effectué ses premiers vols d’essais cet été et qui a reçu son agrément des autorités américaines il y a tout juste quelques semaines. Les opérations en Israël vont donc être l’occasion de montrer les capacités de l’appareil et, pourquoi pas, de convaincre les autorités américaines ou d’ailleurs, de faire appel à cet appareil hors norme.
Le premier largage d’essais du Tanker 944 cet été. (Photo : GSS)
L’engagement du Supertanker est aussi la démonstration des capacités de cet appareil car il ne lui a fallu que 12 heures pour rejoindre Tel Aviv depuis Colorado Springs, une capacité de déploiement à longue distance clairement exceptionnelle. Le plus compliqué, pour GSS, ayant été de battre le rappel de ses hommes, partis célébrer Thanksgiving en famille.
Le Boeing 747-400 N744ST Tanker 944 à son arrivée à Tel Aviv le 25 novembre 2016. (Photo : I24News)
Les yeux de toute la communauté des pompiers du ciel sont donc tournés vers la région d’Haïfa. Les premiers vols et les premiers largages opérationnels du Boeing 747 seront scrutés et analysés. Savoir si GSS est en mesure de relever le pari d’utiliser un jumbo jet pour combattre les feux, tenté initialement par Evergreen, étant un des enjeux majeurs des opérations de ces prochains jours.
Le sujet est revenu au premier plan à plusieurs reprises ces dernières années, en particulier cet été après le problème de train d’atterrissage sur le Pélican 42 en plein cœur de la saison des feux : « nos Canadair » vieillissent et il serait temps de songer leur offrir un successeur ! Bonne idée ! Mais il y a-t-il vraiment urgence et quelles sont les solutions possibles ?
En service depuis plus de 20 ans au sein de la Sécurité Civile, le CL-415 est-il un avion irremplaçable ?
Le 1er août dernier, le CL-415 « Pélican 42 » était victime d’une rupture du train d’atterrissage droit lors d’un roulage à Ajaccio. Cet accident a entraîné l’interdiction de vol temporaire de l’ensemble de la flotte des « Canadair » français pendant quelques jours, le temps que de minutieuses inspections soient menées pour déterminer la cause précise de cet évènement afin d’éviter que le problème ne survienne sur un autre appareil.
Accidenté à Ajaccio le 1er août dernier, le Pélican 42 devrait être disponible à nouveau pour la saison prochaine. Cette image, prise sur la base de Marseille-Marignane, sera alors entrée dans l’histoire après le déménagement vers Nîmes.
Depuis, les commentateurs continuent de s’interroger : et si il était temps de remplacer ces avions ?!
Dans un premier temps, et en attendant les conclusions de l’enquête technique, rien ne dit que l’accident du 42 est la conséquence d’une usure et que l’âge de l’avion est en cause dans l’évènement. L’interdiction de vol temporaire qui leur a été imposée pendant quelques jours était un choix opérationnel fort de leur exploitant car contrairement à ce qu’il peut parfois se passer dans des circonstances souvent bien plus dramatiques, le certificat de navigabilité des avions CL-215-6B11 n’a pas été levé, ce qui explique que les appareils en service dans les autres pays ont pu continuer leurs missions habituelles.
Les avions français sont parmi les plus anciens en service. La flotte française de CL-415 est composée de 12 appareils livrés entre 1995 et 1997 (Pélican 31 à 43) dont trois exemplaires ont été détruits en 1997 (P43), 2004 (P41) et 2005 (P36) puis trois appareils commandés pour combler les pertes, reçus entre 2004 et 2007 (P44, 45 et 48). La majeure partie de la flotte a donc une vingtaine d’années de service mais les plus récents ont une décennie de moins.
Tableau d’effectif des CL-415 français (1995-2014)
Ces avions volent relativement peu en raison de la nature de leur activité et de sa saisonnalité. En fait leur activité est comparable à celle des avions de combat d’une force aérienne occidentale. En 2003, année de canicule où 74 000 hectares de forêts sont partis en fumée, les 11 CL-415 français alors en service ont effectués un total record de 5 542 heures de vol soit une moyenne de 503 heures par appareil. L’année suivante, beaucoup plus calme avec 12 500 hectares brûlées, les 11 appareils ont effectué un total de 2 746 heures de vol soit 249 heures par avion. En 2011, autre année moyenne (9 400 hectares), le total du secteur Canadair a été de 2 848 heures, soit 237 pour chacun des 12 avions en ligne.
Opérant en noria, les « Canadair » français ont depuis longtemps fait la preuve de leur efficacité.
Pour autant, l’usure n’est pas le seul critère à devoir être pris en compte pour l’analyse de l’âge de la flotte car les opérations de maintenance ont lieu tout autant en fonction d’un temps de vol défini que d’échéances calendaires précises.
En général, un aéronef a une carrière qui est de l’ordre d’une trentaine d’années, mais les avions capables d’aller au-delà sont innombrables. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour ceux-là ? Le prédécesseur CL-215 prouve que, bien entretenu et bien utilisé, dépasser le demi siècle de service est tout à fait possible, et que dire des Firecat dont les cellules ont été construites il y a 60 ans ? Cependant, lorsqu’une flotte arrive à la vingtaine, c’est le bon moment pour s’interroger sur la succession sans être dans l’urgence. Gouverner c’est prévoir. Quelles sont les solutions et les successeurs possibles ?
Dernier appareil livré à la France en 2007, le Pélican 48 a été numéroté ainsi car les numéros de coque 46 et 47 avaient déjà été portés auparavant par des CL-215.
Partons du principe que, pour ne pas déroger à la règle de complémentarité écopeur-tanker qui a fait le succès de la Sécurité Civile, le remplaçant du CL-415 devrait être un écopeur. Or, cette catégorie d’aéronefs ultra-spécialisés ne comporte qu’une poignée de types d’appareils en production ou disponibles.
Livré en 2006, le Pélican 45 fait partie des aéronefs les plus récents de la flotte actuelle.
En premier lieu se trouve le Fire Boss, version à flotteur de l’AT-802F, monoturbine d’une capacité de 3 000 litres environ, ses capacités d’emport, et donc de frappe, demeurent largement inférieures à celles d’un CL-415. Appareil peu onéreux, son prix d’achat tourne autour de 3,5 millions $, il est très répandu au Canada, aux USA, en Espagne, en Croatie ou en Italie, par exemple.
En 2013, dans le cadre du projet de remplacement des Firecat, deux AT-802F « terrestres » ont été longuement évalués à Marseille. Trop sensibles au vent, très lents, monomoteurs, ces avions n’ont clairement pas convaincus comme aéronefs d’intervention à l’échelle nationale. La version à flotteurs est légèrement plus lourde d’une tonne ce qui impacte sur sa charge utile. La traînée des flotteurs réduit également sensiblement sa vitesse. Ses chances de pouvoir prétendre à prendre le relais des CL-415 français sont donc très faibles.
Version amphibie de l’Air Tractor AT-802F évalué au cours de l’été 2016, le Fire Boss a peu de chance de pouvoir prétendre à la succession du CL-415 en raison de ses performances très en retrait.
Deux ans plus tôt, pendant l’été 2011, c’était le Beriev 200 qui était présent à Marseille pendant un mois. Avec des performances alléchantes, 12 000 litres, 700 km/h, le jet russe semblait clairement très prometteur et pendant longtemps, grâce à une campagne de presse extrêmement efficace, l’avion a fait figure de successeur idéal pour l’amphibie canadien. Las, les pilotes français qui l’ont patiemment essayés ont noté des lacunes importantes. Choix impératif entre carburant et charge d’eau, consommation effrénée de carburant en basse couche, programmation inadaptée des commandes de vol électriques, absence d’aérofrein entre autres ont relégué le Beriev parmi les solutions secondaires. De plus, à l’époque, la production de l’appareil était interrompue. Cette situation a évolué depuis avec plusieurs avions commandés pour Emercom, actuellement en cours de construction, et une récente commande chinoise pour au moins deux avions. On parle toujours d’une possibilité de production sous licence aux USA, une idée qui est régulièrement relancée par ses promoteurs qui estiment pouvoir proposer un prix unitaire de 40 millions $ par amphibie, ce qui n’a rien d’extravagant.
Appareil aux performances alléchantes, le Beriev 200 demeure encore un échec commercial évident.
Si les lacunes identifiées par les pilotes français sont prises en compte pour une éventuelle version « occidentalisée », le Beriev pourrait redevenir une option solide, d’autant plus que 80% des plans d’eau écopables en France sont compatibles avec le jet russe ce qui ne bouleverserait pas trop les méthodes d’emploi. Mais depuis l’évaluation de 2011, le Beriev ne fait plus tout à fait figure de remplaçant désigné aux CL-415.
Pendant plusieurs années, des Twin Otter disposants de flotteurs spécifiques ont assuré la protection des forêts de l’Ontario. (Photo : D. Kennedy)
On sait que le Twin Otter équipé de flotteurs adaptés a longtemps servi de bombardier d’eau dans l’Ontario. Or cet appareil est toujours en production, après une longue interruption, et connaît depuis un succès notable depuis que la société canadienne Viking Air en a lancé une version modernisée, DHC-6-400, au prix unitaire de 6 à 7 millions $. Si l’option « lutte anti-incendie » était initialement proposée, elle n’a pas trouvé preneur.
Là encore, on est en présence d’un avion connu pour sa robustesse et sa fiabilité, mais il est peu rapide, 150 kt en croisière, et sa charge utile, de l’ordre d’une tonne, peine à être comparée avec celle du « Canadair ». L’appareil a donc peu de chances de convaincre même si, là encore, une certaine polyvalence de la cellule, utilisable pour le transport à courte distance, peut constituer un avantage.
En 2016, Viking a enregistré la 100e commande pour son Twin Otter modernisé. L’option bombardier d’eau est possible mais n’a pas trouvé preneur pour le moment.
Or, c’est cette même société Viking Air qui a racheté les droits de la famille CL-215/415 à Bombardier cette année. On sait que, dans un premier temps, la société canadienne va assurer le suivi réglementaire et technique des flottes existantes et sans doute se lancer dans la conversion de certains CL-215 en CL-215T. Une éventuelle reprise de la production du CL-415 reste une question en suspens et va surtout dépendre de la demande. On sait que Bombardier a arrêté la production pour recentrer le groupe, en difficulté, sur des produits plus rentables immédiatement. Une société de moindre envergure comme Viking pourrait avoir une souplesse industrielle plus compatible avec une production en petite série avec un rythme lent. Si des commandes fermes pour de nouveaux CL-415 venaient à être notifiés de la part de clients sérieux, et la Sécurité Civile française, par sa tutelle étatique, en est un, cette solution serait sans doute à privilégier. Et du coup, pourquoi ne pas proposer alors une version mise au goût du jour avec, par exemple une nouvelle avionique, à défaut de pouvoir nettement faire progresser les performances de l’aéronef ?
La possibilité d’acquisition par la France de CL-415 d’occasion semble moins évidente bien qu’elle a été évoquée de façon tout à fait officieuse. Ceci ne résoudrait que partiellement le problème de vieillissement de la flotte et surtout, aucun de ces avions ne semble actuellement disponible à la vente.
Deux autres appareils ont été annoncés comme d’éventuels futurs trouble-fêtes sur ce marché. Le premier est loin d’être un inconnu puisqu’il est en service déjà dans l’aviation militaire japonaise. Il s’agit de l’impressionnant amphibie US-2.
Un des 6 US-2 de la Force Maritime d’Autodéfense japonaise en train de naviguer sur une mer d’huile. (Photo : DR)
Il n’a jamais été évalué en tant que bombardier d’eau, même si son prédécesseur PS-1 l’a été dans les années 70. Avion de secours en mer, il dispose de capacités marines inégalées. Pour la version bombardier d’eau, le constructeur envisage une « constant flow » de 15 000 litres. mais il y a un bémol, et de taille, en dehors du fait qu’il n’a pas encore été évalué avec une soute : son prix estimé à 90 000 000 $. Sa production est aussi confidentielle puisque la marine japonaise a pris livraison de seulement 6 appareils tandis que le contrat avec l’Inde pour 12 machines n’a pas encore été officialisé.
Le US-2 en version bombardier d’eau tel qu’il est présenté par le constructeur. (Vue d’artiste : ShinMeiwa)
Il pourrait en être de même pour le nouvel hydravion chinois Avic AG600, successeur du Harbin SH-5, ce dernier ayant été évalué avec une soute pendant les années 70. Annoncé comme pouvant remplir la mission de bombardier d’eau, l’avion est essentiellement un appareil de patrouille maritime. En attendant son premier vol et de connaître son prix, qui en raison des performances annoncées devrait se rapprocher de celui de l’appareil japonais, il fait, lui aussi, office d’outsider improbable pour le moment.
L’Avic 600 lors de sa présentation officielle un peu plus tôt en 2016. Annoncé comme pouvant prétendre au rôle de bombardier d’eau de grande capacité, il est plus sûrement un hydravion militaire de surveillance maritime.
Mais deux autres solutions, plus radicales peuvent être envisagées, bien qu’il s’agisse ici de scénarios improbables.
En service depuis plus d’une décennie et en lice pour la succession du Tracker, le Q400MR incarne clairement l’avenir d’une partie de la flotte de la Sécurité Civile.
