Doter un avion d’un système lui permettant de déverser eau ou retardant sur les feux de forêt sans avoir à lui faire subir de modifications profondes, voilà l’idée qui prévalut à la naissance du Modular Airborne Fire Fighting System (MAFFS) dans les années 70. Malheureusement, ce système ingénieux a souffert, et souffre encore, de lacunes techniques et de contraintes administratives qui l’ont relégué au rang d’outil de renfort alors que le projet était porté par d’autres ambitions.
Un des aspects les moins reluisants de la guerre du Vietnam fut la guerre chimique menée par l’USAF avec ses avions chargés de l’épandage de défoliants dont l’Agent Orange, devenu tristement célèbre. Les C-123 de l’opération « Ranch Hand » étaient, pour cela, équipés d’un système de réservoirs et de rampes A/A457-1. Aux USA, une filiale du groupe FMC Corporation, nommé Defense Technologie Laboratory travaillait, au début des années 70, sur son successeur, le PWU-5/A Modular Internal Spray System (MISS).
Le destin du MISS bascula en septembre 1970 lorsqu’un feu éclata près de San Diego et que les Tankers et bombardiers d’eau alors en service se révélèrent handicapés par le vent et ne purent contrecarrer efficacement le développement du sinistre. Au final, il dévora 70 000 ha en deux semaines et tua 16 personnes. Face à ce désastre le Congrès, le 26 février 1971, demanda à l’US Air Force de se doter d’outils de lutte anti-incendie pour équiper ses aéronefs, notamment pour défendre les territoires dont elle est chargée, soulageant ainsi les moyens habituels.
La société FMC Corporation, qui avait senti l’opportunité venir, avait modifié son MISS, alors sur le point d’entrer en phase de test, pour faire évoluer sa vocation d’épandage de défoliant vers l’épandage de retardant et l’avait présenté au ministère de la Défense pour cette nouvelle mission. Sans surprise, le 1er mai 1971, FMC signa un contrat pour développer le Modular Airborne Fire Fighting System.
Le prototype contenait deux réservoirs de 500 gallons (1890 litres) installés en série et d’un système sous pression pour pousser la charge à se déverser par deux buses fixes qui débouchaient par les portes latérale d’un C-130 Hercules, avion de transport tactique destiné à en devenir le vecteur standard.
L’ensemble était installé sur une plateforme mobile afin de pouvoir être glissé d’un seul bloc à l’intérieur de la soute des C-130 et ainsi pouvoir les utiliser pour cette nouvelle mission sans avoir à modifier quoi que ce soit à bord.
Des essais furent menés en Californie au cours de l’été et conduisirent à une modification du système qui passa à 5 réservoirs pour un total de 3000 gallons (un peu plus de 11 000 litres) et un agrandissement du diamètre des buses de largage pour en accélérer le débit. Le positionnement des deux buses a été également revu. Devenues pivotantes, elle débouchaient désormais par la rampe arrière pour le largage. Relevées, elle permettaient donc la fermeture de la porte cargo, une situation bien plus confortable pour l’équipage en vol vers un feu.
Le premier largage opérationnel fut effectué le 9 août 1973 près de Missoula et le 1er septembre 1974, l’US Forest Service commanda 7 autres MAFFS qui furent construits par la société Aero Union à Chico. Les 8 plateformes, puisque le prototype fut admis au service actif, furent réparties par paires au sein de quatre unités volant sur C-130 dans l’Air National Guard et l’Air Force Reserve, le 153rd Airlift Wing dans le Wyoming, le 146th AW en Californie, le 145th AW en Caroline du Nord et le 302nd AW dans le Colorado.
Le MAFFS subit alors les foudres des compagnies sous contrat avec l’USFS qui virent dans cette intrusion des forces armées dans leur activité la naissance d’une concurrence déloyale en contradiction avec l’Economy Act de 1932 interdisant aux militaires d’effectuer des tâches déjà confiées à des entreprises privées. Un compromis fut alors trouvé et les MAFFS cantonnées depuis au rôle de renfort, ne pouvant être activées que lorsque les moyens habituels se trouvent débordés.
