Le destin tourmenté du Beriev 200

C’est un dossier qui est ouvert depuis plus de 15 ans et dont les résurgences sont aussi régulières que la marée sur la côte Atlantique, phénomène accentué et entretenu par les réseaux sociaux et la presse non-spécialisée : le remplaçant des Canadair de la Sécurité Civile sera le Beriev 200 !

Avec des chiffres très flatteurs, 12 000 litres d’emport, une vitesse de croisière doublée et des contraintes d’écopage sensiblement équivalentes à celles de l’amphibie canadien, ce qui justifie son prix plus élevé que son concurrent canadien, le jet russe ne manque pas d’arguments. Mais l’histoire s’avère bien plus complexe qu’une simple affaire de chiffres et le Beriev 200 n’est peut-être pas l’avion idéal tel qu’il est parfois décrit, avec souvent beaucoup de complaisance.

Beriev 200 Bourget fly 1024

Sous cet angle, le Beriev 200 est clairement une très élégante machine.

Le Beriev 200 est un projet lancé dans les derniers mois de l’URSS et se présente comme une évolution civile, et plus petite, du Beriev A40 de patrouille maritime. Ce projet est validé officiellement en décembre 1990. La naissance de la CEI en décembre 1991 ne remet pas en cause le futur appareil mais il faut attendre l’année suivante pour que la construction du prototype soit lancée. Le « roll-out » se déroule le 11 septembre 1996 et le premier vol n’intervient que le 24 septembre 1998. L’année suivante l’appareil fait une apparition remarquée au Salon du Bourget avant d’effectuer ses premiers essais marins au mois de septembre. Il effectue ensuite une tournée des grands salons aéronautiques, en Russie, en  Asie et en Europe pour tenter de séduire des clients potentiels.

La chaîne de montage des Beriev 200 (Photo : Beriev)

En 2002, l’appareil fait une première apparition à Marseille. A cette époque là, la Sécurité Civile était à la recherche d’un successeur pour les C-130 qu’elle a loué jusqu’en 2000, appareils capables d’emporter 12 000 litres, c’est à dire la même contenance que le jet russe. Le Beriev 200 revient l’année suivante pour une démonstration plus complète. L’appareil présenté étant un prototype, il est encore loin d’avoir la qualité de finition qu’on attend d’un appareil de série, mais les équipes françaises invitées à bord en ressortent hélas avec une image assez négative.

Beriev 200 Bourget cockpit

Le Beriev 200 dispose d’une planche de bord et d’une instrumentation d’une indéniable modernité.

Les années qui suivent sont marquées par l’arrivée des Q400MR et par une polémique immense. Là encore, l’image du Beriev 200 « avion idéal par excellence » apparaît souvent en filigrane derrière les critiques portée contre le biturbopropulseur.  Mais parmi les missions destinées au nouveau gros porteur se trouvaient non seulement l’appui massif, le GAAR mais aussi des missions de transport pour lesquelles l’utilisation d’un amphibie ne se justifie clairement pas.

Pendant ce temps, le Beriev effectue ses premières missions opérationnelles. En Sardaigne tout d’abord puis en Italie, au Portugal et en Indonésie. A chaque fois, il s’agit d’une présence pour évaluation ou de contrats de location saisonniers.

Le Beriev 200 RA-21516 au-dessus du Portugal en 2007. (Photo : Beriev)

Parallèlement, une production en petite série est lancée pour Emercom, l’entité gouvernementale russe en charge de la gestion des risques naturels. Quatre appareils sont donc construits et livrés entre 2003 et 2006. Un cinquième appareil est produit en 2007. Il est cependant revendu l’année suivante à l’Azerbaidjan, seul client à l’exportation du Beriev pour le moment.

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Le seul Beriev exporté a été acquis par l’Azerbadjan. Il s’agit de l’ancien RF-31769 d’Emercom. (Photo : Beriev)

En 2010, d’importants feux touchent la Russie. La situation est si terrible que l’aide internationale est requise et un Q400MR de la Sécurité Civile française est même dépêché quelque jours sur place. Vladimir Poutine, alors Premier Ministre, se fait filmer à bord d’un Beriev au cours d’une mission opérationnnelle, et annonce alors la commande d’avions supplémentaires pour Emercom.

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Un des Beriev Be-200 en service en Russie au sein de l’agence des situations d’urgence. (photo : Emercom)

En 2011, le Beriev 200 est à nouveau présenté au Salon du Bourget et dès la fin de la manifestation s’envole en direction de Marseille où il est évalué un mois durant par des pilotes français, qui le pilotent même sur des missions feux réelles. Sans qu’il ait été dévoilé publiquement, les rumeurs font état d’un rapport final négatif des pilotes de la Sécurité Civile. La consommation de carburant de l’avion russe serait élevée en basse altitude obligeant à limiter la charge utile au profit du carburant pour disposer d’une autonomie convenable. Son comportement sur feu serait rendu compliqué par ses commandes de vol électriques optimisées pour le vol en croisière qui privent donc l’équipage de certaines sensations physiques, obligeant les pilotes à garder un œil sur les instruments lors des opérations à basse vitesse et basse altitude ce qui peut être problématique en mission feu. L’avion a aussi tendance à reprendre rapidement de la vitesse au cours des passes de largage, en l’absence d’aérofreins, ce qui joue sur la précision mais surtout sur la sécurité des vols. Il semble donc que le Beriev ne soit alors plus une option à la succession des 415 français.

Beriev 200 Marseille Canadair

Juillet 2011, le Beriev 200 est à Marseille pour une période d’évaluation intensive.

L’avion a cependant ses partisans, en particulier aux USA, où l’appareil a effectué en avril 2010 une campagne de promotion dans les état de l’Ouest au moment où les moyens de l’USFS étaient au plus bas. Walt Darran a eu le privilège d’être un des pilotes invités à voler sur le Beriev à cette occasion. Même si la tradition des « Tanker » US reste bien implanté, de plus en plus de places sont données au « scoopers », aux écopeurs, CL-415 mais surtout AT-802F Fire Boss dont la productivité, dès qu’un point d’eau utilisable est à proximité du feu à combattre, est sans commune mesure avec les autres appareils chargés au retardant sur des aérodromes. A la suite de ces quelques vols de démonstration, une société, IES, International Emergency Services, s’est constituée pour exploiter ces avions sur le territoire US et les proposer pour les contrats locaux ou fédéraux. Cette société a depuis annoncé qu’elle cherchait à acquérir la licence de production du Beriev pour pouvoir en produire une vingtaine d’exemplaires sur le sol américain. Pour l’instant, le projet existe toujours, mais ne demeure… qu’un projet. De son côté, l’USFS a misé sur une nouvelle génération de Tankers qui semblent donner satisfaction. Le programme des contrats alloués par l’organisme fédéral pour les années à venir ne tient absolument pas compte de l’amphibie Beriev.

On est également sans nouvelle du partenariat qui avait été établi avec EADS, désormais Airbus Group, avec comme objectif une « occidentalisation » de l’appareil avec, notamment, l’échange de ses réacteurs D436TP par des Powerjet SAM146. (1)

Voici, après de nombreux recoupement, un état, en 2015, de la production du Beriev 200 et de ses utilisateurs Beriev 200

Notons au passage que la motorisation du Beriev 200, comme de nombreux autres appareils russes, relève du bureau d’étude d’Ivchenko-Progress, une société Ukrainienne, ce qui n’est pas totalement anodin si on n’oublie pas les relations que les deux anciens membres de l’URSS ont actuellement.

La communication autour du Beriev 200 est aussi polluée par les très nombreux communiqués fantaisistes annonçant régulièrement la signature de contrats de vente ce qui est extrêmement trompeur mais qui semble relever d’une volonté manifeste de maintenir l’avion visible médiatiquement.

A la fin du mois de mai 2016, sur son nouveau site de production de Taganrod, Beriev a organisé la cérémonie du « roll out » du premier exemplaire du nouveau lot produit à la suite de la commande faite après les dramatiques feux de 2010. 11 nouveaux avions sont prévus pour le moment, 6 Be-200ES pour le Ministère des Situation d’Urgence, 1 Be-200ES  et 4 Be-200PS de patrouille maritime pour le Ministère de la Défense russe. Cette nouvelle version apporte son lot d’amélioration dont une cellule renforcée et une avionique plus récente. Un point d’emport de charge sous les ailes a même été ajouté, initialement pour emporter des équipements de sauvetage mais plus certainement pour apporter une capacité offensive à la version de patrouille maritime Be-200PS. Rien n’indique, cependant, que les lacunes pointées par les pilotes français impliqués dans l’évaluation de 2011 en France, aient été corrigés.

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30 mai 2016. Le premier Beriev 200ES construit à la suite de la commande de 2010 sort de son hangar d’assemblage. On note la présence, derrière lui, de plusieurs autres appareils à différents stades d’avancement. (Photo : Marina Lystseva)

17 ans après son premier vol, et en dépit d’une relance récente de la production, le bilan industriel du Beriev 200 est clairement insatisfaisant pour un constructeur qui estimait, en 1998, son marché potentiel à quelques 500 machines. Pourtant, sur le papier, c’est un bombardier d’eau et un avion de recherche et sauvetage avec un vrai potentiel mais qui lutte pour convaincre même dans son propre pays. Aujourd’hui, son avenir semble clairement limité.

Beriev 200 Bourget Largage

En dépit des efforts du constructeur, notamment lors du Salon du Bourget 2011, les chances de voir un jour des Beriev 200 aux couleurs françaises restent encore faibles.

Avec la dégradation très nettes des relations entre les états de l’Union Européenne et la Russie de Vladimir Poutine, la crise ukrainienne et ses conséquences, dont découle le scandale des navires Mistral, il est clairement difficile d’envisager sérieusement, à court voire moyen terme, l’acquisition d’appareils d’origine russe pour des missions gouvernementales aussi emblématiques.

