Et le Transall fut pompier du ciel

Ainsi donc les derniers Transall ont été mis à la retraite. Après plus d’un demi-siècle de barouds aériens c’est une carrière immense qui s’est achevée pour un appareil qui aura su se rendre indispensable et se forger sa propre légende.

Les qualités du Transall sont connues, il etait robuste, fiable et agréable à piloter. On sait qu’on pouvait aussi le bouger et lui en faire voir, il tenait ! Mais il était sans doute un peu sous-motorisé et sa charge utile aurait gagné à pouvoir être augmentée de quelques tonnes. Il reste un avion qu’il fallait aussi respecter comme l’explique un de ses anciens cochers au Poitou : « Pollux est divin mais ne se laisse pas dompter facilement.« 

Le Transall R202 récemment livré à Vannes et déjà adopté par les oiseaux du quartier si on en juge les traces en haut de la dérive.

A l’heure où les projets pour doter C-27J, Casa 295 ou A400M de plateformes de largage amovibles, voire même offrir un successeur aux MAFFS destinés aux C-130 se multiplient, on se dit, parfois, que le cheval de bataille du transport aérien militaire aurait pu faire l’étalage de ses qualités du côté des pompiers du ciel. En réalité, bombardier d’eau, il l’a été mais de façon très anecdotique.

C’est de l’autre côté du Rhin que l’histoire a commencé.

Au cours de l’été 1975, à cause de la sécheresse, la Basse-Saxe, s’embrasa. Un feu dépassa rapidement les 8000 ha et, plus grave encore, tua sept personnes, dont six pompiers. Le 11 août, trois CL-215 français décollèrent de Marignane pour opérer quelques jours outre-Rhin depuis le lac Steinhuder. Le combat dura 5 jours au cours desquels les trois Canadair effectuèrent quelques 145 heures de vol.

Les moyens aériens de lutte anti-incendie avaient, une fois de plus, démontré leur intérêt pour épauler les forces engagées au sol contre les sinistres qui s’étaient multipliés dans le secteur.

L’Allemagne n’étant pas une zone à risque d’incendies de forêt élevés, pouvoir disposer de moyens aériens permanents était un non-sens économique et opérationnel. Mais compter sur un système permettant de convertir à moindre coût un aéronef de transport militaire en cas de besoin semblait être un choix pertinent, à l’instar du MAFFS qui entrait alors en service aux USA sur C-130 Hercules.

Une conception MBB

C’est le Ministère de la Recherche et de la Technologie (BMFT) qui fut en charge de diriger un projet de système permettant aux C160D de la Luftwaffe de pouvoir opérer comme bombardiers d’eau. La firme Messerschmitt-Bölkow-Blohm (MBB, aujourd’hui intégré au groupe Airbus) fut sélectionnée pour le développement technique de la soute.

La plateforme mobile, d’une masse à vide d’un peu plus de deux tonnes, mesurait 13.80 m de long, 2,61 m de haut et 2,40 de large. Elle pouvait contenir jusqu’à 12 000 litres d’eau ou de retardant évacué par gravité par la rampe arrière ouverte de l’avion porteur. Elle ne nécessitait aucune modification de l’appareil et pouvait être installée à bord en 45 minutes. Elle se remplissait au sol comme n’importe quelle soute de Tanker. Le largage pouvait-être déclenché par le commandant de bord depuis le poste de pilotage mais une commande mécanique permettait son ouverture par un personnel présent en soute.

Schéma d’installation de la soute MBB pour Transall en position de largage, rampe ouverte. (Document Aérospatiale/MBB)

Les temps de remplissage de la soute étaient variables selon la puissance des pompes utilisées. De construction robuste, la soute MBB a pu être remplie de 12 000 litres d’eau en 3 minutes 30. Les soutes des Tankers en service en France, plus légères, font que les Pélicandromes ne débitent qu’un peu plus de 1000 litres minutes pour ne pas les endommager. Le remplissage au retardant de la soute du Transall sur les Pélicandromes actuels n’aurait demandé qu’une dizaine de minutes, à peine plus que ce qui est nécessaire pour un Q400MR.

Premiers essais

Les premiers essais sont effectués en 1979 à Manching à partir d’un Transall du LTG 62. Il fallait au moins 4,5 secondes pour vider la soute depuis l’avion qui volait alors autour de 130 kt avec une assiette positive de 11°. Avec une assiette de 6,5° le temps de largage se rallongeait pour atteindre 7 secondes. C’est donc l’assiette choisie par le pilote qui déterminait alors le flux du largage.