Néanmoins, les plateformes ne restèrent pas à rouiller au fond des hangars. Avec des feux de plus en plus durs et des moyens aériens lourds de plus en plus limités, les activations furent très régulières, notamment dans les années 2000. En juillet 2008, en Californie, les 8 plateformes furent même engagées sur le même feu, une situation impensable initialement.
Entre 1974 et 2009, date de leur retrait de service, les MAFFS de l’USFS de première génération furent engagés dans 6500 missions, procédant au largage de 75 000 tonnes de retardant sur les feux aux USA.
Mais les feux de forêts ne sont pas qu’un problème américain et le C-130 étant un avion très bien exporté, certains opérateurs se portèrent acquéreur du système. Des MAFFS furent utilisés par l’aviation militaire du Portugal (1983-1995), en Italie (1978-2000) et 9 plateformes de première génération demeurent en service, deux au Brésil, en Tunisie, au Maroc et en Turquie, une seule en Thaïlande. Le système fut également évalué par la Grèce, l’Australie et le Chili mais aussi par la France en 1993.
Par l’ingéniosité de son principe, le MAFFS inspira d’autres systèmes concurrents comme ceux installés à bord des Il-76 d’Emercom ou celui développé par MBB pour le Transall à la fin des années 70. Mais c’est le SAA (Sistema Aeronautico Antincendi) italien, dont 5 exemplaires ont été utilisé sur les Fiat G.222 entre 1976 et 2000 qui s’en rapproche le plus. Ne disposant que d’un seul réservoir de 6300 litres sous pression, le SAA, aussi dénommé SAMA pour Sistema Aeronautico Modulare Antincendi, développé par Silvani et commercialisé par Finmeccanica, tenait du MAFFS par ses deux buses, identiques à celles du système américain, permettant le largage par la rampe ouverte. Un exemplaire se trouvait à bord du G.222 MM62131 lorsqu’il fut perdu avec son équipage de quatre homme le 29 août 1985 au cours d’une mission en Sardaigne.
Le MAFFS remplissait sa mission en transformant un C-130 en Tanker par son installation rapide à bord mais le système utilisé était contraignant. La mise sous pression du système nécessitait l’utilisation d’un compresseur au sol, opération qui se faisait en parallèle du remplissage du retardant. Surtout, la densité du produit ainsi répandu restait faible (1,6 litre/m²) et, contrairement aux autres avions anti-incendie, n’avait aucun effet d’impact au moment du largage, un élément essentiel pour l’efficacité des attaques directes contre les flammes.
Une autre limite de l’efficacité des MAFFS reste liée aux équipages, formés pour les missions habituelles de transport de leurs avions mais qui ne bénéficient que d’une ou deux semaines d’entraînement spécifique à cette autre mission dont les paramètres sont très particuliers et où l’expérience du feu joue un rôle prépondérant. Les rotations dans les unités concernées font que l’expérience des équipages MAFFS n’y est jamais très importante.
Alors que la première génération des MAFFS approchait sa fin de carrière, Aero Union planchait sur un successeur baptisé AFFS pour Airborne Fire Fighting System, d’une contenance supérieure, 3400 gallons (12 800 litres environ) en un seul réservoir, et disposant d’un système de mise sous pression intégré permettant d’effectuer l’opération en vol.
Le déversement de la charge s’effectue cette fois par le biais d’une buse unique débouchant de la porte arrière gauche à travers une porte spécialement conçue ce qui permet de laisser l’avion fermé en permanence, pour le plus grand confort de son équipage.