L’arrêt de la production du CL-415 par Bombardier aurait pu sonner comme un nouvel espoir pour le jet russe jusqu’à l’annonce, en juin 2016, de l’acquisition par Viking Air Ltd de l’ensemble du programme du bombardier d’eau canadien. Ainsi, l’espoir de voir sa production être relancée, pour peu que les clients potentiels expriment une demande suffisamment importante pour la justifier, laisse entrevoir la possibilité d’une succession logique aux dizaines de CL-215 et même CL-415 encore en service aujourd’hui, un marché auquel l’avion russe était clairement candidat.

Reste que tant que les critiques raisonnées des pilotes français ne seront pas prises en compte cet avion au potentiel évident restera handicapé pour sa mission principale et aura du mal à prétendre à intégrer un jour la Sécurité Civile, nonobstant les problèmes liés à la géopolitique et aux relations internationales.

Article publié initialement le 3 août 2015, modifié le 7 novembre puis le 29 juin 2016 et le 8 août 2019.

 

(1) La signature du protocole d’accord entre Safran et UAC pour la remotorisation du Beriev 200 est enfin annoncée en mai 2018. Il est unilatéralement annulé par la Russie en avril 2019.

Retour sur les 50 ans de la BASC en 2013

Le 1er et le 2 juin 2013, cinquante ans et quelques jours après que le premier Catalina bombardier d’eau français a posé ses roues sur la piste de l’aérodrome de Marignane, la Base d’Avions de la Sécurité Civile française célébrait son cinquantenaire au cours d’un weekend mémorable.

La localisation de la BASC sur l’aéroport international de Marseille, avec un plan vigipirate actif, fait qu’il est impossible d’accueillir du public en zone aéroportuaire et donc sur l’emprise de la Sécurité Civile, pour des question autant règlementaires que sécuritaires. Cependant, à l’occasion de cet anniversaire, la base a été autorisée à recevoir ses très nombreux invités sur son terrain, là où les attendait une exposition statique alléchante. Munis de la précieuse invitation nominative, ce sont à bord de navettes que les officiels, les VIP, les anciens de la base, les familles et quelques heureux veinards ont abordé le parking aux « Pélicans. »

A l’intérieur d’une zone, délimitée précisément par des barrières, il était possible d’arpenter librement pour visiter les installations de la base, les ateliers de maintenance ou de rencontrer tout le personnel de la base, affairé à la bonne organisation de l’évènement mais néanmoins disponible.

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Un Catalina, un CL-215 et le Pélican 32 permettaient d’embrasser en un coup d’œil, 50 ans de bombardiers d’eau en France.

Il faut imaginer quelques instants la complexité de l’organisation de cet évènement semi-public sur un parking avions à l’accès très règlementé car situé sur un des aéroports les plus sensibles du pays. Arriver à faire admettre l’accès de quelques centaines d’invités relève alors de l’exploit. Pour faire bonne mesure, l’exposition statique présentée permettait de découvrir les avions aujourd’hui en service, deux légendes immortelles et un candidat à intégrer la flotte. Tous les appareils présentés étaient visitables. Certains ont découvert avec une grande surprise, la technique et la souplesse requise pour accéder au Cockpit du Firecat. Un avion dont l’accès se mérite en effet. D’autres ont découvert l’évolution technique qu’il existe entre le Catalina conçu avant la seconde guerre mondiale et le Q400 de la toute fin des années 90.

Tracker Be200 et Q400

Devant le bâtiment principal, alignés au cordeau, un Q400MR, un Beech 200 King Air et un S2FT Turbo Firecat.

Beech 350

Acheminé par le représentant français de son constructeur, ce Beechcraft 350 King Air postule à pouvoir un jour succéder aux vénérables King Air 200.

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Le CL-415 Pélican 323, premier avion de ce type livré à la France en 1995, faisait sa première apparition publique revêtu de la livrée commémorative du cinquantenaire.

Ce samedi était donc réservé pour la cérémonie officielle qui a débuté par un passage en revue des troupes par les autorités présentes. Il y eut ensuite quelques discours mais nombreux sont ceux qui ont préféré continuer à tourner autour des avions.

Les autorités passent en revue des équipes des Unités de la Sécurité Civile

Les avions de la Sécurité Civile, en formation, s’apprêtent à survoler leur base.

7 des avions de la BASC en formation, un spectacle rare.

C’est ensuite dans le ciel que le spectacle s’est déroulé lorsqu’une partie des avions de la flotte a survolé l’aéroport en formation serrée. En tête se trouvait donc un Q400MR, suivi de près par trois CL-415, constituant le premier box. Le deuxième était dirigé par un Beech 200 accompagné par deux Tracker. Non visible sur la photo, mais un EC-145 « Dragon » était également en vol non loin, afin de permettre à un photographe d’immortaliser l’évènement dans de très bonnes conditions. En dépit d’une météorologie un peu couverte, cette journée n’était qu’un préambule au grand évènement du lendemain.

Le dimanche 2 juin, jour anniversaire, c’est sur l’aérodrome d’Aix-les-Milles, à quelques km au nord de Marseille que le public était invité pour assister au meeting aérien organisé pour commémorer l’évènement. La météorologie ayant décidé de participer au mieux de sa forme, c’est sous un ciel bleu et un soleil éclatant que le public est venu contempler des démonstrations en vol de haute tenue.

La conjonction de « l’anniversaire des Canadair » et celui d’un dimanche ensoleillé a fait que la foule est venu effectivement très nombreuse garnir le bord de la piste d’envol.

La foule se presse le long des barrières, les vedettes du show sont déjà là.

Les plus connaisseurs, les plus habitués et les plus blasés des spotters, ceux qui écument les meeting aériens depuis 30 ans et plus ont tout de suite remarqué que le plateau n’était pas très garni. La preuve en était apporté par le programme des vols où certains avions étaient prévus pour assurer deux présentations au cours de l’après-midi. Cependant, il faut bien dire que ces appareils, dont quelques warbirds, ne manquaient pas d’intérêt.

Sky Fouga

Patrouille combinée Skyraider et Zéphyr. En dépit de leur mode de propulsion fondamentalement différent, les performances pures de ces deux appareils sont bien moins éloignés qu’on pourrait le penser. Et l’un d’eux dispose, en plus, d’une charge utile phénoménale très clairement visible ici.

Bronco Smoke

Le OV-10 Bronco venu de Montélimar fait la démonstration de son système fumigène. Aujourd’hui, des avions du même type continuent d’œuvrer sur feux en Californie, un lien qu’aurait peut-être oublié le speaker si un mauvais esprit ne le lui avait signalé au moment idoine.

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Le Pioneer 300STD, avec son air d’avion de voyage biplace, s’est montré plutôt remuant… pour un ULM !

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Le SNJ-5 F-AZRB se prépare à un passage « tout sorti » !

Mais la thématique voulait qu’un place importante soit laissée à l’évocation des bombardiers d’eau et aux autres aéronefs de la Sécurité Civile, ce qui était assez logique. Déjà présent sur le tarmac de Marignane la veille, le Catalina G-PBYA s’est imposé comme une des grandes vedettes du show. Il faut dire que cet avion, qui fut bombardier d’eau au Canada dans les années 60, effectua deux saisons en Provence, en 1966 et 1967, immatriculé F-ZBBD et connu en tant que « Pélican Bleu ». Aujourd’hui avion de collection et dernier des 9 Catalina à avoir volé au sein de la Protection Civile à demeurer en état de vol, sa venue était simplement indispensable.

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Invité de marque, même VIP, le Catalina du Plane Sailing Air Display venu d’Angleterre revenait voler là où il fut connu un temps comme « Pélican Bleu ».

Le deuxième invité vedette était le CL-215 1038 EC-HEU de la société espagnole Inaer. Bien que l’histoire des CL-215 français se soit terminée un peu tristement, l’avion est clairement celui grâce auquel la légende des pompiers du ciel français s’est construite. Les organisateurs ont eu la chance de bénéficier de la présence du mythique « Canadair » original, alors toujours en service et opérationnel.

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Opéré par une compagnie privée espagnole, ce CL-215 a beaucoup volé au Portugal. Il était alors revêtu d’une très jolie livrée bleue et blanche.

Et, grande idée de l’organisation, un vol du souvenir a été programmé, mettant en scène les deux légendes d’hier et la grande vedette d’aujourd’hui. Pour certains anciens, ce tableau aérien a été une grande émotion,  compréhensible.

défilé souvenir

Les trois légendes de la Sécurité Civile. Il manque peut-être un Tracker à moteurs à pistons et certainement un DC-6 !

Le clou du spectacle est arrivé ensuite, pour clore la journée d’une manière assez intense et inédite. Pour la toute première fois, les aéronefs de la Sécurité Civile se sont livrés à une démonstration de leurs capacités et de leurs rôles respectifs. L’ensemble de la démonstration a duré 45 minutes, impliquant 7 avions, un hélicoptères et quelques pompiers et leurs véhicules spécialisés en feux de forêts. Cette véritable débauche de moyens était au service d’un scénario aussi simple que réaliste : comment, dans quel contexte et avec quelles tactiques les avions viennent-ils à l’aide des sapeurs-pompiers ?

Dans un premier temps, c’est le Beech 200 qui est intervenu. Ce bimoteur, utilisé pour les vols de liaison, est aussi régulièrement employé pour des missions d’investigation. Dans le scénario, un feu était repéré, l’avion venait donc vérifier que l’engagement des moyens aériens était nécessaire.

Tracker Firecat

En service en France depuis 1982, les Tracker sont désormais au crépuscule de leur carrière.

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Avec une capacité d’emport d’environ 3000 litres, le Firecat n’est sans doute pas le plus impressionnant des bombardiers d’eau, mais bien utilisé, il est une arme efficace, et ça fait plus de 30 ans qu’il en fait la démonstration.

Ce sont donc les Tracker qui sont intervenus les premiers. Avec la tactique du Guet Aérien ARmé, ces avions vont patrouiller au-dessus des zones à risque pour intervenir à la détection de la moindre fumerolle. Ce sont les feux naissants qui vont être traités en priorité, ce sont effectivement les Tracker qui vont assurer  cette attaque initiale. Et celle-ci est très souvent décisive, les bilans chiffrés des surfaces brûlées dans notre pays en sont le témoignage années après années.