Dans le cas où aucun avion amphibie satisfaisant ne serait disponible, le choix pourrait être fait de mettre l’accent sur les avions « terrestres », autrement dit les tankers. Dans cette catégorie, les options ne manquent pas et ont, pour la plupart, l’avantage d’être abordables puisque basées sur des appareils de seconde main. Le développement de la flotte des Q400MR au delà des appareils envisagés à l’horizon 2022 dans le cadre de la succession des Tracker, ou son complément par des C-130H modifiés, n’aurait rien de ridicule.
Relancé dans son rôle de tanker par la société Coulson, le C-130 est en train de redevenir un acteur essentiel de ce business. (Photo : Skip Robinson via Coulson)
Mais ce choix aurait pour conséquence principale d’impliquer la refonte totale des doctrines d’emplois des aéronefs et d’entraîner un redéploiement des détachements estivaux. Ceci laisserait surtout les collectivité locales, régions ou départements, dans l’obligation de procéder à une réévaluation de leurs besoins propres, ce qui pourrait alors passer par la mise en œuvre de moyens complémentaires. Dans ce cas-là, des avions comme le Fire Boss pourraient trouver leur place dans un dispositif où les contrats locaux deviendraient plus stratégiques. Mais ce serait aussi un premier pas vers une forme de privatisation d’une mission jusque là régalienne. Et ces avions pourraient être suppléés ou épaulés par des voilures tournantes.
Car la succession des CL-415 par des voilures tournantes n’est pas non plus un scénario aberrant, il est même âprement défendu dans les milieux hélicoptéristes. Il faut se souvenir qu’à la fin des années 80, des évaluations très sérieuses d’hélicoptères bombardiers d’eau (HBE) avaient été menées conjointement par la Sécurité Civile, l’Entente Interdépartementale contre les Feux de Forêts et plusieurs industriels dont Aérospatiale, devenue depuis Airbus Helicopters. Lama, Écureuil, Puma, Super-Puma avaient été longuement évalués sur plusieurs saisons et les conclusions étaient plutôt positives. Le lancement du CL-415 et le positionnement de la France comme client de lancement du nouvel appareil, assortis de conditions financières intéressantes, a clairement tué dans l’œuf le développement d’une flotte HBE nationale dotée de moyens lourds. Cependant, ces expérimentations ont conforté les départements dans leur possibilité de louer les services saisonniers de machines de « première intervention » auprès d’opérateurs privés.
Après son évaluation comme HBE durant l’été 2007 et bien qu’estampillé EC225, cet hélicoptère est ensuite entré en service dans l’armée de l’air comme EC725R2 (Photo : Eurocopter)
Au milieu des années 2000, la location saisonnière, de 2004 à 2008, d’un hélicoptère lourd Erickson Aircrane, capable de lever 10 000 litres de retardant, a entraîné un regain d’intérêt pour les voilures tournantes à hautes capacités. En 2007, un EC225 doté d’une soute interne de 4 000 litres a longuement été évalué par la Sécurité Civile, en particulier en Corse. Mais là encore, cette expérimentation opérationnelle n’a pas été suivie d’une mise en service de ce type d’appareil en France.
L’hélico d’Airtelis en action sur le feu de Rognac en août 2016. (Photo : Airtelis)
Cependant, à nouveau, en août 2016, un EC225 de la société Aertelis (RTE) a été engagé lors du feu de Rognac, équipé d’un « bambi bucket », pour renforcer les moyens aériens encore incomplets après l’incident du Pélican 42. Même si cette intervention a été extrêmement ponctuelle et limitée, elle tendrait à montrer que les exploitants et les industriels ont entre les mains des outils dont le potentiel ne demande qu’à être utilisé.
L’utilisation de voilures tournantes puissantes et à la charge utile conséquente au lieu d’appareils amphibies n’a d’ailleurs rien de vraiment inédit puisque c’est ainsi que les HBE sont engagés aux USA. Mais les capacités d’emport des hélicoptères lourds de la famille H225 sont loin d’égaler celles des CH-47, S-61 et autres AirCrane en contrats saisonniers avec l’US Forest Service.
Remplacer les CL-415 par des hélicoptères lourds ne serait pas impossible, mais modifierait aussi profondément la structure de la Base d’Avions (BASC) et du Groupement d’Hélicoptères de la Sécurité Civile (GHSC) et influerait fondamentalement sur les méthodes d’emploi des moyens nationaux.
Néanmoins si ce cas de figure venait à être appliqué, il serait indispensable d’opter pour des machines de grande capacité et dotés de soutes internes afin de favoriser la vitesse d’intervention. La répartition des moyens sur l’ensemble du territoire serait aussi à repenser ce qui pourrait aussi se traduire par une diminution effective de la force de frappe instantanée comparée à celle que peut procurer une noria de Canadair.
Deux types semblent dominer les débats, les Erickson AirCrane qui sont d’anciens CH-54/S-64 reconditionnés et les CH-47 Chinook. Sur le marché de l’occasion, AirCrane ou Chinook sont très rares. Le CH-47F est toujours en production, au prix annoncé de 38 millions $ soit un peu plus cher que le prix auquel le Bombardier 415 était proposé par son constructeur. De son côté la société Erickson rencontre des difficultés financières et s’est récemment placée sous le régime du Chapitre 11 de la loi sur les faillites aux États-Unis, l’équivalent de la procédure de sauvegarde en France.
On peut supposer que les sociétés américaines bénéficient d’une certaine priorité sur l’acquisition des machines réformées des forces US et qu’une exportation vers notre pays ne se ferait pas forcément aux même conditions.
Même si les machines de production européenne n’atteignent pas les performances de ces deux appareils, il est impossible de croire que le monde industriel et le monde politique laisseraient une mission aussi emblématique tomber dans l’escarcelle d’industriels extra européens. C’était cependant le cas avec le CL-415, mais la situation est difficilement comparable puisque cet appareil était alors sans équivalent… Et le demeure !
Mais, surtout, doter la Sécurité Civile d’hélicoptères de transport lourd alors que nos forces armées n’en disposent pas, même si ce besoin est identifié depuis de nombreuses années, pourrait être ressenti comme une véritable provocation et ne manquerait pas de provoquer de sérieux remous.
CH-47 bombardier d’eau en remplacement des CL-415 ? Un scénario improbable mais qui ne manquerait pas de rendre jaloux l’ALAT qui rêve d’hélicoptères lourds depuis des décennies. (Photo : InciWeb)
La solution du remplacement des CL-415 français est donc un problème épineux car aucune solution évidente ne semble se dessiner pour le moment. Mais il n’est pas encore d’une urgence absolue. Il est juste temps de commencer à le préparer. Les investissements consentis pour la succession des Firecat, avec un appel d’offre publié pendant l’été 2016 pour 4 à 6 avions polyvalents, la construction de la nouvelle base de Nîmes représentent des investissements lourds. Ils prouvent bien que, même en ces temps budgétairement tendus, des efforts important sont consentis pour cette lutte importante et médiatique.
Ce dossier se retrouvera en haut de la pile à traiter lorsque celui du remplacement des Tracker sera en cours. Quelle solution sera adoptée ? Il trop tôt, bien évidemment, pour le dire et rien ne laisse penser que les différents scénarios proposés ici seront encore d’actualité.
Le CL-415, et si on en reprenait pour 30 ans ?
Pour autant, une des clés de cette histoire est évidemment entre les mains de Viking Air. En l’absence de remplaçant « naturel » et évident, une relance de la production du CL-415 permettrait, d’une part, de remplacer les avions progressivement, ce qui lisserait l’investissement sur une période large, et d’autre part, d’assurer cette succession avec un matériel connu et éprouvé. Ce scénario serait évidemment le plus simple, le plus évident et pas forcément le plus couteux. Il a donc tout l’air de la solution idéale, d’autant plus que la Sécurité Civile n’est sans doute pas la seule organisation à se poser des questions à l’heure actuelle. Est-ce réaliste pour autant ? La question est posée !
En France, en Europe, l’image qui vient, lorsqu’on évoque la guerre aérienne contre les feux, est celle d’un avion jaune écopant sur un lac l’eau qu’il largue quelques minutes plus tard directement sur le feu. Cette scène est tellement forte et présente, l’avion jaune devenu tellement emblématique, qu’ils occultent totalement tout un pan des tactiques et techniques utilisées pour lutter contre les feux dans le reste du monde, mais aussi dans notre pays.
En France, CL-415 et Tracker constituent l’ossature des moyens aériens de lutte contre les feux de forêts. Deux avions, deux méthodes et une complémentarité évidente, même si le second souffre d’un déficit de notoriété publique.
Un peu d’histoire
L’utilisation d’avions pour lutter contre les feux de forêts remonte aux années 20 où certains aviateurs aventuriers américains commencèrent à larguer quelques sacs remplis d’eau sur les feux, sans grande réussite. Au Canada, des essais de largages furent effectués en 1944 à partir d’un hydravion Norseman mais le délestage se faisant par des tuyaux assez étroits, 7,62 cm de diamètre, l’efficacité ne fut pas au rendez-vous non plus.
Ce n’est qu’au début des années 50 que l’intérêt pour les aéronefs de lutte contre les feux de forêts fut relancé. Lors d’un essais en vol du prototype de l’avion de ligne Douglas DC-7 au dessus de l’aérodrome de Palm Springs en Californie, en 1953, l’équipage se délesta des 5 à 6000 litres de ballast destinés à simuler la charge utile de l’appareil. Ils mouillèrent visiblement une surface respectable pendant quelques minutes en dépit d’une forte chaleur et d’un faible taux d’humidité ambiante. Le 2 décembre suivant, le DC-7 procéda donc à un nouveau largage de 2400 gallons (9084 litres) sur le Rosemond Dry Lake à Los Angeles en présence des pompiers du California Department of Forestry. Même si le largage ne fut pas massif, puisque l’eau fut déversée par des buses de 7 pouces (17,18 cm), les résultats contre de petits foyers allumés pour l’occasion furent considérés comme encourageants. Dès lors, la possibilité de combattre un feu depuis le ciel en larguant massivement un agent extincteur étant établie, les tactiques et les matériels adaptés se développèrent immédiatement.
Ce sont les essais en vol du DC-7 qui ouvrirent l’ère des avions de lutte contre les feux. A noter que des quatre types d’avions Douglas représentés sur cette photo, trois (DC-3, DC-4 et DC-7) ont encore des exemplaires encore actifs comme pompiers du ciel ! (Photo : Douglas Aircraft Company)
Les écopeurs
Au Canada, la topographie des zones à risques ouvrait la perspective d’utiliser massivement de l’eau pour éteindre, ou au moins, ralentir la progression des sinistres en la prélevant directement dans les plans d’eau innombrables grâce à des hydravions spécialement équipés. Dans un premier temps, l’eau était pompée jusqu’au réservoir alors que l’avion se trouvait à l’arrêt sur le plan d’eau, mais rapidement, pour gagner du temps, l’hydravion procéda en écopant. Maintenu en mouvement à la surface d’un lac ou d’un étang, l’avion prélevait l’eau grâce à sa vitesse et par le biais d’ouvertures situées au niveau de sa ligne de flottaison. Cette méthode, qui demande quand même une grande rigueur de pilotage, fit rapidement la démonstration de ses possibilités.
L’écopage vu par un maître du cinéma, Steven Spielberg, pour l’inoubliable scène d’ouverture de son film « Always » (1989)
Les premiers bombardiers d’eau, en dépit de leurs capacités d’emport réduites, pouvaient multiplier les largages et obtenir des résultats visibles. Les premiers Beaver emportaient quelques centaines de litres.
Le premier Beaver construit a connu une longue carrière de bombardier d’eau au Canada. Il est désormais préservé au Musée de Sault-Ste-Marie dans l’Ontario. (Photo : CBHC)
Ils furent rapidement épaulés par des Catalina qui emportaient jusqu’à 5000 litres. Dès 1961, alors même que le concept d’avions écopeurs n’était en usage que depuis quatre ans, la Colombie Britannique employa un premier Martin Mars, hydravion géant récupéré en surplus auprès de l’US Navy, qui intervint cet été-là très efficacement contre plusieurs feux grâce à une capacité d’écopage de 27 000 litres, un record à l’époque.
En service pendant un demi-siècle ces avions ont très longtemps été les appareils disposant de la charge utile la plus impressionnante. Désormais à la retraite, l’avenir des Martin Mars est encore incertain. (Photo : J. Selman)
En 1963, la France, par proximité culturelle et surtout topographique, le sud de notre pays ne manquant pas de lacs, étangs et littoraux abrités, tout à fait écopables, se dota de ses premiers Catalina, basés à Marseille.
Un Catalina à Marseille dans les années 60. Certains détails indiquent clairement que ces avions pouvaient aussi être remplis au sol avec du retardant. C’est de là que le nom « Pélicandrome » tire son origine, « Pélican » ayant été alors choisi comme indicatif radio de ces avions.
A cette même époque, les ingénieurs de Canadair commencèrent à travailler sur un projet d’avion spécialisé capable d’écoper un peu plus de 5300 litres. Le CL-215 entra en service en 1969 et se montra rapidement parfaitement adapté à sa mission. En France, le désormais célèbre « Canadair » prit alors la succession des Catalina de la Protection Civile et imposa alors son image d’avion providentiel. Il en fut de même en Espagne, en Italie ou en Grèce, où le successeur à turbopropulseurs, le CL-415 trouva aussi sa place.
