Si l’histoire ne risque pas d’oublier le DC-3, l’histoire du premier d’entre-eux est relativement peu connue. Les hommes qui sont à l’origine de cette flamboyante réussite méritent aussi qu’on s’attarde sur leurs parcours respectifs.
Le premier des DC-3 était donc un Douglas Sleeper Transport (DST), une version à fuselage élargi et plus puissante du DC-2 destinée à emporter ses passagers dans des couchettes pour les vols de nuit. Même si l’avion ne retenait que 10% de pièces communes avec son prédécesseur, pour Douglas, ce n’était qu’une évolution et le premier exemplaire construit n’était pas un prototype. C’était un avion destiné à être remis très vite à la compagnie aérienne qui l’avait commandé, American Airlines.
Immatriculé X14988, (msn 1494) le premier DST, modèle 144, effectue donc son vol inaugural le 17 décembre 1935. Au cours du mois suivant, il effectue 25 heures de vol d’essais puis, au printemps, il est remis à American Airlines avec l’immatriculation NC14988 et une centaine d’heures de vol au compteur.
Au cours des années suivantes il change plusieurs fois de configuration passant de 21 passagers à 24, puis 28 et enfin 32. En 1942, il est revendu à la TWA. Cette compagnie venait d’obtenir un contrat avec l’US Army pour des vols de passagers et de fret. En mai de cette même année, sa propriété est transférée à la défense américaine et, devenu un C-49E, l’avion est affecté au 24th Troop Carrier au sein de l’USAAF sous le numéro d’identification 42-43619.
Malheureusement, le 14 octobre suivant, dans le mauvais temps, il s’écrase non loin du terrain d’aviation de Knob Noster, dans le Missouri, Sedalia Air Force Base, qui ne s’appelait pas encore Whiteman AFB. L’accident fait au moins trois morts. Le premier des DST aurait, au cours de sa courte carrière, accumulé 17 166 heures de vol, un chiffre très élevé mais plausible.
Pour le « non-évènement néanmoins historique » du 17 décembre 1935, son équipage était constitué de trois hommes :
Carl A. Cover, qui avait la double casquette de chef des ventes et de pilote d’essais, avait déjà assuré les vols inauguraux des DC-1 et DC-2. Après celui du DST et du DC-3, il fit ceux du DC-4E et du DC-5 qui ont laissé moins de traces dans l’histoire. Au début de l’année 1944, il quitte Douglas pour Bell, mais au mois de décembre de cette même année, alors qu’il se trouve aux commandes d’un bimoteur Beechcraft 18, il s’écrase près de Wright Field (Aujourd’hui Wright-Patterson Air Force Base) à Dayton, Ohio, avec son passager, Max Stupar, un autre pionnier de l’aéronautique américaine.
Copilote du premier vol du DST, Franklin R. Collbohm, ingénieur et pilote d’essais, ne garda donc aucun souvenir marquant de ce fameux vol d’essais. Impliqué dans tous les projets de Douglas jusqu’à la fin de la guerre, il quitte l’entreprise californienne en 1946 pour s’impliquer dans la création de la Rand Corporation, un organisme indépendant, à but non lucratif, en charge de promouvoir l’innovation et l’analyse dans les domaines de l’aéronautique et de la défense et devenu aujourd’hui, le laboratoire d’idées de référence. Frank Collbohm est décédé à l’âge de 83 ans en février 1990.
Ils étaient accompagnés de Fred J. Stineman (1910-1951), qui tint le rôle du mécanicien navigant lors de ce premier vol.
L’idée du DST était née chez American Airlines où William Littlewood (1898-1967), chef ingénieur et vice-président de la compagnie voulait élargir l’offre d’avions-couchettes qu’il pouvait proposer aux passagers de sa compagnie, surtout pour les vols reliant la côte Est à la côte Ouest. Avec Otto E. Kirchner son assistant, il parvint à convaincre C.R Smith (1899-1990), le patron de la compagnie, et ensemble, définirent les spécifications du futur appareil en fonction de leurs besoins en partant de l’idée d’un DC-2 plus large et plus puissant. Pour réduire le nombre d’escales lors des liaisons entre les deux côtes des USA, il fallait aussi que l’appareil ait une autonomie nettement améliorée. Une fois la faisabilité du projet bien établie, ils se tournèrent vers Douglas pour la concrétisation du concept. William Littlewood fut l’interlocuteur privilégié de l’entreprise californienne pendant toute la durée de la conception de l’avion et sa mise au point.