Avec environ 3000 litres de retardant par avion, les patrouilles de GAAR peuvent parfois ne pas être suffisantes. C’est là que les Q400MR peuvent entrer en scène. Avec un emport de 10 tonnes de retardant (soit environ 9000 litres) et une vitesse de croisière plus élevée, les Dash 8 apportent une capacité d’action rapide ou à longue distance très appréciable. Plus difficile à démontrer sur un meeting aérien, leurs usages en transport de passagers ou de fret en font des avions réellement polyvalents, mais là, leur configuration ne les distingue en rien des autres Q400 des compagnies commerciales.

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Entré en service en 2005, le Q400MR Fireguard apporte une capacité longue distance à la Sécurité Civile, mise à profit depuis pour des missions aussi variées que lointaines, à Haïti, en Russie ou à la Réunion.

Q400 largue

Largage à l’eau pour les besoin de la démonstration, le coût du retardant faisant qu’il est préférable de le garder pour les interventions réelles.

En 2013, la question de la succession des Tracker était sur toutes les lèvres. Aujourd’hui on sait que ce sont des Q400 qui vont prendre la relève des vénérables Grumman, une belle reconnaissance quand on se souvient des polémiques soulevées à l’entrée en service de cette machine étonnante.

Mais ceux que le public attendait avec le plus d’impatience, c’était bien sûr les célèbres Bombardier 415 qu’on continue à appeler Canadair. Trois appareils ont fait la démonstration des largages en noria, utiles pour assommer un feu. Puis avec la participation d’une colonne de pompiers et de leurs véhicules, un dernier passage a permis de simuler un largage dit « de sécurité » destiné à sauver des personnels directement menacés par les flammes.

Dragon et Pélicans

Deux « Pélicans » approchent en patrouille serrée, sous la surveillance d’un « Dragon » en stationnaire chargé de leur montrer l’emplacement idéal pour leur largage.

Canadair GIFF

Une colonne de véhicules feux de forêts s’avance tandis qu’un Canadair approche.

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6 tonnes d’eau s’échappent par les quatre portes de la soute du « Pélican » 45.

Toute la démonstration s’est faite devant un EC-145 de la Sécurité Civile qui tenait ainsi le rôle qu’il tient souvent sur feux, en servant de repère pour les largages des avions. Son pilote a ainsi tenu un stationnaire de plusieurs dizaines de minutes alors que le vent était relativement sensible et la chaleur écrasante. Pour le grand public, ce n’était sans doute pas là l’aspect le plus impressionnant de la démonstration et pourtant, il y avait là du beau pilotage.

A la conclusion de l’exercice, les avions se sont rassemblés et ont défilé une nouvelle fois en formation serrée, ajoutant ainsi une occasion d’immortaliser la flotte de la Sécurité Civile et ses différentes composantes d’un seul coup d’oeil. Une vision rare et définitivement inoubliable.

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La fête était finie. Les derniers visiteurs ont continué à faire un peu la queue au pied du Pélican 32 pour le visiter. Il n’a d’ailleurs pas désempli de la journée.

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Conseil aux organisateurs de meeting : l’avion décoré, mettez-le en l’air, c’est plus sa place qu’entouré de la foule et de barrières. Pour les visites, n’importe quel autre avion de la flotte fera l’affaire de toute façon !

Et sous une magnifique lumière de fin d’après-midi du sud de la France, les participants ont redécollé pour gagner Marignane, laissant les derniers photographes se régaler !

Depuis le cinquantenaire, la Sécurité Civile semble avoir repris goût au démonstrations publiques. Bien sûr, ses avions étaient présents aux journées porte-ouvertes à Brignoles ou de temps en temps à Nogent le Rotrou, mais ces dernières années, les Canadair, Tracker, Dash et autres Beech ont participé au meeting de la Ferté-Alais, au Salon du Bourget, aux meetings nationaux de l’Air et même au défilé du 14 juillet à Paris. Personne ne se plaindra donc de cette volonté retrouvée de revenir devant le public.

L’année prochaine, la BASC déménagera donc à Nîmes où elle pourra bénéficier d’une emprise propre. Débarrassé des contraintes liées aux opérations de sûreté d’un aéroport international, est-ce que des journées porte-ouvertes pourront être organisées ? Le succès du meeting de 2013 tendrait à démontrer qu’elles seraient, à n’en pas douter, de fabuleux succès publics !

Le Canadair de la Trans-Labrador Highway

Cette vidéo, impressionnante, a largement fait le tour du web. Elle montre un CL-415 effectuer un largage sur un camion accidenté, une intervention peu banale pour un appareil normalement spécialisé dans la lutte contre les feux de forêts. Comme souvent, la date et les circonstances de cet évènement sont mal connus ce qui autorise toutes les supputations et les commentaires infondés.

Mais un élément s’impose comme une évidence : un Canadair blanc et rouge appartient forcément à la flotte gouvernementale de la Province du Labrador et de Terre Neuve au Canada.

Au début des années 80, la Province passa commande auprès de Canadair de 5 avions CL-215 pour succéder aux Catalina utilisés pour protéger les immenses forêts du sud-est du pays. Avec un schéma de décoration spectaculaire blanc rouge et vert, extrêmement visible, ce qui n’est pas inutile dans ces régions et pour ce genre de mission, ils sont parfois surnommés affectueusement les « petits pois-carottes ».

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Le CL-215 C-FWIR de Terre-Neuve et du Labrador porteur de la spectaculaire livrée des avions du gouvernement de cette province. (Profil : L. Boutilly/Minimonde76)

En octobre 2009, le Labrador and Newfoundland Aviation Services se porte acquéreur de 4 Bombardier 415 pour remplacer ses CL-215. En mars 2014, deux avions supplémentaires sont achetés, le premier étant livré le mois suivant et le deuxième en septembre 2015. Pendant la saison des feux, les appareils sont prépositionnés sur les aérodromes de Wabush et Goose bay au Labrador, Deer Lake, St John’s et Gander à Terre-Neuve. Aujourd’hui, la flotte de la province compte 5 appareils car le 3 juillet 2013, le C-FIZU « Tanker 286 » a été accidenté juste après un écopage sur le lac Moosehead. Par chance, l’équipage s’en est sorti sain et sauf mais l’avion a été irrémédiablement perdu.

La vidéo en question a été tournée juste quelques jours après.

Le 30 juillet 2013, une niveleuse était en train de travailler sur une portion de la Trans-Labrador Highway à quelques dizaines de km à l’Est de Churchill’s Falls. Longue de 1200 km, cette route permet, en arrivant du Québec, de rejoindre Goose Bay depuis Labrador City en passant par Churchill Falls, puis d’atteindre Red Bay après avoir traversé Cartwright junction, Port Hope Simspon, Mary’s Harbour puis Lodge Bay. Cette dernière partie est nommée Labrador Coastal Drive. Après Red Bay, la route retourne vers le Québec par Blanc-Sablon. Elle permet des liaisons entre ces villes qui autrement seraient totalement isolées, car, entre-elles, il n’y a rien d’autres que des lacs et des forêts. Cette route est soumise à de très fortes contraintes climatiques tout au long de l’année et doit être entretenue en permanence.

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C’est la mission qu’avait reçu le conducteur de cette niveleuse. Alors qu’il était en train de réparer un virage, un camion de transport, chargé d’alcool, percuta son engin. Dans cette partie de la route, extrêmement isolée, les secours ne peuvent vraiment pas intervenir dans l’instant. Comme le camion prenait feu, que son chargement était inflammable et que le risque incendie de cette journée était extrêmement élevé, les services forestiers décidèrent de faire décoller immédiatement un bombardier d’eau.

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Au premier plan le Bombardier 415 C-FNJC tanker 287, héros de cette histoire, et son compagnon d’écurie, le C-FOFI Tanker 288, sur leur base de Goose Bay en juin 2012. (Photo : P. Pollan)

D’après la presse locale, c’est le conducteur de la niveleuse qui a extrait le jeune chauffeur du camion accidenté, bien avant l’arrivée du Canadair. Blessé, bien que sans gravité, il fut conduit à l’hôpital le plus proche, c’est à dire celui de Goose Bay, à plus de 200 km du lieu de l’accident.

L’avion, le CL-415 Tanker 287 C-FNJC a décollé de sa base habituelle de Goose Bay et s’est présenté après seulement quelques minutes de vol, bien plus rapidement que ne l’aurait fait le moindre camion de pompiers. L’équipage a écopé sur un lac sans nom tout proche puis a effectué au moins deux largages, au moussant, sur l’épave du pauvre camion en feu.

C’est là qu’un témoin immobilisé par les véhicules accidentés a filmé cette scène impressionnante et spectaculaire.

L’objectif était d’éviter la propagation du feu à la végétation alentour. Au cœur de l’été, un départ de feu important peut prendre des proportions catastrophiques très rapidement. Bien sûr, l’utilisation d’un Canadair au cours d’un accident de la route a de quoi surprendre, mais finalement, étant donné les circonstances et le contexte local, elle est tout à fait logique. En cas de développement libre du sinistre, entre les coûts financiers de longues et pénibles opérations de lutte contre le feu et le coût écologique d’un tel désastre, et même si l’heure de vol d’un CL-415 n’a rien de bon marché, grâce à une analyse pertinente de la situation, les forestiers ont pris la décision la mieux adaptée à la situation et ont sans doute sauvé des ressources naturelles précieuses.

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Le Bombardier 415  Tanker 284 dans son hangar. (Photo : Gouvernement du Labrador et de Terre Neuve)

Merci à John Letto, chef pilote du service aviation du gouvernement du Labrador et de Terre Neuve, pour son aide dans la rédaction de cet article.

La renaissance du Boeing 747 Supertanker

Lorsque la compagnie Evergreen International a cessé son activité en décembre 2013, le Supertanker, alors stocké à Marana, à mi chemin entre Tucson et Phoenix dans l’Arizona, avait pourtant reçu la promesse d’un contrat en « Call When Needed » – activable en cas de besoin – de la part de l’US Forest Service. Or, ces dernières années, les VLAT activés en CWN n’ont vraiment pas manqué de travail. A l’issue de ces saisons difficiles des contrats d’emploi exclusifs, plus rentables encore, les attendaient parfois.