Une des deux écopes d’un CL-415. En dépit d’une taille réduite, elles permettent à cet avion de recharger les quelques 6000 litres de sa soute en une douzaine de secondes seulement. Redoutable de simplicité et d’efficacité. (Photo : Aliano43)
Eau et émulseur contre les flammes
L’eau larguée sur un feu agit de plusieurs façons. En imbibant le combustible elle diminue très légèrement sa sensibilité au feu et freine un petit peu sa propagation. En s’évaporant ensuite, elle fait diminuer la température et donc réduit l’énergie du sinistre. En étant larguée d’un aéronef, elle emmagasine aussi de la vitesse, de l’énergie potentielle, qui lui donne un effet de souffle qui modifie l’équilibre chimique et physique du comburant et agit ainsi notablement sur cet autre pan important du triangle du feu.
Image emblématique, bien que restrictive, de la lutte aérienne contre les feux de forêts, un largage d’eau depuis un Canadair, ici un CL-215T de l’aviation militaire espagnole, directement contre les flammes.
Le triangle du feu. Leçon numéro 1 du premier jour chez les pompiers. Supprimer, isoler ou réduire un des pans, c’est vaincre un feu.
En agissant ainsi sur les trois côtés du triangle du feu, l’eau fait la démonstration de ses incroyables capacités à éteindre les flammes. Ces avantages sérieux s’additionnent à la nature même de l’eau qui, dans de très nombreux endroits, est facile d’accès et pratiquement gratuite.
Mais l’eau n’est efficace vraiment qu’en effet immédiat. Elle n’est donc utilisable qu’en attaque directe en frappant les flammes. C’est pour cela que, très souvent, elle est utilisée additionnée à de l’émulseur pour obtenir un largage dit « au moussant ». A bord d’un CL-415, 300 litres d’émulseur peuvent être utilisés, ce qui autorise une vingtaine de largages.
A bord du CL-215 Pélican 23 préservé au Musée de l’Air du Bourget, les réservoirs additionnels de moussant, improvisés après la mise en service de l’avion, sont toujours à poste.
La mousse se comporte comme un film qui emprisonne des bulles d’air et qui, sous l’action de l’air, et aussi du feu, se dégrade et libère cet air. Cette couche épaisse et qui s’évapore plus longtemps que l’eau pure a deux actions. Elle isole le combustible du comburant et en se décantant, imbibe légèrement le combustible et améliore quelque peu ses capacités à résister à la pyrolyse pendant un temps largement supérieur à l’eau pure. Avec également la présence de tensio-actifs, donc d’agent « mouillant », la mousse recouvre plus efficacement les végétaux ce qui renforce aussi son action. Ce type de produit était autrefois appelé « retardant court terme » mais cette dénomination semble être tombée en désuétude désormais.
Mais les avions écopeurs n’ont pas que des avantages. Sur le plan opérationnel, les avions amphibies, à l’exception du jet Beriev 200, sont plus lents que leurs homologues terrestres. Un FireBoss aura du mal à dépasser les 150 kt, ce qui est la vitesse de croisière d’un CL-415 tandis qu’un Tracker vole sans problème à 200 kt et qu’un Dash 8Q400MR dépasse largement les 350 kt en croisière. Donc, plus le sinistre est éloigné d’un plan d’eau écopable et plus les tankers (1) ont leur raison d’être, d’autant plus que, bien souvent, ces derniers disposent d’une charge utile supérieure.
Les hydravions et avions amphibies sont aussi peu fréquents et d’une exploitation spécifique. Les types disponibles sur le marché de l’occasion sont peu nombreux et les avions encore en production très rares. Deux d’entre eux sont spécifiquement produits pour combattre les feux, le Beriev 200 en Russie et le Fire Boss chez Air Tractor aux USA.
Roll-out d’un nouveau Beriev 200 au printemps 2016, marquant le retour en production d’un avion qui n’a pas encore rencontré le succès escompté, en dépit de performances alléchantes. (Photo : Marina Lystseva)
Ces appareils ont donc un coût d’achat élevé pour leur catégorie, surtout si on le compare à celui d’un appareil terrestre équivalent… d’occasion puisque tous les autres appareils sont des conversions à partir de machines de seconde main. A titre d’exemple, un Beriev 200 est annoncé à un prix d’achat supérieur à 30 millions $ tandis qu’un DC-10 d’occasion avec un bon potentiel restant n’en vaudrait plus que… 5 !
Appareil spécifiquement construit pour lutter contre les feux, le FireBoss ne peut cacher sa filiation avec la famille d’avions agricoles qui a fait la renommée de son constructeur.
Les coûts d’exploitation sont difficiles à comparer mais il est de notoriété publique qu’un avion amphibie est coûteux à exploiter. Sa rareté rentre en ligne de compte mais aussi toute la surveillance et les réparations à effectuer avec une plus grande précaution en raison de la corrosion consécutive à sa proximité de l’eau, encore plus quand l’eau est salée.
Ainsi, les rapports parlementaires français expliquent que les coûts d’exploitations des CL-415 de la Sécurité Civile sont comparables à ceux des Q400MR dont les performances sont bien supérieures. Pour le Forest Service, les coûts de location parlent d’eux mêmes. Pour la saison 2016 ces tarifs étaient les suivants :
P2V Neptune, 7 570 litres : 18 000 $ par jour + 8 495 $ par heure de vol.
DC-10, 35 600 litres : 35 000 $ par jour + 13 600 $ par heure de vol.
CL-415, 6 056 litres : 54 246 $ par jour + 9 247 $ par heure de vol.
Avec un contrat de location à 54 246 $ par jour et 9 247 $ par heure de vol, le CL-415 Tanker 260 est l’avion le plus couteux de la flotte du Forest Service, bien plus même que les DC-10 ! (Photo : J. Dunn)
Le CL-415, qui était basé près du Lac Tahoe, à la frontière entre le Nevada et la Californie, était donc l’aéronef le plus coûteux de tous les appareils sous contrat. Des éléments techniques expliquent sans doute ce prix, mais les tarifs du Forest Service étant le résultat de négociations particulières avec les entreprises concernées, des explications non rationnelles peuvent avoir aussi joué dans ce prix à la journée tout à fait étonnant.
Les tankers
Dans de nombreux secteurs géographiques, l’eau n’est pas disponible en quantité. Il existe des espaces où il est plus facile de trouver un aérodrome qu’un plan d’eau écopable, en particulier aux USA et, donc, où le recours aux tankers, c’est à dire à des avions conventionnels convertis, devient plus logique.
Dans ce pays, l’expérience menée avec le DC-7 en décembre 1953 ouvrit la porte à un véritable foisonnement d’expérimentations en tous genres. En première ligne on retrouvait alors les avions agricoles et leurs pilotes pour qui, larguer de l’eau sur des feux ne les changeait pas trop de leur activité habituelle d’épandage de pesticides ou d’ensemencement.
Sur l’aérodrome de Willows en Californie, une plaque commémorative rappelle que c’est ici que tout a commencé…
L’expérimentation opérationnelle débuta à partir de Willows en Californie en 1955 avec le Stearman immatriculé N75081. Une véritable escadrille naquit ensuite mais les avions utilisés, n’avaient qu’une capacité d’emport de 170 gallons (643 litres), pas assez décisive.
Le Tanker 1, un avion historique. On est encore loin des avions superlatifs des années 2000… (Collection T. Chavez)
Très vite, les opérateurs, sentant qu’il y avait là un marché à prendre et des contrats à obtenir avec les collectivité locales, se sont intéressés aux avions survivants de la Seconde guerre mondiale stockés depuis la fin du conflit en attendant d’être ferraillés. B-17 Flying Fortress, A-26 Invader, B-25 Mitchell, F7F Tigercat ou PB4Y Privateer ont ainsi fait les beaux jours des entreprises de travail aérien américaines impliquées dans ce combat.
Le B-17, vétéran de la Seconde guerre mondiale, a été aussi un tanker respecté pour ses excellentes qualités de vol et sa fiabilité. Le Tanker 61 a été photographié à Long Beach en septembre 1968. Il est aujourd’hui préservé au statique au Castle Museum sous les couleurs du Virgin’s Delight. (Photo : René J. Francillon)
Les derniers TBM en service appartenaient à Forest Protection Ltd au Canada. Ils ont été remplacés par des Air Tractor au milieu des années 2000 ! (Photo : Forest Protection Ltd)
La disponibilité de ces avions et leur faible coût d’achat, ainsi que leurs charges utiles respectives en ont fait des appareils très prisés aux USA, mais aussi au Canada. Ce sont toutefois les TBM Avenger qui furent parmi les plus nombreux puisqu’on estime à environ 150 exemplaires différents qui participèrent à des missions de lutte contre les feux de forêts à un moment ou un autre. Cette imprécision est la conséquence de l’activité mixte de ces avions, pouvant parfois passer d’une utilisation purement agricole à une utilisation pompier par le seul changement du produit délivré.
Aujourd’hui encore, les tankers sont le fruit de conversions d’avions d’occasion, anciens militaires mais aussi, désormais, de jets de ligne délaissés par les grandes compagnies aériennes. Le faible coût d’acquisition de ces machines laisse une marge pour financer la transformation et maintenir l’équilibre financier de ces entreprises qui sont, bien souvent, économiquement prisonnières du Forest Service. Les évènements de 2002 et surtout de 2004, ont clairement montré les limites de ce système.
Si les avions écopeurs utilisent l’eau pour lutter contre les flammes, agent extincteur disponible en quantité et facile d’accès pour ce type d’appareils, les tankers ou airtanker, comme ils sont désignés aux USA, souffrent d’un déficit de productivité puisqu’il leur faut de toute façon retourner sur un aérodrome pour recharger leurs soutes d’agent extincteur. Cette opération peut prendre plusieurs minutes car il faut prendre en compte le temps d’intégration dans le circuit de l’aérodrome, le temps de roulage et celui du remplissage, lié à la puissance des pompes d’alimentation et le temps nécessaire pour repartir. Ce mode opératoire pourrait s’avérer très pénalisant, surtout pour les appareils les plus lourds. Certains, en particulier les DC-10, peuvent toutefois utiliser plusieurs points d’alimentation simultanément ce qui réduit d’autant leur temps d’immobilisation.
Moteurs tournants, ce Q400MR passe au « Pélicandrome » avant une mission d’entraînement. Les pompes débitent environ 1000 litres à la minute. Il faut donc 3 minutes pour remplir un Tracker et un peu moins de 10 pour un Dash.
Pour compenser cette lacune, et parce que l’expérience de l’aviation agricole et ses produits chimiques a largement servi de base au développement de ces nouvelles missions, très rapidement, l’eau seule n’est plus devenue l’arme essentielle de leur combat. Le fait d’avoir à recharger les soutes des airtankers auprès d’installations spécialisées permet d’utiliser des produits plus performants et d’un usage différent de l’eau. Si on n’oublie pas que les premiers tankers furent extrapolés d’avions agricoles spécialisés dans l’épandage de pesticides, et mis en œuvre par des équipages rompus aux opérations des « Crop Duster », il était logique, pour lutter contre les feux, de faire également appel à la chimie.
Le retardant
Dès les premières expérimentations aux USA à Willows au milieu des années 50, les tanker ont utilisé un produit non pas extincteur, mais retardant.
Largage massif d’un Convair 580 canadien aux USA en août 2016. La couleur du retardant permet de repérer facilement les zones déjà traitées. (Photo : InciWeb)
Dans un premier temps, des produits à base de chlorure de calcium, de phosphate de monoammonium ou de borax furent expérimentés, notamment lors de l’opération Firestop en 1955 en Californie. Mais ce sont des solutions à base de borate qui furent utilisées dans un premier temps, offrant à ces avions leur premier surnom « Borate Bombers ». Ensuite, ce fut au tour du phosphate de diammonium. Mais, en 1959 apparaissent deux retardants produits en quantité, le Phos-Chek® à base de phosphate d’ammonium et le Fire Trol® utilisant le sulfate d’ammonium comme principe actif.
Le retardant est un produit efficace mais couteux. Il est néanmoins inoffensif pour la faune et la flore. Il est livré par les industriel sous forme de poudre ou de pré-mélange qu’il faut encore diluer. (Dennis W. Goff/USAF)
Ces deux produits, toujours en usage de nos jours tout en ayant évolué dans leurs compositions respectives, agissent sur la pyrolyse, le mécanisme de dégradation chimique des éléments qui en fracturant les liaisons atomiques permet l’apparition des flammes. En recouvrant les végétaux, le principe actif du produit retarde la décomposition de la cellulose qui constitue l’essentiel de la structure des végétaux, dont le bois. Alors que la cellulose se décompose à 150°C et brûle, le retardant offre aux végétaux une protection suffisante pour qu’il soit nécessaire d’atteindre des températures beaucoup plus élevées (certaines sources avancent la température de 700°C) avant que cette décomposition chimique n’intervienne. Le gain de temps se trouve là.
Patch d’équipage de Tanker. Tout est dit. (Collection J. Laval)
Si le retardant n’est pas exposé au feu, il conserve ses propriétés même si l’eau qui compose encore 80% du produit déversé s’est évaporée. Ses propriétés se dégradent ensuite progressivement et en fonction de son exposition au vent et à la pluie.