L’AFFS ne corrige pas, néanmoins, le problème d’impact du MAFFS et son « coverage level » qui reste faible. Ses barrières de retardant ne sont pas les plus denses donc pas les plus efficaces, même si l’opérateur embarqué dispose, cette fois, d’un outil de régulation du débit lui permettant de faire varier cette couverture mais jusqu’à un maximum de 3,18 litre/m² là où les systèmes par gravité dépassent souvent les 4 litres/m². L’épandage du produit par une buse unique entraîne également une certaine étroitesse des barrières de retardant ainsi déposées.
En plus de la porte adaptée, les C-130 pouvant emporter l’AFFS, doivent disposer d’un tableau électrique spécifique ce qui constitue une modification structurelle, mineure néanmoins, mais qui limite le nombre d’avions disponibles pour cette mission au sein des unités concernées.
Le prototype de l’AFFS vole en 2006 et l’USFS réceptionne son premier exemplaire de série en juillet 2007. Il est longuement testé avant d’être confié pour mise à disposition au ministère de la Défense, en janvier 2009, qui le baptise MAFFS II. 9 plateformes sont commandées, 8 en service, une en secours, qui viennent remplacer les plateformes de la génération précédente au fur et à mesure de leurs livraisons.
L’entrée en service du MAFFS II se fait lors de l’intervention de deux C-130J du 146th AW de l’Air National Guard de Californie sur le Skinner Fire près de Riverside le 15 juillet 2010.
Le 1er Juillet 2012, le C-130H 93-1458 du 145th AW opérant comme MAFFS 7 dans le Dakota du Sud s’écrase, plaqué au sol par un courant rabattant d’une force extraordinaire. Sur les six membres d’équipages présents à bord, quatre perdent la vie.
A partir de 2015, les unités militaires n’opèrent plus que 7 plateformes puisque la 8e équipe alors un des deux HC-130H de l’USFS hérités de l’US Coast Guard, Tanker 116 et Tanker 118, depuis Sacramento McClellan.
En septembre 2017, le 145th AW de la Garde Nationale de Caroline du Nord, abandonne la mission MAFFS, en raison de sa future transformation sur C-17, et confie son unique plateforme restante aux bons soins du 152nd AW de l’Air National Guard du Nevada, basé à Reno. Cette unité devrait récupérer, à l’issue de la saison 2018, la plateforme utilisée par l’USFS à Sacramento à la fin de l’expérience menée avec les deux Hercules, avions dont l’avenir n’a pas été encore précisé.
Avec la faillite d’Aero Union en 2011, les droits des plateformes MAFFS sont désormais entre les mains d’une société justement nommée MAFFS Corp, qui continue de construire ces plateformes pour les clients à l’export, qui assure le suivi technique des systèmes en service et qui a procédé à une modification de la buse de largage afin d’élargir le trait de retardant largué, selon la demande de l’USFS.
En avril 2017, MAFFS Corp a livré à l’aviation militaire colombienne une plateforme MAFFS II qui est entrée en service au sein du Grupo de Transporte Aéreo 81 basé à Bogota. Il s’agit de la première exportation du nouveau système.
Ingénieux mais d’une efficacité discutée, le MAFFS, dans ses différentes versions n’en demeure pas moins un outil de renfort appréciable, notamment pour les pays ne connaissant que des épisodes incendiaires limités et ponctuels. Le MAFFS, dans ce cadre-là, apporte une vraie polyvalence aux moyens militaires et pourtant, quelque soit la version, il s’est finalement moins exporté qu’on aurait été en droit de l’imaginer.
Son utilisation par les Gardes Nationales et la réserve de l’USAF est plus discutée car les activations de ces moyens de renfort sont extrêmement couteuses, la faute, entre-autres, aux équipes pléthoriques que les unités mettent en place pour l’exploitation de leurs avions. Pour les opérateurs privés, l’investissement consenti dans ces moyens onéreux et peu efficaces serait bien mieux employé au développement de la flotte sous contrat, disponible en permanence avec des équipages très expérimentés volant sur des avions à l’efficacité généralement démontrée. Le débat existe depuis les années 70 et ne devrait pas se terminer de sitôt !