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Vue d’artiste du nouveau Supertanker, diffusée au moment du lancement du projet. Prévu pour être le Tanker 947, l’avion porte désormais le numéro 944 (GSS)

Pour que le Boeing 747-100 Tanker 979 puisse reprendre l’air, et se porter candidat à ces différents contrats, il lui fallait subir une opération de maintenance de type C nécessitant une inspection complète de la cellule, de la motorisation et des systèmes de pilotage. Il fallait aussi lui retrouver plusieurs réacteurs. Le coût de ces opérations, estimé à un million de Dollars, avait conduit Evergreen à repousser l’opération de quelques mois. On sait ce qu’il est arrivé alors. L’avion est donc resté à Marana, attendant que les avoirs de son ancien propriétaire soient liquidés aux enchères.

Or, les termes du possible contrat USFS, accordant à cet avion 75 000 $ par jour d’activation et 12 000 $ par heure de vol effectuée – le coût du retardant et du carburant étant pris en charge directement par l’organisme fédéral – et même si les promesses de l’USFS sont souvent très fluctuantes, étaient particulièrement attractifs.

Une nouvelle société, portée par plusieurs anciens de la société Evergreen, souvent très impliqués dans le projet Supertanker, voit le jour ; Global SuperTanker Services. Lors de la liquidation d’Evergreen elle se porte acquéreur du système de largage pressurisé du Boeing 747, des réserves de pièces de rechange et les brevets afférents. Elle jette aussi son dévolu sur un appareil plus récent, plus performant et plus moderne. Ainsi, le nouveau Supertanker, le troisième du nom, est un Boeing 747-400.

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le Boeing 747-446 JA8086, futur Supertanker de 3e génération, se pose à Hong Kong le 12 août 2010. (Photo : Peter Bakema)

Le N744ST (c/n 25308, 885e 747 produit) a été construit en 1991 comme Boeing 747-446 Il fait son premier vol le 25 octobre 1991 avant d’être livré à Japan Airlines le mois suivant où il vole sous l’immatriculation JA8086 jusqu’en 2010 en configuration passagers. Il est revendu sous l’immatriculation N238AS à AerSale Inc, une société spécialisée dans le marché des avions d’occasion, qui place ensuite l’avion chez Evergreen International après sa transformation en Boeing 747-446(BCF) cargo en 2012, immatriculé N492EV. L’avion est stocké à Victorville à partir de novembre 2013 en raison de la cessation d’activité de son exploitant et jusqu’à son rachat par Global Supertanker Services.

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Devenu un Boeing 747-446(BCF) et immatriculé N492EV, l’appareil est stocké à Victorville en Californie à partir de novembre 2013. (Photo : Sawas Garozis)

La compagnie explique le choix du 747-400 par la modernité de cet appareil et ses performances. Plus de 25 ans après son lancement, l’appareil entre aussi dans la période charnière où les grande compagnies commencent à s’en séparer et que des cellules avec un certain potentiel deviennent vraiment abordables sur le marché de l’occasion.

En effet, le N744ST a accumulé 75 000 heures de vol au cours de sa carrière. Bien entretenu, un Boeing 747-400 peut atteindre sans problème les 100 000 heures, il lui reste donc un potentiel d’environ 25 000 heures. Sachant qu’il est très rare qu’un Tanker dépasse les 500 heures de vol annuelles ; en théorie, il pourrait être donc opérationnel plusieurs décennies.

Équipé de moteurs plus modernes et plus puissants que les deux précédentes versions du Supertanker, le nouvel appareil peut décoller à la masse, maximale, de 400 tonnes, un chiffre qui sera rarement atteint au cours de sa nouvelle carrière. Il va disposer d’un rapport masse/puissance assez favorable et dont l’utilité en mission semble évident. Cette relative modernité se traduit également par des processus de maintenance plus rationnels ce qui ne manquera pas d’influer sur les temps d’immobilisation et donc sur le coût de ces opérations vitales.

Le Boeing 747-400 dispose également d’un « glass cockpit », disposant des outils standards de pilotage, de navigation et de gestion des systèmes, conçu pour être exploité par un équipage de deux hommes seulement, là où les précédentes versions du Supertanker exigeaient en plus la présence d’un technicien navigant afin de faire face à l’importante charge de travail requise par les appareils construits jusque dans les années 80.

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Grâce à son cockpit plus moderne – ici celui du JA 8071, sister-ship du Tanker 944 – dont les écrans permettent à l’équipage d’afficher les informations et d’intervenir sur les systèmes au moment opportun, le 747-400 n’a plus besoin que d’un équipage de deux hommes pour voler. (Photo : Norio Nakayama)

Racheté par GSS l’avion est entré rapidement en chantier de maintenance type C directement à Victorville en Californie. Le 23 janvier 2016, l’avion est convoyé jusqu’à Marana, en Arizona, pour entrer en atelier de peinture d’où il ressort fin février recouvert d’une seyante décoration moderne, rutilante et spectaculaire. C’est à Marana que le système de largage est récupéré et installé puis l’appareil repart pour sa base définitive à Colorado Springs.

L’avion est présenté en public pour la première fois le 22 mars 2016 à Sacramento, au cours de la conférence Aerial Fire Fighting organisé sur l’aérodrome de McClellan, dont il a été la grande vedette.

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Le Boeing Supertanker de GSS sur le parking de McClellan à Sacramento en mars 2016 pour la conférence Aerial Fire Fighting. (Photo : Jim Dunn)

Au cours de l’histoire du Supertanker, deux systèmes de largage ont été construits et installés sur les deux précédents appareils. Le premier, en acier, était palettisé  afin de pouvoir être installé ou retiré facilement du Boeing 747-200F porteur grâce à sa porte cargo de nez et lui conserver ainsi une vraie polyvalence. Lorsqu’il s’est agit de basculer le concept vers un 747-100, Evergreen a fait concevoir un deuxième système de pressurisation et de largage en aluminium, plus léger, et sans palette, installé à demeure grâce à la porte cargo latérale. Au moment où le Boeing 747-100 a été placé en stockage, le système a été ôté de l’avion, mais lors de la liquidation d’Evergreen il n’a pas été retrouvé ! (1)

Lorsque GSS s’est porté acquéreur des brevets Evergreen, c’est le système initial, toujours stocké à Marana, qui a été acquis. C’est donc celui-ci qui est désormais installé à bord du 747-400. Il a été modifié par la suppression des palettes mais contient toujours 75 000 litres.

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Schéma de principe du premier système de largage du Supertanker installé sur le Boeing 747-200 à partir de 2005. C’est ce système qui a été récupéré et modifié pour être installé à bord du 747-400.

Comme le système de largage a été déjà validé par la FAA et par l’Interragency Airtanker Board du Forest Service, le processus d’acceptation de l’appareil pourrait être rapide et l’avion se porter candidat aux opérations dès cet été. Dans ce cadre, les premiers largages au sol ont été effectués le 30 avril.

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Le 30 avril 2016, le Tanker 944 procède aux premiers essais de largage au sol. (Photo : GSS)

Le lendemain, l’avion a effectué son premier vol d’essais et son premier largage.

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Premier largage d’essais du Tanker 944, le 1 mai 2016. (Photo : GSS)

Ce nouvel avion dispose également d’un potentiel évolutif non négligeable. Pour son utilisation opérationnelle, le Supertanker ne dépend pas seulement d’une station de remplissage installée sur un aérodrome disposant d’une piste assez longue et assez solide pour le recevoir, mais aussi de la présence d’un compresseur d’air indispensable à la mise en œuvre du système de pressurisation du largage. GSS envisage donc d’installer deux compresseurs internes afin de rendre l’appareil totalement autonome sur ce point.

Lors de la présentation du deuxième Supertanker à Châteauroux en juillet 2009, les équipes d’Evergreen avaient déjà annoncé songer à une utilisation nocturne du Boeing 747 grâce à sa capacité de larguer plus haut que les avions plus conventionnels, lui permettant ainsi de s’affranchir des risques liés à la proximité du terrain. GSS suit également cette voie et des études préliminaires ont déjà été effectuées en ce sens, notamment en se servant de la longue expérience accumulée par les pilotes des voilures tournantes du Los Angeles Fire Department rompus à cette discipline depuis de nombreuses années. Pour une utilisation du Supertanker en VFR de nuit, plusieurs pistes sont envisagées comme l’installation d’un EVS ou l’adaptation du cockpit à l’utilisation de jumelles de de vision nocturne. Aucune décision n’a toutefois été prise pour le moment et cette évolution est une prévision, de toute façon, à long terme .

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Exemple d’Enhanced Vision System, le « Clear Vision (TM) » d’Elbit Systems. (Photo : Elbit Systems)

Car une question essentielle doit d’abord être tranchée : est-ce que l’USFS, qui est toujours en léger déficit d’avions de lutte anti-incendie, tiendra les promesses faites en 2013 ? C’est là le nœud du problème.

Global-SuperTanker-logo1 500 pixL’expérience préalable d’Evergreen a fait la démonstration qu’il était très difficile à un avion aussi imposant de trouver des missions à sa hauteur. Cependant, les récents incendies dans l’ouest de les USA, et la saison 2015 a été particulièrement difficile sur ce point, ont entraîné une utilisation intensive des Very Large Air Tankers, en particulier des trois DC-10 de 10 Tanker, qui à défaut de se montrer décisifs, se sont montrés particulièrement utiles.

Le Boeing 747-400 peut-il s’inscrire dans cette logique ? Le Forest Service sera-t’il sensible aux arguments de GSS ? Les semaines à venir risques d’être cruciales pour le développement de ce passionnant projet.

(1) Il aurait été récupéré depuis.

Le Walt Darran International Aerial Firefighting Award 2016

Au cours du traditionnel dîner de gala offert aux participants de la conférence Aerial Firefightin 2016 à Sacramento, c’est Jim Cook qui a été distingué par le 3e Walt Darran International Aerial Firefighting Award.