L’efficacité du retardant repose aussi sur son homogénéité et sa répartition au sol. Les soutes à flux constant qui permettent d’adapter la densité du largage au type de végétation sont alors extrêmement utiles. Depuis quelques années, des expérimentations sont même faites pour repérer la position des largages par GPS afin que les largages suivants soient parfaitement positionnés pour ne laisser aucun trou dans la barrière ainsi posée.
Le retardant conserve ses propriétés jusqu’à ce que le vent et la pluie nettoient la végétation qu’il a protégé. Sur les feux de prairie, comme ici dans le Montana, il est d’une efficacité aussi redoutable qu’indéniable. (Photo : Montana DNRC)
Le retardant peut être utilisé en largage direct sur les flammes où il aura une action très proche de celle de l’eau. Largué en amont du front de flammes ou sur les flancs, il servira en revanche de barrière d’appui. Les applications de ces produits spécifiques sont plus variées que l’eau, ce qui compense largement les délais plus importants qu’il peut exister entre deux largages par un même aéronef.
De très nombreux largages ont été nécessaire pour bloquer ce feu, mais les dégâts sont restés très limités. Le retardant en application indirecte, ça marche ! (Photo : Cal Fire)
Le retardant est donc un produit terriblement efficace puisque spécifiquement conçu pour cet usage. Mais cette efficacité a aussi un coût. En 2014, chaque gallon de retardant largué par les avions en contrat avec l’US Forest Service a coûté aux contribuables US la somme de 2 $. Cette année là, 9 millions en ont été utilisés, soit un budget de 18 millions de dollars sur la saison.
Largage spectaculaire d’un DC-10 dans le Silverado Canyon (CA) en 2014. Exemple typique de largage indirect destiné à construire ou consolider une barrière de retardant dans une zone difficilement accessible aux véhicules pompiers et aux bulldozer.
D’autres coûts sont à prendre en compte comme celui des installations spécialisées sur les aérodromes, qui peuvent être fixes ou mobiles, et le coût du personnel en charge de les entretenir et de les activer. Mais là encore l’engagement de ces moyens est rarement fait au hasard.
Les Air Attack bases sont réparties sur l’ensemble du territoire californien. Ici celle de Chico, au nord de Sacramento.
Les voilures tournantes
Les avions, aéronefs à voilures fixes, ont donc, en fonction de certaines caractéristiques propres, des modes d’engagement différents. Ils sont souvent complétés, épaulés ou suppléés par les hélicoptères, qui, bien que plus discrets, n’en sont pas moins les aéronefs les plus utilisés contre les feux de forêts à l’échelle mondiale. Depuis les années 60, les hélicoptères légers, moyens ou lourds, ont réussi à trouver une place tout à fait particulière dans ce domaine.
Les HBE du Var en opérations depuis le lac du barrage du Revest dans l’arrière pays Toulonnais en août 2016. Ce sont des auxiliaires précis et efficaces et qui peuvent utiliser les plans d’eau inaccessibles à d’autres aéronefs.
Leur mode opératoire les place d’emblée dans la catégorie des écopeurs puisqu’ils peuvent prélever leur charge utile dans n’importe quel point d’eau même inaccessible autrement. Cette facilité d’emploi les rend indispensables sur feux d’autant plus qu’il peuvent aussi venir s’approvisionner en retardant si on leur offre cette possibilité avec des installations mobiles que les pompiers peuvent installer rapidement à proximité immédiate de la zone des opérations.
Les hélicoptères peuvent tout à fait opérer avec du retardant. Des installations provisoires et mobiles peuvent être installées à proximité des zones d’opérations. (Photo : Phos-Chek)
Même si leur vitesse est moindre que celle des voilures fixes, les hélicoptères compensent en opérant encore plus près du front. Si on peut s’étonner de ne pas voir d’avions écopeurs massivement en service aux USA, en Australie ou dans certaines provinces du Canada, c’est là qu’il faut trouver la réponse.
Les CH-47 obtenus auprès de l’US Army sont de plus en plus fréquents sur feux comme cet exemplaire en opérations sur le Tokewanna Fire en 2016. (Photo : InciWeb)
Dans ces régions où les points d’eau écopables sont rares, ce sont les HBE qui assurent la fonction de frappe massive avec un succès indéniable, d’autant plus que les sources d’approvisionnement utilisables peuvent quand même être nombreuses ou peuvent être acheminées mécaniquement par les pompiers ou les forestiers. Souvent, ces machines ont des capacités importantes, les hélicoptères lourds CH-47 ou CH-54 pouvant embarquer une dizaine de tonnes d’eau ou de retardant.
Largage à l’eau, au moussant ou même au retardant, les feux de forêts sont l’occasion de montrer la très grande polyvalence des hélicoptères.(Photo : Erickson Aircrane)
C’est donc aussi un des facteurs contributifs à la raréfaction des amphibies puisque leurs missions peuvent être assurées en partie par des voilures tournantes pour peu qu’elles soient prépositionnées idéalement pour éviter les longues liaisons. Les coûts des appareils sous contrat avec l’US Forest Service permettent de voir que les tarifs appliqués en 2016 aux voilures tournantes ne sont pas très éloignés des tarifs appliqués aux avions de même catégorie et de même capacité. Mais à la différence de nombreux tankers, les voilures tournantes ont l’insigne avantage d’être véritablement polyvalentes et être utilisables pour une large variété de missions dès que la saison des feux se termine.
CH-47D, 10 348 litres : 24 500 $ par jour + 7 394 $ par heure de vol
CH-54B, 10 319 litres : 22 150 $ par jour + 3 987 $ par heure de vol
S-70A, 5550 litres : 15 000 $ par jour + 3 933 $ par heure de vol
Les hélicoptères équipés d’un bambi-bucket sous élingue se transforment en quelques secondes en HBE efficaces et précis, capables de puiser l’eau dans des endroits incongrus comme ici dans la piscine de la base navale de l’US Navy à Naples lors d’un feu en 2004, ce qui permit alors d’abaisser le temps de rotation des machines à seulement 60 secondes. (Photo : Stephen Woolverton/ US Navy)
La Loi du nombre
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les avions écopeurs sont loin d’être majoritaires dans l’ensemble des flottes consacrées à lutter contre les feux de forêts. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais été. Dès les origines du concept, les avions agricoles ont été les plus nombreux. Avec la famille des AgCat, des Thrush et des Air Tractor, ces avions restent très bien représentés mais depuis, les hélicoptères les ont supplantés. Seulement une poignée de types d’avions amphibies ont été utilisés pour ces missions ; Beaver, Otter, Twin Otter, Catalina, CL-215, CL-415, Beriev 200, FireBoss. Avec 221 exemplaires produits (125 CL-215 et 96 CL-415), la famille Canadair est la plus nombreuse.
A côté de ça, la liste des tankers comporte plus d’une trentaine de types principaux dont certains, comme les TBM, les B-17, les Lockheed Electra, les Neptune, les B-25, les S-2 Tracker, les C-130, les P-3 Orion, sans oublier les quadrimoteurs Douglas, ont compté parfois des dizaines d’exemplaires convertis. La représentation populaire de l’amphibie attaquant les flammes est donc spécifique aux zones géographiques où ces appareils sont effectivement parfaitement adaptés mais elle est loin d’être généralisée à l’échelle de la planète.
Contrairement aux idées reçues, les avions capables d’écoper sont loin d’être les plus fréquents en opérations contre les feux de forêts. Les avions agricoles, les hélicoptères, mais aussi les tankers, à l’échelle mondiale, sont bien plus répandus. (Photo : Beriev)
L’argumentaire simpliste et tellement autocentré faisant du Canadair la panacée au problème des feux de forêt ne doit cependant pas masquer plusieurs points essentiels. Là où les écopeurs amphibies disposent de la topographie adaptée, ils sont presque irremplaçables. Ailleurs, leur rôle d’attaque massive et répétée peut être parfaitement assumé par les voilures tournantes. Si on en juge par la situation française, l’usage conjoint et parfaitement organisé de ces différents moyens, bien utilisés en fonction de leurs qualités propres donne des résultats remarquables mais ce modèle ne peut pas être universel tant la topographie du pourtour septentrional de la Méditerranée, et en particulier le sud de notre pays, est idéale. La topographie aux USA explique la domination des tankers mais il ne faut alors pas oublier que les missions assurées par les CL-415 chez nous, le sont par des hélicoptères lourds, là bas.
Écopeurs et tankers ont donc leurs propres raisons d’être. Il est compliqué de démontrer que tel matériel et telle doctrine sont supérieurs à d’autres tant les contextes géographiques et économiques diffèrent d’un pays à l’autre, même d’une région à l’autre. Une étude objective des avantages de chaque moyen ne peut arriver qu’à une seule conclusion juste ; ces moyens s’épaulent mutuellement. Si ces deux principes cohabitent sur feux depuis plus de 60 ans, ça ne peut être un hasard !
L’avenir des avions de lutte contre les feux de forêts est désormais incarné par les jets, comme ce RJ-85 capable d’acheminer à grande vitesse plus de 12 tonnes de retardant. (Photo : Country Fire Authority)
Plus que leurs capacités d’emport, la différenciation opérationnelle des moyens aériens repose sur la dualité « écopeur » contre « tanker » car les manières d’approvisionner ces vecteurs déterminent aussi les types d’armes et les manières de les utiliser, et donc leur pertinence et leur efficacité. Fondamentalement, ces deux principes de base ont du mal à se substituer et bien au-delà, il peuvent être aussi, et c’est là une notion véritablement essentielle, complémentaires.
(1) Tanker est un mot très générique puisqu’il désigne tout autant les pétroliers que les avions ravitailleurs en vol. Il sert pourtant d’indicatif radio pour les avions aux USA, c’est pour cela que nous l’avons conservé. Le vocable le plus adapté pour les désigner dans notre langue serait « avion bombardier à retardant » (ABR) par opposition à « avion bombardier d’eau » (ABE).
Tout l’équipe est heureuse de vous présenter le troisième épisode de cette saison.
Les habitués de ce blog reconnaîtrons facilement l’article « Tank Story » puisque c’est une adaptation de l’article « Les systèmes d’armes des bombardiers d’eau » publié sur 09-27 l’an dernier.
Deuxième épisode de la saison 2016 pour l’équipe de la Newsletter. Un nouveau numéro au sommaire bien riche, mais publié avec un peu de retard en raison des vacances.
Depuis sa fondation en 1963, la flotte d’aéronefs dédiés à la lutte contre les feux de forêts a grandement évolué. Voici quelques tableaux simples destinés à replacer les avions dans leur chronologie. Pour l’ensemble des appareils traités, en jaune, les avions possédés en propre par la Protection Civile puis la Sécurité Civile,en bleu, les avions en prêt, en location ou en évaluation.
Les avions sont identifiés de plusieurs manières. Chez leur constructeur par un numéro de série puis par leur immatriculation, cette dernière devant être lisible sur l’appareil. Les avions de la Sécurité Civile sont tous immatriculés dans la tranche F-ZB.. qui leur est réservée. Par simplicité, et suivant en cela bien d’autres exploitants d’aéronefs de lutte anti-incendie, les bombardiers d’eau reçoivent un numéro de coque d’identification rapide afin que les équipes au sol puissent savoir à qui ils ont affaire et être plus précis dans leurs communications. La numérotation des avions français relève d’une certaine logique que nous allons tâcher d’expliquer dans ses grandes lignes.
Catalina (1963-1970)
Le choix du Catalina en 1963 est indiscutable. A partir du moment où, en raison de la topographie du sud de la France et des très nombreux plans d’eau écopables le choix d’un appareil amphibie a été fait, ce type d’appareil, déjà connu en France aussi bien en utilisation militaire que civile, s’impose de lui-même. Cependant, la possibilité d’un achat de Beaver, d’Otter, monomoteurs avec des capacités inférieures, a été envisagé car d’un coût moins élevé. Dans un article publié au début des années 60, il s’avère que le Martin Mars avait été évoqué, mais avec seulement quatre avions encore existant, cette solution, moins souple et plus coûteuse, n’était guère réaliste.
En 8 saisons, les Catalina ont fait la démonstration de l’utilité de l’appui aérien et des atouts apportés par les avions amphibie. Dès lors, l’engagement de moyens aériens n’a plus vraiment été contesté. A noter que les PBY-6a ont été souvent utilisés en les remplissant au sol avec du retardant.
Le G-PBYA qui vola dans le sud de la France entre 1966 et 1967. Il est le dernier Catalina de la Protection Civile à demeurer en état de vol. Il a été photographié ici lors du meeting aérien célébrant les 50 ans des bombardiers d’eau français en juin 2013 à Aix en Provence.
Deux avions ont été détruits pendant leur service au sein de la Protection Civile (1) mais un seul mort, Bernard Humbert, fut seulement à déplorer. Les circonstances de sa disparition a entraîné la modification des tenues de vol des équipages qui ont ensuite arboré cette traditionnelle couleur orange, toujours en vigueur 50 ans plus tard.
Les Catalina étaient identifiés par une bande de couleur à l’arrière du fuselage, une solution dont les limites pouvaient être rapidement atteintes, à moins d’accepter d’avoir un jour un Pélican Taupe ou un Pélican Saumon.