Chez Douglas, de très nombreux cadres de l’entreprise sont bien évidemment intervenus dans ce projet, avec, en premier lieu, l’ingénieur en chef Arthur E. Raymond (1899-1999).
Ce diplômé du MIT effectua toute sa carrière chez Douglas où il débuta comme ajusteur. Gravissant rapidement les échelons, il est ingénieur en chef au milieu des années 30 et participe activement à la conception des avions commerciaux jusqu’à l’avènement du quadriréacteur long courrier DC-8.
Il est considéré comme le vrai père du DC-3 dont il fut un des principaux concepteurs, au point d’être réputé en connaître « le moindre écrou, le moindre boulon ». Preuve de son grand talent, lorsque l’âge de la retraite arriva et qu’il quitta Douglas à l’âge de 60 ans, il passa la décennie suivante au sein de la NASA. Son rôle fut de coordonner le travail des sous-traitants impliqués dans deux programmes qui portaient les noms de Gemini et d’Apollo ! Rien que ça !
Juste à la fin de la guerre, il fut aussi aux côtés de Franck Collbohm, un des instigateurs et fondateurs du laboratoire d’idée qui devint la très réputée Rand Corporation.
Parmi les autres intervenants majeurs dans ce programme, on peut citer le chef d’usine à Santa-Monica, l’ingénieur Harry H. Wetzel. Chef de l’ingénierie au sein de Douglas, Edward F. Burton fut aussi un participant important au programme DST et à ses dérivés.
Bailey Ostwald, Ingénieur, Docteur en aérodynamique, né en 1906 et décédé en 1998, fut le chef aérodynamicien de Douglas jusqu’au DC-8 et œuvra donc sur la famille DST et DC-3. Ingénieur en charge de la conception du train d’atterrissage du DST et de ses systèmes hydrauliques, le travail d’Harold W. Adams (1910-2007) fut aussi remarquable bien qu’il profita du travail préalable d’Ed Burton sur le DC-1. Elling Veblen, autre pilote d’essais de Douglas, apporta aussi sa contribution à la mise au point du DST et du DC-3. La voilure du DC-3, reprenait les principes multi-cellulaires et à revêtement travaillant imaginés et conçus par John K. « Jack » Northrop (1907-1990). Les qualités de cette aile offraient à Douglas une supériorité technique de robustesse et d’efficacité sur ses concurrents. Ingénieurs aux talents multiples, il se rendit ensuite célèbre par un travail sur les ailes volantes dont le bombardier furtif B-2 est l’aboutissement.
On ne peut pas oublier dans la liste James Howard « Dutch » Kindelberger (1895-1962), qui, en tant qu’ingénieur en chef chez Douglas, créa les DC-1 et DC-2, ce qui en fait peut-être le grand-père du DC-3 !
En 1934, il passa chez Aviation Manufacturing Corporation qui devient quelques années plus tard, la North American qu’il dirigea et qui produisit sous sa direction le P-51 Mustang, le B-25 Mitchell, le F-86 Sabre mais aussi le X-15 !
En partant de Douglas, « Dutch » Kindelberger débaucha un jeune ingénieur, très prometteur, John L. « Lee » Atwood (1904-1999).
Celui-ci avait travaillé sur la résistance du fuselage des DC-1, DC-2 et DST. On sait que le DC-3 est un avion à la résistance hors du commun puisqu’il fait partie des avions dont les fuselages n’ont pas de limite de potentiel, ce qui tendrait à prouver le bon travail d’Atwood. Passé chez North American, il passa à la postérité en participant très activement à la création du P-51 Mustang, avion qui eut également une influence majeure sur le déroulement de la 2e guerre mondiale. Lorsque « Dutch » prit sa retraite, c’est Atwood qui lui succéda à la tête de l’entreprise.
Autour du berceau du DC-3 c’est clairement la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la côte ouest qui se sont penchés, avec le résultat qu’on connaît. Les parcours professionnels de la plupart d’entre eux sont exemplaires et leur influence sur l’histoire de l’aéronautique est indéniable. Les grandes réussites sont parfois le fruit du hasard, l’histoire ne manque pas d’exemples, mais dans le cas du DC-3, c’est clairement la rencontre d’hommes talentueux, d’idées pragmatiques et d’une conjoncture propice qui menèrent ce projet jusqu’à la légende.