En 2001, à la suite d’une tragique collision qui a entraîné la mort de deux pilotes de Tracker du California Fire Department, aujourd’hui Cal Fire, Jim Cook a défini le FTA, Fire Traffic Area, un système simple d’espace aérien afin de permettre aux équipages des différents aéronefs impliqués dans les opérations sur un incendie de ne pas interférer les uns avec les autres et d’éviter ainsi les risques de collision en vol. Ce système a été adopté ensuite pour toutes les opérations anti-incendie au USA.

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FTA – Fire Traffic Area (pdf 150 ko)

Ancien pilote de Tanker lourd, notamment sur Privateer puis au Cal Fire, et instructeur sur Tracker, Jim Cook est considéré comme une des grandes « pointures » du milieu. Natif du nord de la Californie, il apprit à piloter en tenant compte des spécificités météorologiques du secteur et avait déjà montré son esprit novateur en créant des procédures spécifiques pour la piste de Fortuna-Rohnerville, rendue souvent difficile d’accès par de rapides entrées maritimes. Qu’il soit à l’origine de procédures globales pour les zones d’opérations ne surprend donc personne et son indéniable apport à l’amélioration de la sécurité des opérations aériennes de lutte anti-incendie se voit enfin officiellement récompensé.

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Un feu dans la région de Santa Rosa en 2016 : en plus du DC-10 Tanker 911, on note la présence de deux OV-10 du Cal Fire (AA140 et A430), du BAe 146 Tanker 41 et du CH-47 Helitak 279 ainsi que deux hélicoptères de News TV. Avec des aéronefs aussi différents, le respect de la FTA est un élément de sécurité désormais indispensable.

En 2017, la conférence AFF devrait se dérouler à Nîmes. Le Walt Darran International Firefighting Award pourra récompenser un acteur européen ayant agit significativement pour l’amélioration de la sécurité et des conditions de travail des aviateurs des bombardiers d’eau européens. Les candidatures peuvent être signalées dès à présent à l’organisateur, la société britannique Tangent Link.

Jérôme et le C-130 Airtanker

Jérôme est pilote d’avions de lutte anti-incendies depuis 20 ans. De 1996 à 2002, en France la première année et ensuite aux USA, il a accumulé 2000 heures sur C-130 Airtanker, dont 500 comme commandant de bord, pour un total de 2500 largages. Il a volé ensuite sur DC-4 et P-3 Orion. Désormais pilote de S-2T pour le Cal Fire, il continue de considérer le Hercules comme le meilleur appareil, et le plus polyvalent, sur lequel il a volé sur feux ; en mars 2011 il m’a accordé un long entretien pour apporter son point de vue et son témoignage à l’histoire des C-130 Airtankers que j’étais alors en train d’écrire et qui a été publiée ensuite dans le Fana de l’Aviation, dans Pélican Infos et dans la Newsletter du Cal Fire Pilots Association aux USA. Au-delà même du C-130, c’est le regard lucide qu’il porte sur son métier qui fait de ce témoignage rare, et inédit dans cette version longue, un document pertinent.

« Le C-130 est un avion très sain qui se pilote assez facilement et qui se prend en main rapidement. Il n’a pas de vice et ne va pas te planter ; c’est un bon « pépère » puissant et fiable. Avec le Hercules, à aucun moment on ne se dit qu’il faut faire gaffe car il prévient et quand on remet les gaz, il repart. Il s’agissait de C-130A, la toute première version. Ils étaient puissants mais pas autant que les H et encore moins les J. Avec ces versions ça pourrait être un bonheur à piloter !

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« Le C-130 est un avion très sain qui se pilote assez facilement » (Photo : Collection J. Laval)

Sur feux, j’ai adoré le DC-4 parce que c’est un avion de grande classe mais c’était une autre aviation. À chaque largage il fallait vraiment bien réfléchir où mettre les ailes. Ce n’était pas un avion hyper-maniable car très lourd aux commandes et donc très stable, et sur lequel, du coup, il fallait vraiment prévoir et anticiper les trajectoires avec précaution pour toujours avoir une porte de sortie (1).

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« Sur feux, j’ai adoré le DC-4 parce que c’est un avion de grande classe mais c’était une autre aviation. » Jérôme et Pat LeRoux devant leur Tanker 65 en 2003. (Photo : Collection J. Laval)

À contrario, le C-130 est maniable et puissant. L’idée, c’est d’intervenir sans avoir besoin de se servir de la maniabilité, mais c’est rassurant de savoir qu’en cas de besoin, on peut y faire appel… Avec le C-130, si la passe était mal engagée, il était facile de remettre les gaz et de refaire un tour ; c’est un avion qui permettait de le faire tranquillement. Sur d’autres avions, on transpire quand on remet les gaz car on se dit : « est-ce qu’on a assez de marge pour passer ? » alors que sur C-130, même sur trois moteurs, on sait que ça va passer. Ça nous est arrivé deux fois en intervention sur une zone très chaude : une fois le moteur 1 nous a fait un « flame-out », il s’est éteint, une autre fois, ce fut le 4 ; à chaque fois des moteurs extérieurs donc assez critiques. On a simplement remis les gaz et voilà ! Ce n’était même pas un souci. C’est un avion très sécurisant pour les feux de forêts car on avait la sensation que cette puissance pouvait nous sortir de tous les pièges.

Le C-130, surtout avec son système de largage RADS, reste encore, à mon avis, aujourd’hui le meilleur tanker qu’on n’ait jamais utilisé aux USA. Le P-3 doit venir juste après, mais le P-3 n’a pas d’aile, et donc, en cas de panne moteur ou de manque de puissance : danger ! En cas de perte d’un moteur, il faut faire gaffe à l’incidence. Le C-130 a, lui, une aile bien épaisse c’est donc un avion qui décroche tout en douceur. C’est un avion « rond », rassurant, un peu comme son allure le suggère.

Ce que je retire de ces années-là, c’est que lors du plus compliqué des largages, dans les endroits les plus difficiles, en termes de terrain ou d’altitude, on n’a jamais dit « non » à cause des performances du C-130. On n’a jamais eu à dire : « ça, on ne peut pas le faire ! » Le C-130 est un avion facile, puissant, maniable, et jamais on n’a refusé une intervention en raison de la maniabilité de l’avion ou de sa taille… Jamais !

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« Jamais on n’a refusé une intervention en raison de la maniabilité de l’avion ou de sa taille… Jamais ! » (Photo : Collection J. Laval)

Sur C-130, les seuls moments de transpiration intense étaient relatifs au manque de visibilité… Sur certains gros feux, des feux qui pouvaient durer des semaines, notamment dans le Colorado, en Californie ou en Floride, on savait qu’il y avait d’autres avions pas loin et comme on n’était pas équipés de TCAS(2) on n’avait que la radio pour savoir où les autres étaient ; c’était les moments les plus difficiles car un accident est vite arrivé. Quand tu as un TCAS comme maintenant, c’est plus simple. À l’époque, on a du rater un nombre dingue de trafics ! Comme aujourd’hui tu les vois tous, tu te dis : « ha, là y’a un petit coucou ! » Avant, tu n’aurais même pas su qu’il était dans le coin… Dans le Tracker, dans le Bronco, on a un TCAS, et on ne pourrait plus faire sans et ce serait ridicule. Quand il y a quinze tankers en orbite, sans oublier les hélicos, concentrés sur moins d’un nautique, quand il fait beau et quand on est trois à bord et qu’on regarde dehors c’est une chose ; mais dans un Tracker, seul à bord, si le temps se dégrade, si la « visi » baisse, on n’est plus vraiment en sécurité. On a pallié ceci avec des procédures de points initiaux, de check, ce qui a fonctionné très bien, mais avec un TCAS en protection, on est vraiment rassurés, surtout sur les appareils où le pilote est seul à bord.

Aux USA je n’ai fait que du feu, aucun vol logistique ce qui nous a toujours étonné car on le leur proposait sans cesse : si ils avaient voulu qu’on amène du matériel de base en base on pouvait utiliser le Hercules en enlevant la soute, ou même en la conservant à bord rangée sur le côté, pour laisser la place d’embarquer du matériel. C’est ce qu’on a fait en France ; On amenait du matériel pour les pélicandromes, à Bordeaux, à Carcassonne, à Calvi ou Ajaccio. On « ouvrait » les pélicandromes en début de saison et on les « fermait » à la fin. On apportait du matériel, principalement des tuyaux ou des pompes. Le système de largage reste à demeure mais il est dans l’épaisseur du plancher, même si il dépasse un peu dessous il ne prend pas beaucoup de place et donc tu conserves la capacité cargo de l’avion quand tu en as besoin. En plus on disposait de la rampe arrière, un atout sur nombre d’aérodromes et dans les situations les plus chaotiques, l’équipage du Dash 8 (3) qui a été envoyé à Haïti en 2010 l’a constaté

Aux USA, à chaque début de saison, on suivait un stage qui durait de une à deux semaine avec des cours au sol et quelques vols d’entraînement suivis d’un vol de contrôle par le chef pilote et un autre par un testeur extérieur qui nous donnait ensuite l’autorisation d’intervenir sur feux. Généralement il s’agissait d’un pilote de Lead Plane de l’US Forest Service (USFS), souvent un ancien pilote de Tanker, qui nous faisait faire une mission en l’agrémentant d’une ou deux pannes dans le relief. Une fois qu’on avait le coup de tampon et que l’avion était certifié par les mécaniciens inspecteurs, on était partis !