Canadair CL-215 (1969-1996)
Pour succéder aux Catalina, le choix du nouveau Canadair s’est imposé de lui-même car les équipes françaises de la Protection Civile ont largement participé à la définition du premier avion jamais conçu comme pompier du ciel. Entré en service en 1969, le Canadair est rapidement devenu un avion emblématique, voire même légendaire. Retirés du service après 27 ans, les avions français ont connu un sort bien peu enviable. Plusieurs ont cependant été préservés et un seul poursuit désormais sa carrière en Turquie, preuve que l’histoire aurait pu s’écrire autrement.
Le Pélican 46 désormais exposé à St-Victoret, juste à côté de l’aéroport de Marignane, depuis le 4 février 2005. Après plus d’une décennie d’exposition aux intempéries, un petit nettoyage ne serait pas de trop.
Chronologie des CL-215 français. La séparation entre 1975 et 1976 indique le passage de la Protection Civile à la Sécurité Civile.
En 27 ans de service, trois appareils ont été détruits en opérations, causant la mort de 6 membres d’équipage. Un quatrième appareil a été coulé après un marsouinage lors d’un écopage en baie de Sagone en Corse. L’équipage a heureusement réussi à évacuer l’avion à temps. Les trois premiers avions perdus ont été remplacés. Après l’accident de 1983, la flotte s’est maintenue à 11 appareil jusqu’à l’arrivée de son successeur.
Les avions étaient identifiés par leur numéro de série constructeur. Le Pélican 01 était donc le tout premier CL-215 construit, le Pélican 47, le 47e.
Tracker Firecat (1982-2020)
Le Tracker 22 a intégré la flotte française en 1987 comme Tracker 14.
Après la terrible saison 1976 où les Canadair se sont retrouvé insuffisants contre des feux immenses causés par une sécheresse que personne n’a oublié, de la Corse à la Bretagne, la flotte de 12 CL-215 a montré ses limites. Une expansion de la flotte a été envisagée, ce qui s’est traduit par la location du Pélican 49 en 1981 (2), Canadair espérant placer de nouveaux appareils chez un de ses clients historiques, mais Conair est alors arrivé en proposant un avion terrestre, le Tracker, déjà en service au Canada et en Californie.
Le bimoteur Grumman, d’occasion, était peu cher à l’achat, la décision fut donc vite prise. Pensé pour être un avion d’intervention rapide, il s’est avéré si économique à l’utilisation qu’il s’est rapidement vu confier la mission cruciale, du Guet à Vue, appelé depuis, Guet Aérien Armé (GAAR), en patrouilles de deux avions et qui surveillent les zones à risques, prêts à frapper les feux naissant, une doctrine qui s’est avérée d’une redoutable efficacité.
Parfait complément du CL-215, le Tracker a rapidement été remotorisé avec des turbines PT-6 puis a été prolongé. Malheureusement, 7 avions ont été accidentés, causant la mort de 8 membres d’équipage, et un 8e détruit lors d’un incendie au sol. Les deux appareils perdus en 2005 et le retrait du dernier avion à moteurs à pistons l’année suivante ont réduit la flotte à seulement 9 appareils rendant les missions GAAR plus compliquées à organiser. Au total, 19 cellules différentes ont été utilisées pour une flotte dont la taille optimale était d’une douzaine d’appareils. Le retrait de service du Turbo Firecat était prévu pour 2022 ce qui aurait porté la carrière française du Tracker à tout juste 40 ans, un joli exploit pour des avions produits au milieu des années 50 mais l’histoire fut différente !
Les Tracker ont été numérotés initialement de 1 à 20 dans leur ordre d’arrivée et en tenant compte des avions achetés pour remplacer les machines perdues. Avec les allers-retours au Canada pour la turbinisation, certains avions reviennent avec d’autres numéros et durent encore en changer (le T77 devenu T23, le T12 revenu T21 et renuméroté T12) ce qui ne simplifie pas le suivi de la flotte.
Bombardier CL-415 (1995-….)
Le Pélican 32 a été le premier CL-415 réceptionné par la Sécurité Civile française. Il a été choisi en 2013 pour être l’avion porteur de la livrée commémorative du cinquantenaire des bombardiers d’eau français.
Les CL-215 français étant des toutes premières séries, ils n’étaient pas compatibles avec la turbinisation proposée par leur constructeur qui en aurait fait des CL-215T. Le lancement d’une version modernisée, rapidement baptisée CL-415, séduisit la Sécurité Civile qui en devint le client de lancement, non sans déboires. Avec des capacités accrues, le nouveau bombardier d’eau s’est montré tout à fait dans la lignée de son prédécesseur. Malheureusement, trois accidents ont endeuillé la Sécurité Civile, ajoutant 5 noms à une liste déjà bien trop longue. Si les hommes ne peuvent être remplacés, les avions perdus l’ont été dès le milieu des années 2000, permettant à la flotte de rester à son niveau idéal de 12 appareils.
Chronologie des CL-415 de la Sécurité Civile française.
Si la production du CL-415 est désormais arrêtée, le transfert des droits à la société Viking ouvre des perspectives, même si la reprise de la production n’est aucunement garantie à l’heure actuelle. Reste que le CL-415 est sans équivalent et aujourd’hui, sans successeur désigné ce qui pourrait être un problème pour le renouvellement de la flotte française, à moyen terme, dont les avions ont entre 9 et 21 ans.
Comme il était délicat de numéroter le premier CL-415 « Pélican 01 » puisqu’il aurait fait doublon avec le Tracker 01 et que l’indicatif avait été aussi utilisé avec un CL-215, les nouveaux bombardiers d’eau ont reçu un numéro de coque débutant à 31, dans l’ordre de leur affectation et sans lien avec leur numéro de série constructeur, à l’exception des numéros 40, 46 et 47 qui avaient été portés auparavant par des Canadair à moteurs à pistons.
Les lourds (1979-….)
Le DC-6 Tanker 61. Après 1990, il est stocké quelques temps à Chateaudun avant d’être vendu à Everts Air Cargo en Alaska. Il est accidenté à l’atterrissage sur une piste isolée en 2001. (Photo : Collection F. Marsaly)
Après l’épreuve de 1976, les besoins en moyen de frappe lourds n’étaient plus à démontrer. Le DC-6, un avion fiable et éprouvé, a été évalué à partir de l’été 1977 et loué à la Sécurité Civile les deux étés suivants. De 1982 à 1985, 4 de ces appareils ont été en service simultanément, ce qui conférait à la Sécurité Civile une capacité de frappe immédiate très conséquente. Malheureusement deux DC-6 ont été ensuite tragiquement accidentés avec un bilan humain terriblement lourd.
Parce que c’était des DC-6, leur numéro d’identification commençait par 6. Cette tranche avait aussi l’avantage de n’avoir été utilisée par aucun avion auparavant et d’éviter ainsi les doublons.
Le développement de la flotte se poursuit au milieu des années 80. Avec en tête la succession des DC-6 à l’avenir clairement limité, la Sécurité Civile cherche également à se doter d’un avion polyvalent et évalue en parallèle le Fokker 27 modifié par Conair et le HS.748 modifié par Macavia. C’est l’avion canadien qui l’emporte finalement. Considéré comme un bombardier d’eau moyen, l’appareil connaît une carrière tout à fait honorable de 17 saisons marquée cependant par la perte du premier exemplaire en 1989, entraînant l’achat et la transformation d’un troisième appareil. Le HS.748 n’effectue que quelques saisons en location avant d’être laissé à l’abandon puis ferraillé à Chateauroux quelques années plus tard, à la suite de la disparition de la société Macavia. Le Fokker 27 est surtout très utilisé pour des missions logistiques mais l’appareil n’étant plus pressurisé, ses capacités en étaient largement réduites.
Le Fokker 27 Pélican » 72, photographié quelques mois avant son retrait de service.
Initialement, le premier Fokker 27 modifié par Conair portait le numéro de coque 27 pour des motifs évidents, mais ce numéro était aussi porté par un CL-215. Toujours propriété du constructeur, il fut utilisé pendant deux saisons avant d’être perdu en 1989. Les deux autres Fokker prirent les numéros 71 et 72, ouvrant ainsi une nouvelle tranche de numéros de coque.
En 1990, les deux derniers Douglas laissent leur place à deux C-130A loués aux USA chez Hemet Valley Flying Services. Si la capacité d’emport est identique, 12 000 litres, le Hercules apporte une puissance supplémentaire et une polyvalence très appréciable. Parce que les deux premiers avions loués étaient les Tanker 81 et 82 dans la numérotation US et que ces numéros n’étaient pas attribués en France, ils ont été conservés. Quand les avions d’HVFS ont été remplacés par les avions de T&G, alors Tanker 30 et 31 aux USA, au lieu de devenir les « Hercules » ou « Pélican », les deux indicatifs semblent avoir été utilisés, 83 et 84, ils ont repris les numéros 81 et 82 ce qui étonne toujours.
Le Tanker 82 d’Hemet Valley Flying Services, premier C-130A utilisé en France à partir de 1990. L’avion est perdu en 1994 en Californie. (Photo : U. Schaeffer)
L’arrêt du C-130 laisse la Sécurité Civile sans moyens lourds, un déficit opérationnel qui est spécialement sensible en 2003 où plus de 80 000 ha partent en fumée dans le sud de la France dans des incendies qui font également une dizaine de victimes dont plusieurs pompiers. La situation est si terrible qu’un Convair 580 canadien est dépêché en fin de saison, une expérience renouvelée l’année suivante mais devenue alors sans objet, la saison 2004 s’avérant beaucoup plus calme.
Le nouveau gros porteur arrive en 2005, année difficile pour les bombardiers d’eau français, accompagné d’une violente polémique. Le Q400MR finit cependant par convaincre et s’annonce désormais aussi comme le futur successeur du Tracker Firecat. Avec sa soute pouvant emporter 10 000 litres d’eau ou 10 tonnes de retardant, il apporte des capacités anti-incendie s’approchant de celles du C-130 tout en étant bien plus performant que les Fokker pour les missions de transport.
Avions clairement polyvalent, les Q400MR (MR pour Multi Rôle) prennent la suite des Fokker 27 et adoptent donc leur numérotation ainsi qu’un nouvel indicatif radio, devenant ainsi les « Milan » 73 et 74. En 2017 la décision est prise d’augmenter la flotte des Dash 8 avec 6 avions neufs livrés à partir de 2019 et numéroté de 75 à 80.
Autres appareils (1967-2013)
Au cours de son histoire, la SC a loué ou évalué bien d’autres appareils.
En 1965, à l’issue du Salon du Bourget, un hélicoptère lourd Russe Mil Mi-6 est évalué avec la collaboration d’EDF mais aucun largage n’est effectué. En effet, la possibilité d’utiliser des hélicoptères lourds en remplacement ou en complément des avions devait être explorée. Une expérience plus complète est prévue deux ans plus tard avec un autre hélicoptère de même type, équipé pour le largage d’eau, mais l’appareil s’écrase faisant de nombreuses victimes dont un français de la Sécurité Civile, Jean Sandoz, la première en service aérien de cette alors jeune unité.
Le Mil Mi 6 en pleine démonstration au Salon du Bourget 1967. Quelques semaines plus tard, il s’écrasait près de Marseille. (Photo : Collection F. Marsaly)
Dans les années, 80 ce furent les G.222, C-130 et C-160 équipés de plateformes de largages modulaires qui furent rapidement testés. En 2000 la Sécurité Civile a successivement évalué à Marseille un Mil Mi 26 russe et un Il-76 (RA-76362), deux appareils très gros porteurs, ainsi qu’un Basler BT-67 (N40386), la version turbinisée du DC-3, chaque appareil ne restant que quelques jours à Marignane. Finalement, c’est l’hélicoptère lourd Erickson AirCrane, version remise à jour de la grue volante Sikorsky S-64 Skycrane/CH-54 Thare capable d’emporter 10 000 litres et de pomper sa charge dans n’importe quel point d’eau qui tire son épingle du jeu en obtenant un contrat de location à partir de 2004. Malgré l’accident mortel du N248AC dès la première saison, en Corse, le contrat a été renouvelé jusqu’en 2008.
Plusieurs AirCrane ont été utilisés en France entre 2004 et 2008. En service en Italie, en Australie et en Amérique du Nord, cet hélicoptère lourd polyvalent semble désormais souffrir de la concurrence de l’arrivée de nombreux CH-47 Chinook sur le marché civil. (Photo : Gary Sissons via Erickson inc.)
En parallèle, en 2003, face à la situation terrible, deux Mil Mi 26 sont dépêchés en renfort pour quelques semaines. Peu manœuvrant, sensibles au vent et avec un souffle rotor puissant, ils n’ont pas laissé un souvenir impérissable aux pompiers des Alpes Maritimes, où ils sont principalement intervenus.
Plus médiatisé, au point que certains se demandent même encore quand est-ce que les avions commandés par la France vont être livrés, alors qu’il n’en est bien sûr rien, le Beriev 200, amphibie à réaction, a été longuement été évalué par la Sécurité Civile. Une première visite en 2003 n’avait pas été très convaincante, l’avion présenté étant encore au stade de prototype. En 2011, l’évaluation s’est étalée sur un mois et l’avion a même été utilisé sur un feu réel avec des pilotes français et russes aux commandes. Cependant, l’appareil, en dépit de qualités réelles, possède aussi certaines lacunes sérieuses . A cette heure, et en dépit d’une relance de la production chez Beriev, rien ne dit que cet avion sera un jour en service dans le sud de la France.