Au cours des essais, le Transall couvrit ainsi une zone de 200 mètres de long et 50 de large et dans ses documents commerciaux, le constructeur évoquait une surface traitée de 12 à 17 000 m2 avec un largage haut et d’une surface traitée de 8000 m² par un largage bas,

Premiers essais de largage de la soute pour Transall en Bavière à la fin des années 70. (Photo : Aérospatiale/MBB)

Un second prototype de soute est ensuite construit pour corriger quelques problèmes apparus lors de ces essais préliminaires, notamment les tourbillon de sillage qui firent qu’une partie de la charge fut aspirée dans la soute et mouilla abondamment le dessous de la queue, ce qui aurait pu constituer un soucis en cas d’utilisation de retardant puisque le produit est assez corrosif et pourrait tacher durablement ainsi l’avion de sa teinte écarlate.

Rampe arrière ouverte, la soute MBB déverse sa charge. (Photo : MBB)

Une solution simplissime fut donc apportée avec l’intégration d’un grand déflecteur mobile de 3,5 mètres, qui protégeait ainsi le dessous de l’avion lors des essais menés fin 1982.

Entrée en service

Ceci fait, les deux plateformes expérimentales entrèrent en service au sein du LTG 62, basé à Wunstorf et furent inaugurées le 26 juillet 1983 lors d’une intervention sur un feu de pinède qui avait éclaté en Basse-Saxe. Les deux Transall opérèrent en Sardaigne à la demande du gouvernement italien le mois suivant.

La Luftwaffe mettant à disposition ses aéronefs, ce sont les Länder, les collectivités régionales, qui se devaient de financer l’acquisition des quatre soutes de série commandées à MBB pour un montant d’un million de Deutsche Mark. Mais la Basse-Saxe se retrouva très vite seule lorsque les autres Länder, moins concernés par les problèmes des feux, se retirèrent du projet. Ne pouvant supporter seule une telle dépense, le projet fut donc annulé et les deux soutes prototypes restèrent inutilisées jusqu’en 1992, date à laquelle elles furent vendues à un ferrailleur et disparurent.

Présenté à la Sécurité Civile Française

MBB présenta son système à la Sécurité Civile française dès sa première version, à la fin des années 70, mais l’opérateur national opta pour la conversion d’avions dédiés, disposant d’une soute de largage conventionnelle beaucoup plus efficace, les Douglas DC-6. Néanmoins le concept allemand revint à la charge à plusieurs reprise, notamment en juin 1985 au cours de l’exercice « Florac » auquel participa un G.222 italien équipé d’une soute SAMA (MAFFS adaptée) et un CH-53 allemand équipé d’un seau de largage, mais les démonstrations du Transall effectuées à Marignane ne parvinrent pas à convaincre qui que ce soit.

Adopté en Indonésie

En 1981, la compagnie indonésienne Pelita Air Service (PAS) commanda six Transall C160NG. Bien qu’étant une compagnie commerciale, PAS n’en demeurait pas moins une officine gouvernementale capable d’assurer des missions para-militaires. Le pays, constitué de milliers d’îles, étant régulièrement touché par des feux de forêt, en 1986, Pelita se porta donc acquéreur de deux soutes de largage MBB qui furent livrées avec les deux derniers Transall commandés.

Un des Transall aux couleurs de Pelita Air vers 1992. Photo ; J. Guillem.

Dès lors, régulièrement, les Transall furent équipés des soutes pour combattre des feux lorsque le besoin s’en faisait sentir. Peu d’informations sont disponibles sur ces missions et les photos montrant ces avions en action sont  rares.

En 1997,  les quatre C160D encore en service chez Pelita sont revendus à une nouvelle compagnie indonésienne créée cette année-là, Manunggal Air, qui ne semble pas avoir repris les soutes MBB, qui furent pourtant, juste avant, engagées massivement sur les feux qui touchèrent l’Indonésie cette année-là. Ce qu’il est advenu de ces systèmes n’est pas connu.

Ainsi donc, le Transall a occasionnellement été pompier du ciel une dizaine d’années mais loin des cieux européens.

Les raisons d’un échec

Quelles conclusions tirer de cette expérimentation d’un système pourtant séduisant sur le papier et de son échec commercial ?

