L’annonce de la fin du Tracker au sein de la Sécurité Civile met un point final à une histoire longue de 37 années de bons et loyaux services. Bien sûr ce parcours n’a pas été exempt de drames, comme on l’a connu encore cet été, mais cet avion, acheté à vil prix pour épauler les CL-215 et les DC-6 au début des années 80 s’est avéré être un des investissements les plus remarquables de l’histoire de l’aviation française.
Bien sûr la turbinisation puis le plan 20/20, leur permettant d’être prolongés d’une vingtaine d’années, ont été couteux mais les services rendus ont été à la hauteur.
Initialement, les Tracker devaient être des avions d’intervention rapides, prêt à décoller sur alerte en complément des Canadair. Leur faible coût opérationnel et leurs performances ont rapidement conduit les équipages à effectuer des patrouilles de Reconnaissance à vue (RàV) rapidement renommées Guet Aérien Armé (GAAr) sur des itinéraires précis afin de pouvoir agir sans tarder sur les feux naissants. Et cette doctrine s’est avérée efficace et surtout décisive. Et l’avion particulièrement bien taillé pour cette mission.
Mais c’est aussi cette adéquation quasi-parfaite de l’avion à sa mission qui est la cause de cette fin précipitée puisqu’il aura fallu plus de dix ans pour trouver un successeur au Tracker tant il était difficile de trouver un appareil rassemblant toutes les qualités du bon vieux Grumman ! Et pendant ce temps, l’avion vieillissait, ses fûts de trains en particulier.
Évidemment, le Dash 8 prend la relève mais la mission va forcément évoluer, les appareils étant pensés différemment. C’est vrai qu’on aurait pu rêver que les Conair Firecat soient remplacés par des Dyncorp Tracker, ce qui aurait été une solution poste-pour-poste évidente, mais il est compliqué de réécrire l’histoire.
Pour moi, c’est un déchirement parce que le Tracker est un avion auquel je suis attaché. C’est l’avion qui a sans doute le plus contribué à mon intérêt pour les appareils de lutte contre les feux de forêt.
Dans un premier temps, c’est l’apparition au-dessus de la maison de mes parents de deux Turbo-Firecat flambants neufs, au début des années 90, lors d’une journée portes-ouvertes à la base de l’UISC n°1 de Nogent-le-Rotrou pour une démonstration feux de forêt qui constitua un premier moment inoubliable et dont je garde précieusement les photos faites alors par mon père.
Les deux étés passés ensuite à travailler à la Grande-Motte m’ont aussi permis de les voir de temps à autres, avec toujours un grand intérêt.
Quelques années plus tard, à la Ferté-Alais, alors que je campais sur place pour suivre les deux jours du meeting, j’ai été convié à visiter le cockpit du Firecat (oui, un Tracker à moteur à pistons peut se poser à la Ferté et en repartir !) par son pilote découvrant par là même sa mission, ses équipages, ce cockpit incroyable avec cette ergonomie étonnante – les fameuses poignées des gaz au plafond – et surtout ces deux grandes bulles latérales. Ce fut un moment exceptionnel.
Au début des années 2000, ce fut la rencontre avec Bernard Servières, mécanicien navigant, qui m’ouvrit les portes du secteur en 2005 pour un article publié ensuite par Aviation Française Magazine (n°8, février-mars 2006).
Dans la foulée Jérôme Laval me fit découvrir le pan américain de l’histoire de cet avion. Deux voyages en Californie me permirent ensuite d’approcher les appareils du Cal Fire dans leur environnement, sur leurs bases de McClellan, Chico, Hemet Valley ou Ramona.
Le fruit de ces rencontres et ces voyages, ce fut le numéro spécial du Fana de l’été 2018 consacré en grande partie à leur histoire.
Comment ne pas citer, du coup, cet après-midi de mars 2019 passé avec « Hirsute » et quelques copains dans le cockpit du T01, un autre très grand moment, et cette très belle démo de « Goodec » qui fut la dernière occasion de mettre des Turbo Firecat en vol dans l’objectif de mon appareil photo.
Car vint le drame du T22 dont je fus averti immédiatement par un témoin direct. Un premier coup dur. Puis lorsque le T12 s’est affaissé sur son train à Béziers, on savait que la situation devenait grave étant donné le peu d’intérêt qu’il y avait à faire de « l’acharnement thérapeutique » pour un avion destiné à être, de toute façon, retiré du service dans quelques mois. J’étais heureux d’apprendre, en novembre, la reprise des vols… L’annonce, juste avant les fêtes, de la découverte d’une nouvelle crique ne laissait, dès lors, guère de doute dans l’issue de la crise.