Le Beriev 200 à Marignane en 2011.
Avec en tête le renouvellement des Tracker, la Sécurité Civile a profité de l’été 2013 pour évaluer longuement les capacités du monoturbine AT-802F dont deux exemplaires espagnols ont été basés à Marignane. Avec une capacité de 3000 litres environ, ces avions semblaient bien calibrés pour pouvoir remplacer les Firecat poste pour poste, mais l’évaluation a démontré que l’appareil était loin d’atteindre les performances du bimoteur Grumman et que le monoturbine n’avait pas les capacités d’un avion d’intervention à vocation nationale. A noter que le département de l’Hérault loue les services de trois appareils de ce type pour la saison estivale et qu’à l’échelle départementale ces appareils rendent de précieux services. Ces deux avions, par leur allure frêle et leur peinture rayée avaient reçu le surnom de « Maya », en hommage à une abeille de dessins-animés bien connue.
Le AT-802F a été évalué par la Sécurité Civile en 2013 mais n’a pas convaincu. Il est en service à de très nombreux exemplaire dans le monde comme ici avec l’aviation militaire croate.
Après plus de 50 ans d’histoire, la Sécurité Civile française est prête à aborder deux nouveaux chapitres avec la succession du Tracker et surtout le déménagement à Nîmes. Les très nombreux avions et hélicoptères bombardiers d’eau ne doivent pas faire oublier qu’elle exploite aujourd’hui encore une flotte conséquente d’hélicoptères de sauvetage, les fameux EC-145 Dragon et qu’au cours de son histoire, elle a compté dans ses rangs une variété incroyable d’avions destinés aux missions d’évacuation sanitaire, de liaison, de reconnaissance.
La flotte de bombardiers d’eau de la Sécurité Civile ne peut donc, bien sûr, pas se résumer aux seuls Canadair. Aujourd’hui, le matériel qu’elle utilise est bien évidemment le fruit d’une longue évolution, de tâtonnements, d’opportunités économiques ou opérationnelles, d’évaluations réussies et d’autres moins concluantes et tout montre que beaucoup de choix se sont révélés majoritairement opportuns et bien fondés.
(1) La Protection Civile devient Sécurité Civile en 1975. Aujourd’hui, la Protection Civile désigne une association de secouristes bénévoles et n’a aucun lien avec l’ancienne « Protec ».
(2) Le Pélican 49 à la si courte carrière en France, immatriculé alors C-GUKM, car propriété de son constructeur, a volé ensuite pour le compte de l’Ontario avant d’être vendu en Italie. Exploité par la SOREM, ll a été perdu en opération le 10 avril 2007 lors d’un accident à l’écopage sur le lac Durusu près d’Istanbul, l’équipage de trois hommes s’en sortant sans trop de blessures.
Après les drames de 2002 et l’interdiction de vol des C-130A et des PB4Y Privateer, les choses semblaient reprendre leur cours normal. 33 avions étaient désormais sous contrat fédéral. La saison 2003 se déroula normalement, marquée cependant par l’accident du Neptune Tanker 99 qui fit deux morts mais qui n’entraîna aucune interdiction de vol pour le type. Au printemps 2004, les équipages ont rejoint leurs compagnies pour les training de début de saison et les premières opérations dans l’est du pays.
Le 10 mai, la météo est vraiment propice au vol. Un peu partout dans l’ouest des USA, les avions décollent pour des missions d’entraînement ou pour les premiers feux de la saison. Soudain, en milieu de matinée, dans les bureaux des compagnies sous contrat avec l’US Forest Service, les fax se mettent à crépiter. Un message urgent et important du Forest Service arrive. Il faut sans doute le relire une ou deux fois pour bien imprégner ce qu’il contient : tous les contrats sont annulés séance tenante !
Pour la première fois depuis 50 ans, il n’y aura pas de bombardiers lourds fédéraux pour épauler les pompiers au sol ou intervenir au milieu de nulle-part. Tous les vols sont annulés sur le champ, les avions rappelés, ceux qui s’apprêtaient à décoller stoppés. Tout s’arrête. D’un seul coup. Brutalement.
Pendant plusieurs années, les moyens aériens de l’USFS n’ont reposé que sur ces deux types de tankers lourds, le P-3 Orion « Aerostar » d’Aero Union et le P-2 Neptune. (Photo : NIFC)
A la suite du rapport du Blue Ribbon panel, la prise de conscience des fonctionnaires américain est aussi brutale que la série d’accidents de la saison 2002. Elle est surtout tardive, puisque la commission avait rendu ses conclusions plusieurs mois auparavant, et donc totalement inattendue. Le rapport pointait le vieillissement de la flotte et les mauvaises pratiques de maintenance. Il fallait donc prendre une décision tranchée. Les avions les plus anciens sont donc purement et simplement sacrifiés et les avions les plus récents, susceptibles de retrouver des contrats, doivent désormais passer des examens pointus pour vérifier leur intégrité. En attendant, la défense des forêts de l’ouest américain repose sur d’innombrables hélicoptères bombardiers d’eau et sur les quelques avions en opérations pour le compte des collectivités locales, mais, en dehors de la flotte des Tracker californiens, ils ne sont pas très nombreux.
Pour les tankers lourds et leurs opérateurs les décisions sont abruptes : Pour les Privateer, la décision semble assez logique, l’avion avait fait son temps et avait été largement rentabilisé mais tandis que les différents rapports ont pointé de sérieuses lacunes de maintenance chez H&P et si le talon d’Achille des C-130A a été brutalement identifié, les autres compagnies prennent de plein fouet l’interdiction des Hercules contre les feux. Certaines avaient même commencé à prendre des mesures techniques pour pallier cette fragilité afin de continuer à exploiter un appareil à très fort potentiel. Mais le bannissement des versions A du Hercules ainsi décrétée entraîne alors une véritable défiance envers le type, et les compagnies qui envisageaient sérieusement d’acquérir des C-130E mettent un terme à ces velléités, comprenant qu’il serait pratiquement impossible de les exploiter et donc de les rentabiliser.
Les fidèles et increvables Douglas font aussi les frais de cette décision, en dépit de leurs capacités et de leur non-implication dans les derniers accidents. Ils sont pour la plupart revendus en Alaska mais aussi au Canada et certains continuent de voler aujourd’hui encore, y compris sur feux comme les anciens DC-4 d’Aero Union en service chez Buffalo Airways ou les trois DC-7 de Butler qui trouvent un contrat avec l’État de l’Oregon et qui font de régulières incursions en Californie pour épauler le Cal Fire.
La livré du Tanker 15, photographié en 2008 à Yellowknife (NWT) chez Buffalo Airways, ne laisse planer aucun doute sur l’identité de son précédent propriétaire, la très californienne compagnie Aero Union. (Photo : D. Joly)
Pour plusieurs dizaines de pilotes, mécaniciens et personnels administratifs, c’est un rude coup. Hawkins & Powers qui a perdu deux avions en 2002 est particulièrement sur le devant de la scène avec ces deux accidents spectaculaires. La compagnie qui avait fait le choix de conserver ses Privateer aux côtés de ses nouveaux C-130A n’a plus aucune possibilité d’exploiter ses avions. Elle disparaît très rapidement et ses avions sont revendus à ses concurrents ou stockés sur place.
Californie 2006. Les soutes RADS ont été retirées des C-130A. Un pan de l’histoire du C-130 est terminé. (Photo : C. Defever)
Le bannissement des C-130A des contrats fédéraux n’empêche théoriquement pas ces avions d’être utilisés par d’autres organismes locaux mais les compagnies ne se font guère d’illusions et les compagnies concernées voient leur activité décliner rapidement, les missions de transport ou spéciales où les C-130 sont sans égal ne constituant pas un marché très florissant. Une grande partie des C-130A ex-tankers est stockée, servant parfois de magasin de pièces de rechange pour les quelques appareils qui continuent de voler. Ainsi, les avions de T&G, compagnie devenue depuis IAR, qui avaient la particularité de n’avoir jamais obtenu le moindre contrat avec l’USFS et avaient volé sur feux en France et en Espagne ont trouvé un nouvel emploi pour des missions d’essais et d’entraînement au profit d’industriels du secteur militaire et des forces spéciales US. Les avions ont aussi été très utilisés pour lutter contre les marrées noires en modifiant leur système de largage et se sont rendus célèbre en apparaissant dans de très nombreux « blockbuster » hollywoodiens.
Le N117TG est le 18e C-130 construit. Il a volé en France comme « Hercules » 81 dans les années 90. Il vole toujours chez IAR et a été utilisé pour l’application de dispersants contre les marrées noires en utilisant une soute de Tanker modifiée. (photo : IAR)
Pour sa flotte, l’USFS édicte de nouvelles règles. Les avions susceptibles de convaincre l’agence fédérale de leur signer un contrat d’emploi exclusif doivent désormais être quadrimoteurs pour des questions de sécurité. Les P2V Neptune qui ont des moteurs à pistons épaulés par des réacteurs d’appoint et les P-3 répondent donc à cette exigence.
Si Aero Union peut respirer grâce à ses Orion, la compagnie californienne doit quand même se résoudre à pousser dans un coin de l’aérodrome de Chico ses trois P2V-7 Firestar qui ne répondent plus aux exigences de l’organisme fédéral puisque devenus bimoteurs depuis leur transformation et la suppression des deux réacteurs d’appoint.
Version extrême du Neptune tueur de feux, les Firestar sont également victimes de la décision abrupte du Forest Service en 2004. (René J. Francillon)
Les avions demeurent stockés et ils sont finalement ferraillés sans remord en 2010 au moment où l’entreprise déménage à Sacramento McClellan.
Il ne reste donc plus que les P-2 appartenant à Minden ou Neptune aviation et les P-3 Orion d’Aero Union. Ils passent alors tous entre les griffes d’inspecteurs qui valident leur processus d’entretien et leur état et peuvent donc reprendre leurs missions.
En l’espace de deux ans, la flotte fédérale, utilisable pour l’ensemble des USA, de la Floride à la Californie, a été simplement divisée par deux.
De l’inconséquence des conséquences
D’une situation délicate, la flotte est passée progressivement à un état alarmant puisqu’entre 2003 et 2014 un P-3 (le T26 en 2005) et quatre Neptune sont perdus sur accident (T99 en 2003, T09 en 2008, T42 en 2009 et T11 en 2012), entraînant la mort de 13 pilotes, et deux autres sont endommagés et mis hors service (T55 en 2012 et T48 en 2014) sans être remplacés.
Le 3 juin 2012, le Tanker 11 s’écrase avec son équipage lors des opérations sur le White Rock Fire… (NIFC)
Le même jour, le Neptune Tanker 55 effectue un atterrissage forcé avec un train partiellement sorti. Fortement endommagé, il est considéré comme économiquement impossible à remettre en service. (Kari Greer/NIFC)
Tanker 48. Opéré par Minden Air, l’avion est victime d’un problème de train d’atterrissage à Fresno en 2014. Stocké sur place, il a été démantelé en mars 2016. (Photo : NIFC)
Les conséquences sont extrêmement sensibles d’autant plus que les feux de forêts, en particulier en Californie, au cours de la décennie 2000, prennent une tournure absolument catastrophique et le déficit de la flotte fédérale devient clairement un problème national lors des immenses feux qui touchent régulièrement la région de Los Angeles à partir de 2007. Des renforts venus du Canada sont régulièrement sollicités, les Convair 580 de Conair ou de la province du Saskatchewan deviennent des visiteurs réguliers des états du nord des USA et le Martin Mars opère régulièrement en Californie de 2007 à 2009.
Mais ce sont les militaires qui sont de plus en plus souvent sollicités, avec les 8 C-130 MAFFS mis en œuvre par l’Air Force Reserve et l’Air National Guard. Au milieu des années 2000, fait unique, les 8 avions ont été activés simultanément et il est même arrivé qu’ils se retrouvent tous en opération sur le même feu !! Ces interventions constituent une dépense non négligeable car l’USFS est tenue de rembourser le Ministère de la Défense pour la mise en œuvre des plateforme dont elle est propriétaire par ailleurs. De plus, le matériel MAFFS, n’est pas le plus efficace. Il a été conçu dès l’origine pour être un outil de secours et non pas une arme de première ligne.
Juin 2008, 7 des 8 C-130 MAFFS américains sont en opérations à partir de McClellan à Sacramento (Californie). Le manque d’avions lourds en contrat avec l’USFS a conduit à activer fréquemment ces moyens de renfort onéreux et moins efficaces. (Sgt. Hector Garcia/USAF)
La situation était difficile, elle devient intenable à partir de l’été 2011.
Le 23 juillet, au cœur d’une saison tendue, l’USFS annonce brutalement à Aero Union que son contrat était unilatéralement annulé sur le champs pour non conformité des avions aux exigences de son programme de suivi d’entretien. C’est la fin de l’histoire des P-3 Tanker aux USA. Désormais sans revenu, Aero Union disparait dans les semaines suivantes.
Entre 2011 et 2016, les P-3 étaient stockés à Sacramento. Plusieurs ont récemment été convoyés vers Chico. Deux autres sont partis vers Tucson dans l’Arizona, sans doute pour être démantelés. Au moins un a été vendu à Buffalo Airways et se trouverait actuellement en Floride.