J’ai eu la chance de voler avec Pat LeRoux comme Commandant de Bord et Mark Hugues comme Flight Engineer. D’ailleurs, LeRoux, Hugues, Laval ça sonne plutôt francophone, notre avion, Tanker 64, a vite été baptisé « The French Connection ». Pat venait de l’aviation agricole et il avait déjà 15 000 heures de vol. Il s’était crashé deux fois et avait été blessé. C’était un pilote né qui avait vécu des aventures incroyables, mais il ne fallait pas lui parler de GPS ! On avait un Garmin 430 à bord et c’est moi qui m’en occupais ; on a fait les USA en long et en large avec…

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« notre avion, Tanker 64, a vite été baptisé « The French Connection » » (Photo : C. Defever)

On est intervenus dans plus d’une vingtaine d’états, de l’Ouest à la Floride en passant par le Texas, le Colorado, la Géorgie ou les deux Caroline. Il n’y a que dans les états du nord-est que nous ne sommes jamais allés ; ça ne brûle jamais dans ce coin là ! En 2000, en quatre mois, on a établi le record d’heures de vol pour un AirTanker avec 415 heures. Avec un Pat qui avait plus de 35 saisons derrière lui, au niveau technique ça allait… Et puis quels souvenirs !!! Survoler les USA à 50 ft et 300 kt (4), intervenir dans les grand parcs nationaux normalement interdits de survol, plonger dans le Grand Canyon pour chercher des fumées, tourner autour de Crater Lake, c’était juste extraordinaire !

C’était aussi une vie de nomade. On partait de Fresno et l’USFS nous expédiait où le besoin s’en faisait sentir et il n’était pas rare qu’on parte pendant des semaines, d’aérodrome en aérodrome, de feu en feu… Ce n’était pas sans poser des problèmes d’ordre technique parfois. Un jour à Tallahassee en Floride, après un vol, on était en train de parquer l’avion et je fais tourner l’hélice du moteur 3… turbine bloquée ! On a prévenu la base, ils ont fait venir de Californie un pickup avec une turbine neuve et quatre mécanos qui se sont relayés au volant pendant 48 heures. Pendant ce temps-là, on a loué une grue et quand ils sont arrivés, ils ont changé la turbine. Le lendemain matin, on redécollait. Les mécanos, quant à eux, pouvaient alors être envoyés n’importe où, au Kansas, en Oregon, là où on aurait à nouveau besoin d’eux.

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Tanker 64, un avion qui a laissé une trace certaine dans le parcours professionnel de Jérôme.(Photo : C. Defever)

A bord, on avait plusieurs cantines de pièces détachées et le Flight Engineer, Mark Hugues, bossait beaucoup au sol. Il s’occupait du refueling et pas mal de la paperasse. Pendant quatre mois, on vivait ensemble tous les jours. L’équipage, ça devient ta famille, tes copains de virée, on a intérêt à s’entendre. Il est arrivé que des équipages ne fonctionnent pas, et comme c’est le « Captain » qui était titulaire, on lui affectait alors un nouveau co-pilote. Certains « Captains » avaient la réputation de ne pas être très faciles. J’en connaissais au moins deux avec qui je n’ai jamais volé et avec qui je m’entendais plutôt bien au sol. Mais en vol, c’était des « Captains » qui ne laissaient jamais le manche aux copilotes, alors qu’avec Pat, c’était le contraire : « tu veux piloter, et bien tu pilotes ! »

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« Pendant quatre mois on vivait ensemble tous les jours. L’équipage, ça devient ta famille. » La famille « Tanker 64 » en 2000: Mark Hugues (Flight Engineer), Jérôme Laval et Pat LeRoux. (Collection J. Laval)

De temps en temps il me disait « je vais faire cet atterro » mais je pilotais 80% du temps. Il aurait pu dire « chacun son tour », comme ça peut se faire, mais non. Quand on se faisait des pauses le midi, en même temps qu’on embarquait du retardant, on nous filait des sandwich, du Coca et des frites, pour bouffer vite fait et Pat me disait « si tu veux, je décolle et t’auras le temps de manger »… mais je mangeais vite justement pour en profiter, je voulais faire tous les décollages et tous les atterrissages que je pouvais… j’avais soif de voler à fond, et en fait je me disais que je devais faire chaque « atterro », chaque décollage, sauf à être exténué. Après une bonne journée, où tu as fait tes 8 heures de vol, tes 10-15-30 largages dans le bruit, la chaleur, les turbulences, au dernier vol il faut faire vraiment gaffe car la somnolence guette.

L’avantage d’être un équipage, une fois de plus c’est que tu définis les choses clairement… On n’a jamais eu de prises de bec. Mark, le mécanicien navigant nous a même dit qu’on était le meilleur équipage qu’il n’avait jamais eu. Jamais de tension, jamais à trop tirer sur la corde ; J’ai vécu des années géniales avec eux… Et quand je suis devenu commandant de bord, donc assis en place gauche, et bien c’est Pat qui s’est assis à droite. Il s’est remis en question et c’est là qu’il s’est mis au GPS… et s’en est très bien sorti !

Il y avait entre nous une confiance totale. Quand on se retrouve au fin fond de bleds américains paumés de chez paumés, sans cette confiance et cette amitié, ça peut être l’enfer… quelque part cette notion d’équipage était primordiale.

A Marseille, après ma première journée, Pat m’avait demandé quel était l’objectif du lendemain… Larguer, taper le feu au fond des canyons, prendre des risques… Non, pas du tout ! Le seul objectif est simple : retrouver sa famille, ses amis après les vols ! En gardant cette idée en tête, on ne prend pas de risque inconsidéré. Une philosophie qui a été une grande leçon de vie pour moi. Mon meilleur ami, Paul, que j’avais fait rentrer chez T&G pour le contrat avec la Sécurité Civile, est mort dans l’accident du Pélican 82 le 6 septembre 2000. J’y pense souvent. J’ai perdu d’autres copains depuis. On ne fait pas un métier dangereux, mais on fait un métier qui comporte des risques !

C’est aussi un métier d’alchimiste, on se retrouve au cœur des quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu, en prise directe avec le monde, avec la planète et les problèmes d’écologie et de sauvegarde du patrimoine naturel. Ça n’a rien d’anodin. Bien sûr, ce ne sont que des arbres, mais on en sauve des milliers, des centaines de milliers même, sans oublier les vies qu’on peut épargner. C’est très gratifiant !

Le largage, ce n’est pas une science exacte, c’est une espèce d’art ; c’est pour ça que je me définis comme un « peintre en végétation, période rouge » car c’est de l’artisanat. Le largage parfait, le largage exact, ça n’existe pas car les conditions sont tout le temps différentes ; l’objectif est donc de faire au mieux au moment où tu le fais et surtout ne pas se mettre en danger.

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Peinture sur végétation façon pompiers du ciel. (Collection J. Laval)

Avec l’expérience on arrive à poser le retardant pratiquement où on veut, en dépit des turbulences, en prenant en compte la dérive et le vent et donc, là, on se rapproche du largage parfait et c’est assez fréquent. Mais parfois on largue et le vent embarque le retardant. Nous ça nous est arrivé de larguer 12 tonnes à 50 ft et pas une seule goutte n’est arrivée au sol parce que le vent, les rabattants l’ont balancé, l’ont cisaillé dans tous les sens. Tu fais du mieux que tu peux, l’idée étant d’être là pour le prochain largage. Mais quand tu appuies le bouton, tu sais si ton largage est un largage correct ou si il peut être amélioré. Un peu comme un rugbyman qui tire une pénalité. Au moment où la balle part, il sait d’instinct si ça passe ou pas. Il n’a pas besoin de regarder… il le sait ! Au moment où tu appuis, celui là, il est bon, tu le sais ! Tu le sens tout de suite. La moitié du temps on larguait 12 tonnes, pour le reste, on fractionnait en deux ou trois, soit 6 tonnes, 4 tonnes… en dessous, ça ne servait à rien.

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« Au moment où tu appuis, celui là, il est bon, tu le sais ! »

La décision d’interdire les C-130 (5) a été une décision d’administration, pas une décision d’aviateurs. Si il y avait eu de vrais aviateurs pour prendre cette décision, les choses auraient été différentes. La solution aurait été sans doute d’interdire les C-130A mais ça aurait été le moment de réclamer des E ou des H, avec des soutes RADS, et aujourd’hui on aurait des avions rapides et puissants, capable d’emporter plus de 12 tonnes, sans doute pas loin de 15, avec une autonomie les rendant capable de faire des interventions partout, sur le continent en entier.

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« ça aurait été le moment de réclamer des E ou des H, avec des soutes RADS ». Le nouveau Tanker 131 de Coulson est effectivement un C-130H et son système de largage est une évolution directe du RADS…

Bien sûr, l’USFS aurait dû être plus sévère au niveau des contrôles des appareils, ça aurait peut-être empêché le drame du Tanker 130. D’ailleurs, quand il a fallu remettre les tankers lourds en service en 2004, ils ont été capables d’imposer des examens techniques pointus. Pour faire les contrôles techniques et les contrôles de maintenance ils auraient tout à fait pu trouver une société spécialisée pour faire les audits et le contrôle. L’expérience des gens de terrain, les experts, les pilotes, les vrais connaisseurs, les utilisateurs, n’a pas été prise en compte. Pourtant le caractère opérationnel et le bon sens, ça devrait aller ensemble, non ?!

Le C-130 c’est vraiment l’avion que je souhaite à tout pilote d’avoir à essayer, et tous ceux qui ont fait du C-130 ont le même attachement. C’est génial d’avoir un avion avec lequel tu as l’impression que tu peux tout faire, c’est un avion hyper attachant, qui ne te fera pas de coups tordus. C’est un avion qui peut vraiment tout faire, un avion vraiment multi-missions. Le feu de forêt n’est juste qu’une des missions qu’il remplit là aussi parfaitement. Il peut faire du transport, du cargo, de la Patmar ! Le C-130 remplit toutes les missions avec efficacité.

Je et Tanker 131

« Le C-130 c’est vraiment l’avion que je souhaite à tout pilote d’avoir à essayer ». Sacramento 2014, Jérôme découvre le Tanker 131 de Coulson… Sans commentaire !

L’USFS n’a rien demandé aux techniciens et aux spécialistes. La décision de bannir le C-130 et une bonne partie de la flotte des Airtankers fut purement administrative. Étant donné le futur incertain de la flotte de Tanker, des P-2, des P-3 (6) qui vieillissent sans qu’on ne sache quel successeur leur donner, alors que les C-130H, J ou L-100 seraient des candidats parfaits, se passer de cette possibilité est incompréhensible. L’arrêt du C-130 AirTanker a été une erreur évidente. »

Témoignage recueilli en mars 2011.