La fin de service du Tracker en France, qui rappelle un peu la façon dont les Nord 262 ont aussi terminé leur carrière il y a une décennie, est foncièrement injuste au regard de l’histoire du Grumman. Il méritait de survoler les Champs Élysées, d’avoir une cérémonie officielle de retrait et que les avions puissent gagner les musées par leurs propres moyens. Qu’un dernier vol officiel marque la fin de cette histoire !
Les pilotes du secteur n’ont jamais cessé de défendre leur monture, c’est peut-être ce qu’il faudra retenir. Il est impératif de garder en mémoire le travail fantastique effectué au cours de ces 37 dernières saisons feu !
Des Tracker vont continuer à voler sur feux en Californie, peut-être même ailleurs, pendant de nombreuses années, une preuve de plus que dans une mission extrêmement difficile le Tracker a su se rendre indispensable, au point de rendre sa succession tout sauf évidente. Il n’a pourtant jamais été une tête d’affiche mais des avions avec un tel palmarès et une telle longévité, on n’en connaît bien peu.
Quand on s’intéresse aux avions, on peut s’attacher à certains d’eux par leurs hauts-faits d’armes, l’importance de leurs avancées techniques, leur esthétique, leur histoire voire même tout simplement parce qu’on a volé dessus. Le Tracker n’est pas une vedette et son CV n’est pas forcément le plus impressionnant, mais pour qui sait lire entre les lignes, sa longévité comme avion embarqué puis pompier du ciel – il y a t’il des domaines plus exigeants ? – sa bonne bouille rondouillarde mais élégante en ont fait un avion sympathique, attachant. Il est aussi une des illustrations d’un axiome très personnel : seuls les très bons avions peuvent devenir pompiers du ciel.
Parce que, pour moi, il a aussi été une des machines par laquelle tout est arrivé, j’ai du mal à me résoudre de le savoir cloué au sol prématurément, définitivement, sans nous laisser le temps de célébrer sa grande histoire. Quelle amertume !
Bel hommage. Je suis moi même un ancien du trackers notamment du T2. Mais aussi des autres. La fin d’une très belle histoire. Dur.
Quand je lis votre commentaire j’ai envie de pleurer. Le T 22 s’est écrasé chez nous à Générac. J’ai toujours aimé les avions et particulièrement ceux des Pompiers du Ciel que j’admire. Ce tracker il est beau à regarder et il est surtout efficace en action. Il ne se passait pas un jour où j’avais la tête en l’air pour les admirer voler quand j’entendais le bruit des moteurs.
Merci Respect !!!!
les ayant remplis pendant toutes ces années sur le site de lanas en Ardèche , quelle triste fin pour ces vétérans de la dsc.
je n’arrives pas a croire que je ne les verrais plus voler et venir faire leur plein chez nouset comment oublier le bruit de leurs moteurs a pistons au début et celui de leurs turbines ensuite
la seule chose qui me tient a cœur maintenant c’est de voir arriver le T07 sur lanas
l’année ou j’aurais me 40 ans de service chez les sapeur pompiers volontaires
ce sera un bel hommage pour cet avion légendaire
pas adieu messieurs mais au revoir
Merci pour ce beau témoignage rendant un vibrant hommage à cet avion légendaire qui a rendu tant de services.
Il serait « beau » d’en conserver un à l’entrée de la base, en souvenir.
Avec les Firecats à « la feraille » du jour au lendemain, que devient le secteur tracker, ses pilotes et ses personnels ?
Tout les CdB converti avant la saison haute sur DASH8 ? ça risque de ce compliquer avec seulement quelques machines censées déjà beaucoup servir vu qu’il y en a seulement 4 (donc 2 nouveaux pour remplacer tout les trackers)…
Une décision aussi brutale même si « compréhensible » d’un point de vue comptable me laisse tout de même dubitatif d’un point de vue opérationnel et managérial sur la soudaineté et la potentiel durée (2 saisons) de cette rupture capacitaire dans le dispositif de lutte contre les incendies de forets sur le territoire national.
Les pilotes se sont organisés pour rejoindre les secteurs Dash et Canadair histoire d’être ops pour la saison à venir. Pour la soudaineté de la décision, se souvenir que les avions sont arrêtés de vol en décembre et que la décision n’est prise qu’en février.
Un avion mal taillé ou peu efficace n’aurait pas suscité autant d’émotions lors de son retrait.
Finalement, le pincement au coeur que l’on ressent tous est le meilleur hommage qu’on pouvait rendre à ce gentil félin.
Merci à lui et à tous ceux qui l’ont rendu si efficace et attachant.