Avec cette interdiction, la quantité d’avions mobilisables tombe au chiffre record de 9 avions seulement, tous des Neptune qui ne sont plus de première jeunesse et dont l’avenir est clairement limité. Une situation inédite depuis un demi siècle. Avec leur entrée en service au début des années 90, les C-130A et les P-3 devaient incarner l’avenir de la flotte fédérale. Leur interdiction laisse les opérateurs sans solution car la nouvelle génération de tanker n’a pas eu assez de temps pour sa gestation et les faibles investissements consentis par les pouvoir publics n’ont pas permis d’accélérer le processus.
Cependant, dès septembre 2011, un premier BAe 146, le Tanker 40 de Neptune Aviation reçoit une autorisation temporaire pour opérer sur feux, il s’agit d’accéder enfin au processus d’évaluation opérationnelle. Les quadriréacteurs britanniques ont fait figure de candidats probables à cette nouvelle génération de tankers dès de le début des années 2000, mais ce programme, financé systématiquement sur fonds propres par des compagnies dont la survie économique a toujours été sur le fil, a mis une décennie pour arriver à maturité. L’avion se montre effectivement prometteur et la flotte débute son développement dans ses différentes variantes, BAe 146-200 et RJ-85.
Le premier BAe 146 Tanker effectue ses premiers largages opérationnels en septembre 2011. (Neptune Aviation)
D’autre compagnie ont fait le choix d’investir massivement dans les appareils lourds. Si 10 Tanker et ses DC-10 tire aujourd’hui les bénéfices de ses investissements, le concept du Boeing 747 Supertanker doit, lui, encore faire ses preuves.
Dans l’urgence, l’USFS annonce ouvrir ses contrats à une nouvelle génération d’avions, les « NextGen tankers » dès l’été 2012. La situation est telle que des contrats sont promis à des avions dont le programme d’essais n’a pas encore débuté comme les MD-87 d’Erickson Air Tanker ou les RJ-85 d’Aero-Flite modifiés par Conair. D’autres ne sont alors plus disponible comme le Boeing 747 d’Evergreen.
La plus grande surprise vient du contrat accordé à Coulson Flying Tanker. Après la faillite d’Aero Union, la firme canadienne, exploitant encore le dernier Martin Mars bombardier d’eau, se porte acquéreur de plusieurs brevets dont celui des soutes RADS destinées aux C-130 Hercules. En parallèle, Coulson met la main sur un ancien EC-130Q de la Nasa dans un musée du Wisconsin. Immatriculé N130FF, le nouveau Tanker 131 effectue sa première saison complète pour le compte sur Forest Service en 2014 .
Le Tanker 131 et sa soute RADS-XL en 2014 à Sacramento.
L’année suivante, c’est un L-382G, un C-130H-30 cargo civil, que Coulson lance et qui, lui aussi, obtient un des précieux contrats. Ces deux avions, qui ne sont pas des C-130A, obtiennent également un contrat avec les autorités australienne, un pays longtemps réticent à l’emploi des avions lourds de lutte anti-incendie, c’est dire à quel point le concept du C-130 Tanker arrive avec des arguments techniques et économiques imparables.
Mais l’ironie de l’histoire va encore plus loin. Avec le « shutdown » budgétaire de 2013, l’US Air Force décide de retirer sa flotte de C-27J pourtant peu usée. Cette décision ne passe pas inaperçue aux yeux du Sénateur Républicain McCain, ancien pilote de chasse et candidat malheureux à la présidentielle de 2008, qui propose, étant donné le caractère catastrophique de la flotte fédérale et des feux en cours, d’affecter un certain nombre de ces avions relativement neufs au Forest Service. Finalement, les C-27J ne semblent pas faire l’affaire et un accord tripartite est trouvé. 14 Spartan vont être livrés aux Coast Guard qui cherchent un successeur à leurs HC-130H de surveillance maritime et 7 Hercules avec un bon potentiel restant seront alors mis à disposition du Forest Service.
Le premier C-27J de l’USCG entre en service en avril 2016 à Sacramento. ( Joshua L. Canup/USCG)
Le premier des ces appareils effectue sa mission inaugurale en juillet 2015 avec une soute MAFFS, mais Coulson a obtenu au printemps 2016 le contrat pour équiper les 7 appareils d’une soute RADS qui en fera des tankers digne de ce nom.
Le nouveau Tanker 118 de l’US Forest Service, ancien HC-130H puis EC-130V pour l’US Coast Guard, entre en service en juillet 2015 avec un système de largage MAFFS qui gagnera à être rapidement remplacé par une soute RADS. (Air National Guard)
Ainsi, le Forest Service, qui n’a jamais possédé en propre que les trois DHC-2 Beaver bombardiers d’eau utilisé pour protéger la Superior National Forest à Ely dans le Minnesota, va se retrouver à la tête d’une des flottes les plus impressionnantes au monde. Si ces appareils seront sous le statut « Gouvernement Owned, Contractor Operated », propriété gouvernementale opérés par une entreprise sous contrat, ces avions, en cas de réductions budgétaires, pourraient clairement constituer une menace pour l’activité des sociétés privées du secteur avec des implications juridiques qu’on ne soupçonne peut-être pas. Néanmoins, l’exemple de la flotte du Cal Fire, également en GOCO montre qu’une cohabitation intelligente des deux systèmes est tout à fait possible, mais au cours de son histoire, le Forest Service s’est souvent montré d’une versatilité et d’un manque de clairvoyance qui en ont fait un partenaire considéré comme peu fiable, mais incontournable. (1)
Pour la saison 2016, la flotte du Forest Service est composée de 6 P-2 Neptune, 5 BAe 146, 4 RJ-85, 1 HC-130H, 1 C-130Q, 2 DC-10, 1 CL-415 et 2 MD-87 soit 22 avions. Cependant les 2 MD-87 subissent un chantier pour supprimer les problèmes de jeunesse découverts lors de leur première saison et n’ont encore participé à aucune opération. 2 BAe 146, le L-382G, 2 RJ-85 et 2 CL-415 sont théoriquement en Call When Needed. Un troisième DC-10 devait être aussi en renfort mais le Cal Fire a signé un contrat pour pouvoir en disposer à discrétion.
En 2016, les C-130 et les RJ-85 constituent donc l’avenir de la flotte fédérale US… et celle de l’Australie puisque cette photo a été prise à Avalon pendant les opérations de l’hiver 2014-2015. (Phos Check Australia)
Lorsque les 7 nouveaux tankers du Forest Service seront opérationnels, si les MD-87 finissent par résoudre leurs problèmes de jeunesse et si le Boeing 747 de Global Supertanker Service parvient à convaincre, on peut espérer que la flotte fédérale puisse, à l’horizon 2020, revenir à son niveau de 2003 en termes de nombre d’appareils, avec, cependant, une nette amélioration de quantité de retardant immédiatement libérable et une modernisation de la flotte indéniable.
Il aura donc fallu plus de 15 ans pour que les Tankers US surmontent leur cauchemar du début des années 2000…
(1) MàJ 10/2020 : Après deux saisons où un des deux C-130 a volé avec une soute MAFFS, l’USFS a renoncé à son programme et les avions ont été transférés au Cal Fire.
Au cours de l’été 2002, l’histoire des avions de lutte contre les feux de forêts aux USA prend une tournure tragique. Deux avions sont perdus en vol dans des circonstances glaçantes. C’est donc un véritable électrochoc qui touche l’administration américaine. Lorsque vint le temps des décisions, celles-ci furent claires, nettes, abruptes et définitives. Si certaines furent logiques, d’autres prêtent plus à polémiques. 15 ans plus tard, les conséquences de cet été tragique, ce cauchemar des pompiers du ciel US, sont encore extrêmement visibles et sensibles.
Firestar, Privateer, Neptune et DC-7, un rêve pour spotter averti ! L’histoire de ces 5 tankers lourds photographié à Rapid City dans le Dakota du Sud en 2001, et montrant ainsi toute la diversité des moyens du Forest Service, va être bouleversée par les évènements qui vont survenir l’année suivante. (photo : Rapid City Wildland Fire Division)
Aux USA, la gestion des territoires et espaces naturels incombe à différentes administrations, ce qui donne un maillage territorial particulièrement morcelé. La complexité du système de responsabilité est aggravé par les objectifs antagonistes qu’ont parfois ces administrations comme les affaires indiennes, l’aménagement du territoire, la gestion de la chasse et de la pêche, les services forestiers, l’armée ou les parcs nationaux, sans oublier les administrations locales, états, comtés ou municipalités. Chacune de ces administrations dispose de la possibilité d’employer des aéronefs de lutte anti-incendie, en propre ou sous contrat, pour protéger les territoires dont elles ont la charge. Mais pour offrir une vraie protection aérienne aux administrations les plus pauvres ou qui ont fait le choix de s’en remettre à Washington, l’état Fédéral loue les Tankers les plus volumineux par l’intermédiaire de l’US Forest Service, dépendant du ministère de l’agriculture. Ces appareils sont généralement sous contrat pour plusieurs saisons, à des tarifs attractifs, ce qui fait que les contrats fédéraux sont les plus recherchés par les opérateurs de bombardiers d’eau US.
Au début des années 2000, alors en service depuis une dizaine d’années, les C-130A et les P-3A, représentaient toujours l’avenir de la flotte de l’USFS. Il n’en a finalement rien été. (Photo : C. Defever)
En 1970, la flotte fédérale d’avions sous contrat avec l’US Forest Service comptait 57 avions, parmi lesquels on trouvait encore des B-17 et des C-119, appareils qui furent retirés dans le courant de cette décennie-là et au cours de la suivante. La succession de ces appareils fut assurée par des P-3 et des C-130A à partir du début des années 90.
En 2002 cette flotte à vocation nationale comptait encore 44 appareils, 6 C-130A, 5 PB4Y Privateer, une douzaine de DC-4, 3 DC-7, un DC-6, quelques P-3 Orion et des P-2 Neptune de différentes versions dont 3 Firestar. Ces avions avaient des capacités allant d’environ 7000 litres pour les Neptune à 12 000 pour les quadrimoteurs.
Extraordinaire photo d’un Firestar d’Aero Union en opérations du côté de Los Angeles. Plus léger, plus simple à entretenir et surtout disposant d’une soute « constant-flow », cette version du Neptune ne manquait pas de qualités. (Photo : L. Jarzomb)
17 juin 2002.
A l’ouest de la Californie, près de la ville de Walker, un feu a éclaté. Depuis quelques heures, le C-130A Hercules Tanker 130 de la compagnie Hawkins & Powers, en service pour l’US Forest Service, effectue des rotations entre le feu et l’aérodrome de Minden, à une soixantaine de km de là, pour remplir et larguer autour du feu sa charge de 12 tonnes de retardant. A son bord, Steve Wass, Craig LaBare et Mike Davis.
Le Tanker 130 appartenant à la compagnie Hawkins & Powers décolle de Klamath Falls, Oregon, en juillet 1990. (Photo : René J. Francillon)
Il décolle à 14h29 locale pour son sixième largage avec une pleine charge de retardant. A 14h45, alors qu’il termine un largage en deux temps, à très basse altitude et devant les témoins abasourdis, l’avion s’écrase. Une équipe de télévision locale couvrait l’évènement et a filmé l’accident dont les images font immédiatement le tour du monde. On y voit distinctement l’aile se briser en son milieu.
Walker (CA) 17 juin 2002, 14h45 locale. Le Tanker 130 et son équipage sont victimes d’un dramatique accident. (capture Fox TV)
Devant ce drame, le Forest Service n’a pas le choix, tous les C-130A alors sous contrat sont cloués immédiatement au sol.
18 juillet 2002
A peine plus d’un mois plus tard un PB4Y Privateer de la même compagnie Hawkins & Powers, le Tanker 123, également en contrat avec l’USFS, est engagé contre un feu qui ravage les collines autour de la ville d’Estes Park dans le Colorado à partir de l’aéroport Jefferson County (Jeffco) près de Broomfield, CO.
Tanker 123 en action. (H&P)
Vers 18h40, heure locale, alors qu’il s’apprête à effectuer son huitième largage de la journée et qu’il débute son approche par un virage à gauche à 15 ou 20° d’inclinaison, l’aile gauche s’arrache et l’avion plonge vers le sol en s’embrasant, ne laissant aucune chance d’en réchapper à son équipage de deux hommes, Rick Schwartz et Milt Stollak.
Le 18 juillet 2002, le Privateer Tanker 123 de la compagnie Hawkins and Powers explose en plein vol dans le Colorado. (photos : Matt Inden)
Les quatre PB4Y survivants rejoignent alors leur base de GreyBull dans le Wyoming pour être immobilisés en attendant les résultats de l’enquête.
La fin de saison se fait donc sans l’aide de ces deux types d’avions mais l’inquiétude règne parmi les équipages concernés. Le fait que l’accident du C-130 soit filmé et diffusé à l’envi sur toutes les télés du monde entier pèse extrêmement lourd dans la balance. Aujourd’hui encore, dès qu’il est question de Hercules sur feux, ce sont ces images, choquantes, inoubliables, dramatiques mais spécifiques qui viennent à l’esprit et peu importent les raisons exactes de l’accident, le discrédit est jeté sur le Hercules.