Jerome Tracker en vol

Jérôme à bord de son Tracker au dessus de la Californie. (Photo : J. Laval)

Cinq ans après ce témoignage, tout a changé ; Coulson a mis en service un C-130H (en fait un EC-130Q) puis un L-100-30 (version civile du C-130H-30 à fuselage rallongé). De son côté, l’US Forest Service a commencé à percevoir d’anciens HC-130H auprès des Coast Guard dont le premier a fait ses premiers largages opérationnels en 2015. 10 ans après leur bannissement des contrats de l’USFS, les Hercules sont de retour, en force ! Et 5 ans après, ce témoignage n’a en rien perdu de sa force et de sa pertinence.

 

 

(1) Cette règle est valable avec tous les avions, mais le DC-4 n’avait pas toujours les performances pour remonter le relief avec un moteur en moins.

(2) TCAS : Traffic Collision Avoidance Système. Système anticollision. Chaque avion émet, via son transpondeur, ses éléments de vitesse, direction et altitude. Ces informations peuvent être interprétés par les TCAS des avions alentours et une alerte est émise auprès des équipages concernés quand les paramètres indiquent un risque de collision. C’est un système très efficace.

(3) A la suite du tremblement de terre de janvier 2010, un Dash 8 de la Sécurité Civile a été dépêché à Haïti pendant un mois pour assurer des missions logistique et des évacuations sanitaires.

(4) 15 mètres, 540 km/h.

(5) En 2002, après deux accident, un C-130A et un PB4Y Privateer de la compagnie Hawkins & Power,  l’USFS a stoppé toutes les opérations pour ces deux types d’appareils. En 2004, après une longue enquête, tous les Tankers ont été interdits de vol jusqu’à ce que leurs opérateurs les fassent expertiser. Seuls les Neptune et les P-3 Orion ont été autorisés à reprendre du service. Les autres appareils, KC-97, DC-4, DC-7 et C-130 ont été bannis de tout contrat fédéral. Ce n’est qu’en 2014 qu’un C-130 a de nouveau obtenu un contrat avec l’USFS.

(6) Ce qui était faire preuve d’une grande clairvoyance car quelques jours après cet entretien, au mois d’avril, les P-3 d’Aero Union étaient interdits de vol par l’USFS pour une suspicion d’impasse sur des points importants de maintenance. Autorisés à reprendre les vols au bout de quelques jours ces avions ont vu leur carrière s’arrêter net au mois de juillet suivant quand le contrat entre l’USFS et Aero Union a été unilatéralement dénoncé par l’USFS. Les avions ont été convoyés à Sacramento d’où ils n’ont plus bougé depuis, à une exception près, et Aero Union a fait faillite quelques jours plus tard.

Un RJ85 pour la Colombie Britannique en 2016

Vendredi 19 février, le gouvernement de la Province de Colombie Britannique a annoncé qu’elle allait signer un contrat avec Conair pour la saison feu à venir et disposer ainsi d’un RJ85 disposant d’une capacité d’environ 12 000 litres pour protéger ses forêts. Pour ce contrat, la compagnie d’Abbotstford était en concurrence avec une autre compagnie basée dans la Province, Coulson Flying Tankers, qui proposait son L-100 Hercules et ses 17 000 litres de capacité. Cet appareil viendra s’ajouter aux L.188 Electra et Convair 580 déjà sous contrat saisonnier.

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Le RJ85 Tanker 162 modifié par Conair et actuellement en opération en Australie. (Tasmania Fire Service)

Le gouvernement de Colombie Britannique en a profité pour confirmer qu’il ne signerait aucun contrat pour le Hawaii Mars pour la saison à venir ce qui devrait officialiser la retraite du vénérable bombardier d’eau.

On se souvient, cependant, que l’an passé, face à une situation catastrophique sur le front des flammes de cette province dont la sylviculture est l’une des ressources naturelles essentielles, les AT-802F « Fire Boss » contractés pour succéder à l’immense hydravion s’étaient montrés insuffisants et que le Martin Mars était brièvement sorti de sa retraite forcée pour une pige qui fut très médiatisée.

Le communiqué publié par Wayne Coulson hier rappelait qu’au cours de ces dernières 56 années, depuis que Dan McIvor est allé chercher les quatre Martin Mars survivants à Alameda en Californie pour en faire les plus lourds bombardiers d’eau de l’histoire (27 0000 litres de capacité) jusqu’à l’avènement des VLAT dans les années 2000, ces appareils ont participé à 4000 missions, donnant lieu à 8000 largages. Un avion et son équipage ont été perdus en 1961, un autre avion a été brisé au sol lors d’une tempête l’année suivante, et si le Philippine a été arrêté de vol en 2007, le Hawaii peut, lui, s’enorgueillir d’une cinquantaine de saisons sur feu, une sorte de record.

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Extraordinaire photo du Hawaii Mars au décollage à Sproat Lake, précédé du S-76 « Firewatch » qui lui sert d’éclaireur. (Photo Dan Megna via Skies)

C’est pour cela que ces deux avions seront préservés dans des conditions qui restent à définir. Le Philippine a revêtu une livrée US Navy et devait être convoyé vers le Musée de Pensacola mais des complications techniques et politiques ont entraîné un report de l’opération. Les modalités de conservation du Hawaii n’ont pas encore été communiquées.

Le L-100 de Coulson, baptisé Thor, est entré en service à l’automne et il se trouve toujours en Australie, aux côtés du C-130H Hercules Tanker 131 de la même écurie, du DC-10 Tanker 910 et… du RJ85 Tanker 162 de Conair…

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Les deux C-130 Tanker de Coulson à l’œuvre en Australie cet hiver. (Photo via Coulson)

Cet été, ces avions seront en opérations dans l’ouest du continent Américain, de l’île de Vancouver jusqu’à San Diego !

La signature  de ce premier contrat avec une province canadienne permet aux RJ85 d’étendre encore leurs zones d’activité avec un troisième pays en plus des USA et de l’Australie. La Province ne cache pas que ce contrat doit permettre de procéder concrètement à une évaluation pratique de ce tout nouvel appareil.

aviationNews0216Conair est en train de convertir son sixième appareil de ce type, ce qui constitue  une preuve de plus que le quadriréacteur britannique est en train de se faire une place au sein des pompiers du ciel, ce qui n’avait rien d’évident au départ.

Vous pouvez retrouver un article que j’ai consacré à l’histoire de l’avènement de la famille BAe 146 convertie en bombardiers d’eau dans le numéro de février de la revue britannique Aviation News.

Qui recevra le prochain Walt Darran Award ?

Au cours de la conférence Aerial Fire Fighting 2016, organisée par Tangent Link, qui se tiendra le mois prochain à Sacramento, le troisième Walt Darran International Firefighting Award sera décerné à une personnalité ou une organisation qui aura œuvré significativement pour l’amélioration de la sûreté des opérations aériennes de lutte anti-incendie ou apporté sa contribution à en développer nettement l’efficacité.

Pour mémoire, le premier Walt Darran Award a été décerné un ancien enquêteur du NTSB, George Petterson, le deuxième au pompier français Philippe Bodino.

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A gauche, George Petterson, distingué à Sacramento en 2014. A droite, Philippe Bodino, entouré de Richard Alder, General Manager du National Aerial Firefighting Centre (NAFC) australien et de l’Amiral Terry Loughran, Président de Tangent Link, récompensé à Zadar en 2015.

L’organisateur de la conférence a ouvert les nominations. Les propositions peuvent être soumises en remplissant ce formulaire :

Walt Darran Award Nominee Form

La cérémonie de remise du prix aura lieu au cours du dîner de gala qui clôt la première journée de ces passionnantes conférences.

Cette récompense est remise en mémoire de Walter Darran, pilote du Cal Fire, décédé en 2013 et dont le parcours au sein des pompiers du ciel américains a été marqué par une dévotion particulière à la transmission du savoir et à l’amélioration des machines, des procédures et des conditions de travail de ces pilotes saisonniers.

 

La première pierre de la future BASC de Nîmes a été posée.

C’est aujourd’hui que le Ministre français de l’Intérieur a posé, sur l’aérodrome de Nîmes-Garon, la première pierre, très symbolique puisque les travaux ont commencé depuis plusieurs semaines en réalité, des installations de la future base d’avions de la Sécurité Civile.

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Pose de la première pierre du futur bâtiment de la base d’avions de la Sécurité Civile de Nîmes par M. le Ministre de l’Intérieur le 29 janvier 2016. (Photo J. Bertrand/SC)

Désormais, c’est une course contre la montre qui est engagée car le déménagement de la BASC est prévu pour avoir lieu avant le début de la saison feu 2017. Il y a donc tout juste un peu plus d’un an pour voir sortir de terre ces bâtiments aux lignes modernes qui abriteront les services et les secteurs en charge des opérations et du soutien des flottes de Canadair, Tracker, Dash 8 et des avions de liaison Beech 200. Les avions, eux, seront abrités dans les hangars de l’ancienne base de l’Aéronautique Navale.

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Les travaux ont cependant débuté depuis plusieurs semaines. La course contre la montre est lancée. (Photo J. Bertrand/SC)

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Vues d’artiste de la future BASC de Nîmes. (Sécurité Civile)

Ce sera l’épilogue d’un interminable feuilleton qui a vu ce déménagement être envisagé successivement à Aix-les-Milles, à Salon-de-Provence et enfin, à Nîmes, pour les pistes les plus récentes. La Sécurité Civile va donc abandonner sa base historique de Marseille-Marignane, baptisée « Base Francis Arrighi » du nom de son créateur lors de son cinquantenaire en 2013. Son emprise actuelle, convoitée à la fois par Airbus Helicopters et l’aéroport Marseille-Provence, devrait rapidement être réhabilité.

Il demeure néanmoins plusieurs questions : un pélicandrome, même réduit, sera-t-il conservé à Marseille ? Le déménagement se fera-t-il en une ou plusieurs phases ? Quels développements seront ensuite donné à ce site dont le potentiel est assez important ?