Sans être prohibitif, l’investissement pour ce système à usage temporaire est resté élevé. A ceci s’est ajouté un faible intérêt des collectivités locales et de la Luftwaffe. Pour ces derniers, ces missions sortaient du cadre de leur activité classique, obligeant à libérer des heures de vol pour la formation des équipages, puisque voler sur feu ne s’improvise pas, ce qui se fait, forcément au détriment des missions principales.

En dépit des qualités certaines du vecteur, le choix d’une soute à largage par déversement n’a pas su convaincre les opérateurs auxquels le système fut proposé. Le principe utilisé rendait nécessaire le maintien d’une assiette positive de l’avion pour assurer le déversement du liquide, handicapant drastiquement les capacités d’intervention en zone montagneuse où il est généralement nécessaire de faire des passes « nez-bas » en descendant le long du relief (downhill) pour des raisons de sécurité.

Aucun système à déversement n’a jamais réussi à convaincre totalement pour une raison simple. Le largage par une rampe arrière, qu’il se fasse par gravité ou sous pression, supprime l’effet principal recherché lors d’un largage par un aéronef, l’impact de la charge qui bouleverse l’équilibre comburant-combustible et qui permet de souffler le feu avant même que l’effet de la charge, le refroidissement, ne débute. Donc ces systèmes utilisés avec de l’eau sont peu, voire pas, efficaces.

La soute à poste à bord d’un Transall. Notez le déflecteur replié au-dessus de la soute. Image tirée du livre « Des Pélican et des Hommes ».

Seule l’utilisation au retardant pour l’établissement de barrière pourrait sembler être une utilisation pertinente de ces systèmes. Or, les chiffres donnés montrent qu’il n’en était rien. La clé d’une barrière de retardant efficace c’est son adaptation à la végétation qu’elle recouvre. Si les prairies d’herbes rases peuvent être protégées avec une densité de couverture faible, il faut beaucoup plus de retardant pour être efficace sur des arbres hauts et denses.

Question de concentration du produit

Lors des essais de la soute, celle-ci a été soumise à une évaluation de son rendement, c’est à dire du niveau de concentration de produit qu’elle était capable d’épandre au sol. En dépit de petites surfaces où la concentration a pu dépasser 5 litres au m², l’essentiel de la surface mouillée, environ 10 000 m², recevait entre 0,5 et 2 litres par m². Dans certains documents, MBB et Aerospatiale évoquent néanmoins des concentrations de 2,5 à 3 litres au m² pour les largages à basse hauteur sans autres précisions.

Ces chiffres sont très similaires à ceux des évaluations des soutes MAFFS 2 effectuées pour le compte de l’USFS en 2009 et démontrent que ces soutes sont surtout adaptées aux surfaces peu chargées en combustible. A contrario les soutes à portes classiques ou à débit constant dépassent largement cette densité qui s’ajoute, dans le même temps, à l’effet de masse procuré par un largage conventionnel (2).

Ceci confirme que tous ces système modulaires prévus pour être installés à bord d’avions sans aucune modification ne sont utilisables qu’en renfort ponctuel et  ne sauraient remplacer les avions spécialisés bien plus efficaces.

La soute MBB n’aura été, au mieux, qu’un pis-aller. Et c’est dommage, le Transall méritait bien mieux !!

(1) Il faut du temps pour former un pilote expérimenté à l’attaque des feux. Plusieurs saisons passées avec un instructeur et quelques années de plus pour être vraiment à l’aise sont nécessaires. Or les militaires dont les affectations changent souvent ne peuvent vraiment assurer une continuité de cette « culture » au sein des unités concernées. C’est d’ailleurs pour pallier ce problème qu’aux USA, les MAFFS sont systématiquement précédés d’un Lead Plane. C’est la seule façon de pouvoir engager de façon sûre des équipages formés rapidement et peu expérimentés pour ce genre de mission. Le principe est simple mais il exige un « éco-système » opérationnel qui n’existe pas en Europe.

(2) 2,4 litres ou plus au m² sur 550 m² pour un largage « salvo » d’un CL-415, sans indication de la concentration maximale, 600 m² pour un largage demi-charge (6000 litres également) sur un C-130 RADS avec un réglage de densité intermédiaire.

 

Sources :

Transall C 160, une aventure Franco-Allemande, Stéphane Allard, Marines Éditions, 2009.

Des Pélicans et des Hommes, Amicale des pompiers du ciel, 2007.

– Guide d’emploi des moyens aériens, Ministère de l’Intérieur, 1999.

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