L’évènement est passé un peu inaperçu, mais quelques semaines à peine après la réception du premier Boeing 727, le Museum of Flight de Seattle a accueilli une autre pièce maîtresse dans une collection dont la richesse ne cesse d’étonner.
Il ne restait qu’un seul Boeing 247 en état de vol dans le monde ; à la fin du mois d’avril il a effectué son dernier vol pour intégrer le musée. Le 247 est un avion important dans l’histoire de Boeing, car il fut son premier succès commercial significatif sur le marché des avions commerciaux.
Conçu pour les besoins de la compagnie United Air Lines, qui cherchait à se démarquer de ses concurrents, l’avion marquait une véritable évolution de l’aviation commerciale et n’avait aucun équivalent technologique à l’époque de sa sortie. Il était d’une formule extraordinairement novatrice avec sa structure métallique, sa voilure monoplan, son train escamotable, son système de dégivrage et la forme très particulière des vitres de son cockpit. Au départ équipé d’hélices à pas fixe, il fut le premier avion de ligne à recevoir des hélices à pas variable qui amélioraient très sensiblement ses performances et la marge de sécurité en cas de panne de moteur juste après le décollage. Équipé pour le vol aux instruments, il possédait aussi un pilote automatique, certes basique, mais qui réduisait déjà beaucoup la charge de travail de l’équipage en croisière.
Entré en service le 1er juin 1934 sur la ligne New York-San Francisco, parcourue en 7 escales et une vingtaine d’heures de vol, il accueillait une dizaine de passagers pour le confort desquels des efforts notables avaient été faits. Ils bénéficiaient en effet d’un système de climatisation et surtout des services d’une hôtesse de l’air, une innovation promise à un grand avenir lancée par United trois ans auparavant et qui avait été prise en compte dès la conception du nouveau Boeing.
Il y avait de quoi faire réfléchir les instances dirigeantes des autres compagnies qui obligeaient leurs passagers à se traîner à bord de Ford Trimotor chez TWA ou même de biplans Curtiss Condor, entrés en service l’année précédente chez American Airlines. Avant même son entrée en service, le 247 n’était pas passé inaperçu, et Boeing avait commencé à recevoir de multiples sollicitation pour ce nouveau appareil, mais les termes du contrat avec United étaient clairs, Boeing ne pouvait engranger de nouvelles commandes avant d’avoir livré les 60 exemplaires commandés.
Cette clause entraîna donc le directeur de la TWA, Jack Frye, à se tourner vers un autre constructeur pour obtenir, lui aussi, un avion moderne. Il frappa à la porte de Douglas qui construisit le DC-1, exemplaire unique mais dont le DC-2 fut rapidement extrapolé avec un succès commercial à la clé. Le DC-2 engendra ensuite le DST et l’aviation entra alors dans une nouvelle ère !
Bien sûr, Boeing apprit de ses erreurs et la compagnie poursuivit son développement au point qu’en 2016, année de son centenaire, elle n’a presque jamais été aussi puissante. Tellement puissante qu’il y a 20 ans, elle s’offrit son concurrent de Long Beach avec lequel la concurrence fut féroce tout au long du XXe siècle. Ce n’était sans doute pas une vengeance, mais ce plat se mangea quand même bien froid !
Au cours de sa carrière, le Boeing 247 se distingua en remportant plusieurs records importants de l’époque, notamment en vitesse. Piloté par le légendaire Roscoe Turner, il s’offrit même une très belle troisième place en 1934 sur la course Londres-Melbourne, un parcours particulièrement sélectif effectué en un peu plus de 85 heures de vol, derrière un DeHavilland 88 Comet et un… Douglas DC-2 ! Décidément !
Le Boeing 247, en dépit de son efficacité ne fut construit qu’à 75 exemplaires. Un peu plus de deux ans après leur entrée en service, United les revendait déjà pour s’offrir des Douglas ! Disséminés dans de nombreuses compagnies d’importance secondaire, certains restèrent pourtant en service jusqu’aux années 60 après avoir même parfois connus un petit intermède militaire au sein de la Royal Canadian Air Force pendant la 2e guerre mondiale.
Seulement quatre exemplaires de cet avion ont survécu jusqu’au 21e siècle. Le plus célèbre n’est autre que l’avion de Roscoe Turner exposé depuis longtemps à Washington au National Air & Space Museum. Un autre est visible à Ottawa au Canada Aviation and Space Museum tandis qu’un troisième se trouve au National Museum of Science and Industrie à Wroughton en Grande-Bretagne.
Le dernier, ultime rescapé de cette importante famille, est donc le « City of Renton ». Livré en 1933, il vola successivement pour Pacific Air Transport, United, Pennsylvania Central Airlines puis la RCAF. Rendu à la vie civile dès 1941 il vola ensuite aux USA puis au Costa Rica où il est sérieusement endommagé en 1952. Rapatrié en Floride deux ans plus tard, il est modifié pour l’épandage et sert en Californie pour l’ensemencement de nuages. Il est abandonné à la fin des années 50 et il est racheté en 1966, à l’état d’épave, par la Pacific Northwest Aviation Historical Fundation qui devint plus tard le Museum of Flight. Désormais immatriculé N13347, sa restauration est lancée en 1979 et s’achève le 29 juin 1994 lorsqu’il revole enfin. Il participe alors à de nombreuses manifestations aériennes. Le 26 avril dernier, son dernier court vol l’a amené de Paine Field à Everett jusqu’au Boeing Field à Seattle. Exactement le même vol que celui effectué par le premier Boeing 727 au mois de Mars. Il sera très prochainement exposé aux côté de son concurrent et rival DC-2 au sein du Musée.
Cet avion pourrait mériter sa place de choix dans l’histoire de l’aviation par la seule existence des nombreuses et importantes innovations qui ont été introduite au cours de sa conception et qui ont ensuite fait école chez les avionneurs du monde entier. Mais, parce que l’ironie sied parfaitement à l’histoire, c’est bien pour avoir indirectement conduit à l’avènement du Douglas DC-3 que le Boeing 247 est d’une importance aussi considérable qu’incontestable.