L’actuel ‎Chef du Bureau des Moyens Aériens de la Sécurité Civile a bien insisté, au cours d’interventions précédentes, sur l’orientation européenne de cette base qui pourrait bien devenir centrale pour l’ensemble des unités aériennes de la Sécurité Civile.

Nîmes est actuellement en tête de liste des sites susceptibles d’accueillir au printemps 2017 la conférence internationale Aerial Fire Fighting Europe, il faudra pour cela que la future base puisse déjà accueillir des visiteurs. L’objectif est loin d’être irréaliste en effet.

Une fois bien installée dans ses nouveaux locaux, la BASC pourra ensuite se consacrer à ses activités estivales habituelles et procéder au remplacement progressif des Tracker par un nombre, non précisé encore, de Dash 8Q400MR. Les premiers Tracker seront retirés du service en 2018, le dernier devrait l’être en 2022.

A ce moment-là, une autre question, également extrêmement importante, aura été posée et devra sans doute avoir trouvé une réponse, celle de la succession de l’avion emblématique de la base, le CL-415.

Le Boeing 747 Supertanker d’Evergreen

Au début des années 2000, aux USA, la période est propice à l’émergence d’une nouvelle génération d’avions de lutte anti-incendie. Alors que les feux semblent n’avoir jamais été si nombreux et si importants, l’interdiction soudaine des C-130A Hercules et des PB4Y Privateer, à la suite de deux accidents tragiques lors de l’été 2002, entraîne, deux ans plus tard, le bannissement définitif de nombreux types d’appareils considérés désormais comme dépassés. Cette situation sert de point de départ au lancement de plusieurs projets de modifications d’avions pour la lutte anti-incendie dont deux d’une capacité sans commune mesure avec les aéronefs alors en service.

D’un côté la compagnie 10 Tanker  procède à la mise au point et à la mise en service d’un DC-10 doté d’une soute de 45 000 litres, de l’autre, la compagnie Evergreen International va encore plus loin avec un Boeing 747-200 cargo doté d’un système de largage de 19 600 gallons US soit environ 75 000 litres. Ces deux types d’avions ont entraîné la création d’une nouvelle catégorie dans la classification des avions de lutte anti-incendie aux USA, les VLAT, Very Large Air Tankers.

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En haut, deux montages préfigurant le Supertanker en action. En bas, deux photos du 747-273C N470EV lors de ses premiers essais de largage, alors qu’il conserve encore la livrée Evergreen International habituelle. (Evergreen Supertanker)

Evergreen International n’est pas tout à fait un nouveau venu dans ce business. Dans les années 70 et 80, avant de se spécialiser dans le fret avec une importante flotte de Boeing 747 cargo, cette compagnie de travail aérien a exploité des B-17 Flying Fortress et P2V Neptune tankers sous contrat avec l’US Forest Service. Evergreen conserve alors aussi une branche hélicoptères de travail aérien dont les S-64 Skycrane peuvent être utilisés comme bombardiers d’eau. Cette entreprise, avec une vraie expérience et une vraie histoire dans le domaine de la lutte contre les feux, tente donc un come-back tonitruant. Un budget de 40 à 50 millions de dollars est alloué à ce projet, essentiellement pour la conception et la fabrication du système de largage pressurisé qui fait l’objet de plusieurs brevets successifs en fonction de ses évolutions.

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Une fois certifié, le premier Supertanker, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, devint le Tanker 947. Sa dérive fut alors peinte en conséquence et le nom Supertanker ajouté sur le fuselage. (Photo : Scott Wright)

Le premier système conçu est installé sur des palettes mobiles afin de pouvoir, comme un MAFFS, être facilement ôté de la soute d’un Boeing 747-200 cargo par son nez ouvrant, même si une modification importante de l’avion porteur reste nécessaire avec l’installation à demeure sous le fuselage, des quatre buses de largage.

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Les quatre buses de largage du Supertanker.

La complexité d’un système pressurisé, par opposition aux systèmes conventionnels et à débit constant, est compensé par la relative étroitesse de la zone à modifier sur la structure de l’avion pour installer les quatre buses de largage.

La force de l’impact de la charge et l’empreinte du largage font cependant l’objet d’importants débats, de même que le comportement d’un avion aussi imposant à basse altitude. Evergreen répond en expliquant que contrairement aux autres appareils obligés d’être très bas (30 à 50 mètres en fonction des circonstances) pour larguer, la pression du système adopté sur le Supertanker l’autorise à le faire depuis une hauteur de 250 mètres, ce qui est cohérent pour une utilisation en attaque indirecte ou semi-directe au retardant. Cette capacité, toujours selon la compagnie, ouvre alors la perspective d’une possibilité d’utilisation nocturne de l’appareil, bien qu’aucune expérimentation pratique ne soit prévue alors à moyen terme.

Evergreen insiste surtout sur la polyvalence de son avion, capable de poser d’importantes charges de retardant contre des feux, mais susceptible de pouvoir faire de même avec les produits dispersants utilisés lors des marrées noires par exemple.

Le premier avion modifié avec ce système, le Boeing 747-273C immatriculé N470EV, effectue ses essais préliminaires en 2004 sur une zone aménagée au nord de l’aéroport du Pinal Park à Marana dans l’Arizona et donne satisfaction à ses commanditaires.

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Au nord du Pinal Park, entre Tucson et Phoenix dans l’Arizona , une zone rectangulaire de 2 km de long a été aménagée pour l’analyse des largages du Supertanker. (Google Earth)

La certification est obtenue en 2006 et sa première présentation publique a lieu la même année, au mois de mai, à Sacramento en Californie. C’est la première d’une longue série qui a pour but de faire connaître l’appareil et ses capacités aux décideurs des différentes administrations susceptibles de louer cet appareil imposant et néanmoins coûteux. Mais l’avion ne parvient pas à décrocher le moindre accord.

Devant cette situation qui perdure Evergreen prend la décision, autour de 2008, de réaffecter le N470EV à des vols cargos et d’utiliser un Boeing 747-100, plus ancien et moins rentable pour le transport de fret pour poursuivre l’aventure Supertanker.

Le deuxième Supertanker, le Boeing 747-132C, immatriculé N479EV, Tanker 979

C’est le Boeing 747-132C N479EV, construit en 1970 et utilisé par China Airlines et PanAm avant d’être converti en cargo en 1984, qui est choisi. Il devient donc le Tanker 979 fin 2008 lorsqu’on lui installe un système de réservoirs et de largage dérivé du modèle précédent, allégé par la suppression du système de palettes et avec des réservoirs améliorés.

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Le système de réservoirs sous pression du Supertanker.

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Schéma de l’aménagement général du système embarqué à bord du Supertanker 979. Extrait du  brevet déposé par Evergreen en 2008. Légende : 30 = réservoirs de retardant. 46 = accumulateurs d’air pressurisé. 5 = alimentation sous pression. 5 = buses de largage.

En mars 2009, le nouveau Supertanker obtient l’approbation de l’Interagency Tanker Board, l’organisme  en charge d’évaluer les appareils candidats aux contrats saisonniers de lutte contre les feux aux USA.

Avec l’objectif de décrocher des contrats en dehors des USA, l’avion effectue une tournée de démonstration qui débute à Chateauroux le 16 juillet 2009. L’avion est ensuite présenté le 21 juillet à Ciudad Real en Espagne. Les pompiers espagnols étant alors aux prises avec un feu important, qui venait de tuer cinq des leurs, l’appareil effectue alors son premier largage opérationnel dans la région de Cuenca. Ensuite, le Supertanker effectue une dernière démonstration à Francfort le 24. A peine rentré sur le continent américain, il est amené à intervenir sur un immense feu dans la région de Fairbanks en Alaska le 31, faisant ainsi la démonstration d’une véritable capacité intercontinentale. A la fin de l’été, il est également sollicité pour participer à la lutte contre les feux qui touchent la région de Los Angeles.

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Le Boeing 747-100 Tanker 979 garé devant la tour de contrôle de Chateauroux le 16 juillet 2009.

En décembre 2010, Il intervient en Israël lors du terrible feu du Mont Carmel, dans lequel 40 personnes ont perdu la vie, puis, en avril 2011, il est engagé au Mexique pour combattre des feux dans la province de Coahuila.

L’appareil est ensuite arrêté de vol faute de nouveau contrat. Le PDG d’Evergreen publie alors une lettre ouverte dans laquelle il critique vigoureusement le manque de soutien de l’US Forest Service alors même que l’organisme fédéral est confronté à un grave déficit d’avions opérationnels et que la situation sur le front des incendies, notamment dans l’ouest du pays, est intenable. Le Supertanker semble alors promis au parc à ferraille, ses réacteurs ayant même déjà été retirés pour servir à d’autres avions de la compagnie ou être revendus.

Mais au début de la saison 2013, l’USFS, annonce officiellement accorder au Supertanker un contrat en « Call When Needed » de trois ans. Un tarif prévisionnel est également annoncé, soit 75 000 $ par jour d’activité plus 12 000 $ par heure de vol effectuée.

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Le Boeing 747 Supertanker stocké à Marana, trois réacteurs en moins, en 2014. (Google Earth)

Finalement, devant le coût de la remise en état de son appareil, que la compagnie estime alors à un million de Dollars, Evergreen décide de repousser l’opération en gardant pour objectif de rendre l’avion opérationnel pour la saison 2014.

Malheureusement, Evergreen, dont l’activité cargo est alors essentiellement consacrée au rapatriement du matériel militaire américain depuis l’Irak et l’Afghanistan, est directement victime du « shutdown »  budgétaire américain de 2013. Privé de ses contrats avec le Department of Defense, la compagnie cesse son activité à l’automne. En faillite, elle est liquidée au mois de décembre. Le Supertanker reste alors stationné à Marana dans l’Arizona, dans un coin de l’aéroport, aux côtés d’autres avions désormais en attente d’une décision sur leur sort.

Si l’histoire du Supertanker selon Evergreen s’arrête là, celle d’un Boeing 747 de lutte anti-incendie continue pourtant avec la création d’une nouvelle société dont l’objectif  est de poursuivre cette aventure.

(à suivre)