A ceci s’ajoute aussi le souvenir des différents procès et procédures judiciaires, dont certaines étaient alors encore en cours, qui ont suivi l’accord établi entre les armées, le Forest Service et les sous-traitants contractuels pour permettre l’attribution des Hercules en surplus à des conditions très favorables pour leurs exploitants, ce qui a entraîné un scandale national majeur.
Deux enquêtes sont diligentés par le NTSB et ce que découvrent alors les enquêteurs fait froid dans le dos.
Un Service Bulletin (82-557) de février 1985 recommandait de supprimer certains renforts des surfaces inférieures de la section centrale de l’aile sur les C-130B et E car « ils étaient une source potentielle de formation de points de fatigue ». Or, les C-130A n’étaient pas concernés car Lockheed n’assurait plus le suivi de ces versions anciennes du Hercules et le SB édité ne s’appliquait donc pas, règlementairement, à eux.
L’analyse de l’épave du Tanker 130 montrait pourtant clairement que la rupture de l’aile était la conséquence directe de l’apparition de criques à la surface de l’aile, certaines longues de plusieurs centimètres, partant de trous de rivetage de la « wing box », au niveau des longerons 16 et 17. Ces fissures importantes étaient la conséquence directe du caractère difficile des missions de lutte contre les feux, menés à basse altitude, souvent dans les turbulences, où les facteurs de charge peuvent être importants et répétitifs.
Cependant, les criques auraient pu être découvertes facilement en utilisant des « méthodes d’inspection non destructives » en particulier par radiographie capable de détecter des fissures à partir de 0.50 (12,7 mm) ou de 0.75 pouces (19,05mm), sachant que certaines atteignaient 12 pouces (30,48 cm) ! Une fois ces criques détectées, des remèdes étaient possible à commencer par le remplacement des parties fragilisées. Certes, ces opérations ont un coût, mais les performances des Hercules semblaient le mériter. Au pire, les avions les plus endommagés auraient pu être retirés du service à temps. Le rapport d’accident de la FAA pointait aussi le fait que la maintenance des avions de H&P était effectuée sans tenir compte des contraintes structurelles plus importantes que subissaient ces avions dans leurs missions actuelles par rapport à leur usage militaire courant. Les inspections auraient dû être 12 fois plus fréquentes que recommandé.
Des inspections confirmèrent l’apparition de ces criques sur les autres appareils de la compagnie. Dans la foulée, l’enquêteur du NTSB George Petterson décida de réouvrir le dossier d’un précédent accident d’un C-130A de lutte contre les feux de forêt, le Tanker 82 tombé dans le sud de la Californie en 1994. En finançant lui même des recherches sur les lieux de l’accident et des analyses de débris, il parvint à la conclusion que l’accident de cet avion était déjà dû à la fatigue structurelle de l’appareil. Si l’enquête avait été mieux menée à l’origine, le drame du Tanker 130 aurait sans doute été évité. M. Petterson sera officiellement récompensé pour cette conscience professionnelle en 2014 par l’attribution du Walt Darran International Fire Fighting Award.
A Walker, non loin du lieu du drame, la stèle érigée en mémoire de l’équipage du Tanker 130. (DR)
L’enquête sur le Privateer 123 statuait également à un immense problème de maintenance. En service avec H&P depuis 1969, l’avion avait accumulé environ 8000 heures de vol depuis. C’est à la jonction aile-fuselage qu’une crique de fatigue, d’une longueur de 53 cm, s’était propagée à partir d’un trou de rivetage et s’était étendue jusqu’au longeron. Cette fissure n’était pas détectable à l’œil nu en raison de la présence des réservoirs de retardant à l’intérieur du fuselage. Le rapport du NTSB tira donc la conclusion que les procédures de maintenance n’était pas adaptées.
Très appréciés par leurs capacités, les Privateer ont combattu les feux aux USA des années 60 jusqu’à 2002. (Photo : BLM)
Pendant ce temps, de son côté, l’USFS organisait un audit profond de ses opérations sous l’égide d’un « Blue Ribbon Panel » (un panel ruban bleu), un audit de très haut niveau composé d’experts devant se prononcer avec la plus grande objectivité et indépendance. Le rapport final est publié en décembre 2002 et parmi les idées du comité d’experts, on trouve le remplacement des avions alors en service par des appareils plus récents, en particulier par des P-3B Orion et des Hercules de types B, E voire H. En parallèle, l’USFS annonce officiellement que les 11 avions (4 Privateer, 7 Hercules) cloués au sol après les accidents sont radiés des listes des candidats éligibles aux contrats fédéraux. Pour les compagnies ayant fait le choix du C-130A au début de la décennie précédente, le coup est rude.
Pour la saison 2003 qui se présentait alors, la flotte fédérale pouvait encore compter sur 33 Tankers lourds, Neptune et Firestar, Douglas DC-4, DC-6 et P-3A Orion. Elle se déroula toutefois sans problème majeur jusqu’au 3 octobre lorsqu’au cours d’un convoyage entre Prescott (AZ) et San Bernardino (CA), le Neptune Tanker 99 de Minden s’écrasa près de East Highlands CA, après être entré dans un nuage à basse altitude, tuant Carl Dobeare et John Attardo, son équipage. Un cas classique de désorientation spatiale et un avion sans doute perdu pour être entré dans la couche au mauvais endroit.
Le Neptune Tanker 99 de Minden Air Corp. en action. (Incidentcontrol.com)
Au cours de l’hiver suivant, les activités de maintenance annuelles suivirent leurs cours pendant que les équipages pouvaient goûter à un repos bien mérité, jusqu’au début du printemps, période à laquelle les training commencent afin de revalider les qualifications. La saison 2004 devait être une saison comme les autres, il n’en sera rien.
Autrefois maîtres des cieux et maîtres des mers, les hydravions et avions amphibies sont dans l’aéronautique contemporaine, désormais très marginalisés. Le 23 juillet dernier, deux nouvelles ont remis au premier plan de l’actualité ces fascinants aéronefs hybrides.
Alors que les hydravions géants sont devenus les dinosaures de l’histoire de l’aviation, en Chine, à Zhuhai dans le sud de la Chine, juste à côté de Macao, Aviation Industry Corporation of China (AVIC) a procédé, le 23 juillet dernier, à la sortie de chaîne d’assemblage de son avion amphibie AG600, après plus de deux ans de travail. Les images montrent un appareil imposant et les chiffres qui sont annoncés le confirment bien.
Cérémonie du Roll Out du nouvel AG600 construit à Zhuhai. (Photo : News.cn)
38,8 mètres d’envergure, 36,9 m de longueur et 12,1 mètres de haut, le AG600 a une masse maximale au décollage de 49 tonnes (53,3 selon China.org). Avec une vitesse maximum de 560 km/h et une distance franchissable pouvant atteindre, au mieux, 4500 km, cet appareil peut donc patrouiller de très nombreuses heures.
Il est présenté par les différents médias qui ont repris les informations des agences de presse chinoises comme devant être utilisé pour combattre les feux de forêts et effectuer des missions de sauvetage en mer, de bien pacifiques missions.
Imposant, l’AG600 a bien hérité de l’allure générale du Harbin SH-5. (Photo : News.cn)
Mais en fait, le AG600 doit plus être considéré comme le successeur du Harbin SH-5, un avion construit à seulement 7 exemplaires et dont au moins 4 sont entrés en service dans la Marine chinoise. Peu d’informations circulent sur ces avions qui effectuent des missions de patrouille maritime et de surveillance côtière.
La seule photo connue d’un Harbin SH-5 en configuration bombardier d’eau. (Photo : DR)
Un exemplaire a toutefois été modifié et évalué comme bombardier d’eau, mais le projet n’est pas allé plus loin.
L’AG600 qui est très clairement une extrapolation modernisée du Harbin, aurait été commandé à 17 exemplaires devrait reprendre ces missions. Même si la Chine est très durement touchée par les feux de forêts, les véritables priorités sont à rechercher du côté maritime comme les récents conflits territoriaux avec le Japon pour des archipels isolés comme les îles Senkaku l’ont démontré. Parmi les autres missions que son avion est en mesure d’effectuer, le constructeur met en avant l’exploration et la recherches de ressources naturelles, le transport de fret et celui de passagers.
Cette priorité se ressent sur certains des chiffres communiqués. L’AG600, en dépit d’une masse maximale de 50 tonnes, n’écoperai que 12 000 litres d’eau, c’est à dire autant qu’un Beriev 200, qui lui rend presque 10 tonnes sur la masse maximale au décollage (1). L’un est optimisé, l’autre non. Le constructeur ajoute que l’appareil est en mesure de supporter des vagues de 2 mètres, un atout véritable pour les missions de sauvetage ou d’exploration, les avions de lutte anti-incendies se contentent généralement de performances beaucoup plus modestes en ce domaine. Il ne fait dès lors que peu de doute que l’AG600 est avant tout un avion militaire.
Le nouvel AG600 en configuration bombardier d’eau. (Document : AVIC)
Les deux Mars au mouillage de Sproat Lake en juillet 2016. (Photo : Jay Selman via Coulson Flying Tankers)
Désormais sans contrat et donc en retraite de son métier de pompier du ciel depuis 2013, en dépit d’une pige très médiatique en 2015, le Hawaii Mars, tout comme son « sister ship » Philippine est au coeur d’un palpitant feuilleton. Un temps prévu pour être convoyé au musée de l’US Navy, et repeint à ses couleurs militaires, le Philippine Mars est toujours au Canada, l’accord entre Coulson et l’US Navy étant difficile à conclure. En attendant, il y a quelques semaines, Coulson annonçait que l’avion pouvait être loué pour permettre à des pilotes (aisés) de mettre une ligne « Martin JRM-3 Mars » dans leur carnet de vol. Ainsi, l’avion pourrait être maintenu en état de vol, et surtout, les qualifications de son équipage, prolongées à moindre frais. Pour ainsi toucher aux commandes d’un des plus incroyables avions encore en état de vol, la somme demandée était de 25 000 $.
Le convoyage du Hawaii Mars pouvait être suivi en temps réel sur internet. La vitesse de 201 est atteinte en descente et avec une bonne composante de vent arrière, la croisière s’étant effectuée aux alentours de 150 kt.
Afin de promouvoir son avion et peut-être lui trouver un acheteur passionné, le Hawaii Mars participe cette semaine au Fly In de l’EAA à Oshkosh, dans le Wisconsin. L’avion a effectué le voyage entre Port Alberni et Oshkosh ce même 23 juillet, un vol d’un peu plus de 7 heures.
Le T Shirt officiel de l’EAA Venture 2016 ne laisse aucun doute sur l’avion qui tient le rôle de vedette du show cette année. (Doc : EAA)
Les organisateurs du Fly In ne s’y trompent pas et comme le montre le T-Shirt officiel de l’évènement, c’est bien le grand hydravion rouge qui sera la grande vedette du Show 2016.
Lors d’un interview accordé à la presse locale, Wayne Coulson a confié qu’un des objectifs de la présence de cet avion dans le Wisconsin est de lui trouver peut-être un nouveau propriétaire, à défaut d’un nouveau locataire, et qu’il espérait en trouver un qui connaîtrait le même coup de cœur que celui qui l’a mené à acquérir ces deux avions il y a bientôt 10 ans. Le prix demandé n’a rien de délirant, puisque pour devenir le propriétaire d’un avion qui relève autant du Yatch que du monument historique, il faudra débourser 3 million $. Certes, cette somme est élevée, mais sur le marché des avions de collection, elle positionne le Mars comme un appareil « abordable ». Cependant, ses contraintes opérationnelles le réservent à quelques épicuriens passionnés qui ne doivent pas courir les rues, même à Oshkosh !
Kermit Weeks aux commandes d’un des avions les plus exceptionnels de l’histoire, au cours d’un des vols préparatoires au raid vers Oshkosh. (Photo : K. Weeks)
Lors du vol de convoyage, le célèbre collectionneur Kermit Weeks se trouvait à bord. Il a abondamment approvisionné les réseaux sociaux au cours du vol de ses photos et de ses impression d’un vol absolument exceptionnel. Serait-il candidat à accueillir le Hawaii dans ses collections ? C’est une question que Wayne Coulson lui a sans doute déjà posé !
Aujourd’hui presque relégués aux oubliettes de l’histoire, les hydravions géants – qui peuvent être aussi amphibies – ne referont pas de retour en force, car ce nouveau programme chinois ne bouleversera sans doute pas le paysage aéronautique mondial, mais il est emblématique à plus d’un titre. La coïncidence de son « Roll Out » et du long vol du Mars vers le plus grand meeting aérien du monde n’est juste qu’un épisode amusant de cette longue histoire, mais pour le Martin Mars, les enjeux de sa participation à cette manifestation sont clairement majeurs et décisifs.
(1) Sur le Beriev, les 12 000 litres ne peuvent être atteints qu’après avoir consommé une partie du carburant afin de ne pas dépasser cette fameuse masse maximale au décollage. On peut espérer que l’équipage de l’AG600 n’aura pas à trancher entre charge utile et carburant.
Après un été 2015 difficile, l’équipe de la Newsletter s’est agrandie et nous accueillons désormais Philippe Laurent qui a pris le relais de Cyril pour la partie graphique de la Newsletter.
Voici notre premier numéro pour cette année.
Pas de surprise, l’article sur le Boeing 747 Supertanker est bien une variation de celui publié ici même au mois de mai.