Air France, sans surprise, a donc pris la décision d’accélérer le retrait de sa petite flotte d’Airbus A380 qui, depuis quelques semaines, était immobilisée notamment sur les parkings de l’aéroport de Teruel en Espagne. Elle n’est pas la seule. Les raisons pour lesquelles l’A380 n’a pas été le succès escompté sont nombreuses et connues : les réglementations ETOPS qui ont renforcé l’hégémonie des biréacteurs long courrier, les coûts élevés de maintenance du quadriréacteur et, comme coup de grâce, une pandémie qui a pulvérisé l’économie du transport aérien et dont on se demande si elle s’en relèvera un jour.
Il y a exactement 10 ans, Air France débutait la mise en ligne de l’A380. Pour « roder » les appareils mais surtout les équipages, les premiers avions ont multiplié les liaisons courtes en effectuant principalement des Paris CDG-Londres Heathrow. Ces vols étaient ouverts aux passagers avec une tarification spéciale très abordable (79 € l’aller-retour) avec toute la souplesse d’un billet normal, l’occasion aussi pour la compagnie de satisfaire les nombreux curieux désireux de voler à bord de cette machine fantastique !
J’avais réussi à obtenir une réservation (c’était moins difficile que de décrocher un billet pour les vols d’adieux au 747 !) et j’ai donc découvert l’A380 de l’intérieur le 26 juin 2010) bord du F-HPJC.
A l’embarquement, j’avais remarqué une silhouette vaguement familière. Je me suis approché de lui et nous avons échangé quelques mots.
Jacques Nœtinger, pilote et journaliste aéronautique, parrain de la Patrouille de France puisqu’il la baptisa ainsi en 1953 alors qu’il était au micro du meeting aérien d’Alger, commentant ce qui n’était qu’une patrouille acrobatique organisée au sein de la 3e Escadre de Chasse pour représenter l’armée de l’Air. Auteur prolifique et historien de l’aéronautique française, il venait donc découvrir l’A380 de l’intérieur, lui qui avait connu la Caravelle, sans doute assisté aux premiers envols du Concorde et de l’Airbus A300. La passion des avions, jusqu’au bout (1).
La mise en ligne de cet avion incroyable était un évènement. L’Europe aéronautique égalait enfin le géant de Seattle. Les Airbus A320 se vendaient autant que les 737, les A330 concurrençaient les 767 et les 777 et avec son quadriréacteur, Airbus proposait un défi au 747. Bien sûr, depuis l’engouement du tout premier vol, 5 ans plus tôt, était venu le temps des doutes avec ce retard inexplicable dans la mise au point en raison du manque de coordination des équipes françaises et allemandes. Surtout, si le carnet de commande en 2005 était encourageant, depuis, on sentait que les ventes subissaient un fléchissement inquiétant alors que tous les autres appareils, quelque soit le constructeur, se vendaient par poignées !
Ces vols Air France furent un large succès et, autant que je m’en souvienne, l’avion était plein. Voyageant seul et ayant pu choisir, je me suis retrouvé au pont inférieur place 10A avec plus d’espace que je n’en espérais et près d’un hublot.
La mise en route fut une surprise. Rien, pas un bruit, pas une vibration. Le roulage fut amusant car sur le bord du taxi-way, de très nombreux équipages s’interrompaient pour regarder passer le nouvel avion.
La rétraction des trains était également imperceptible. Le niveau sonore de l’appareil était incroyablement bas et les conversations n’en étaient que plus simples. Le steward en charge de notre secteur se livra à quelques confidences, lui qui volait depuis quelques semaines sur le nouvel avion. Plus silencieux et avec des « galley » spacieux, les vols étaient moins fatigants pour eux que sur n’importe quel autre avion. Un vrai progrès.
Tout à l’avant, dans le cockpit, ce devait être les mêmes commentaires avec un gros porteur facile et bien conçu. Seuls les comptables, faisant et refaisant leurs calculs, allaient avoir quelque chose à redire et ce sont eux qui ont aujourd’hui le pouvoir. Mais ces considérations ne touchaient pas encore les passagers qui profitaient du spectacle offert à 20 000 pieds entre Paris et Londres.
Nous profitions d’un court vol, confortable, agréable. Entre deux photos, je testais quelques fonctions de l’IFE. L’accès aux caméras extérieures permettant de « voler » avec l’avion m’avaient fasciné…
A Londres, je débarquais de l’avion pour réembarquer aussitôt. Bien sûr, j’aurais pu en profiter pour passer une nuit sur place, aller traîner chez Foyles et boire une pinte dans un vrai pub mais la possibilité de faire le retour dans la foulée était amusante.
Il fallut donc sortir de l’avion, passer quelques minutes dans l’aérogare puis repasser les contrôle de sécurité. Ce fut facile même si j’avais laissé une batterie du Nikon dans ma poche, ce qui déclencha le portique et me valu une fouille plus complète mais d’un professionnalisme qui m’avait rassuré, loin du travail d’amateur des agents de sécurité français…
De retour à ma place, j’en profitais pour immortaliser les innombrables… Boeing 747 visibles sur l’aéroport londonien !
Ce court aller-retour avait démontré ce que tous ceux qui ont eu la chance de voler à son bord depuis disent, cet avion est l’un des plus confortables et des plus agréables pour les passagers, et son équipage, qu’il soit. Il est bien possible que l’A350 bénéficie aussi de ces avancées si cruciales pour la fameuse « expérience client », à ce titre l’aventure A380 n’aura sans doute pas été totalement vaine.
Il m’a fallu attendre 8 ans, mars 2018, pour revoler sur le « gros » puisque c’est à bord du JE, devenu célèbre pour son déroutement à Goose Bay, que je suis rentré de Californie. Moins de place pour les jambes qu’en 10A (2), vol de retour, de nuit, après un voyage aussi fabuleux qu’un peu fatigant, j’ai beaucoup moins apprécié le trajet. Le fait d’être assis ni à un hublot ni à un couloir jouant énormément.
J’ai eu de multiples occasion encore de photographier des A380, en particulier lors des différents Salon du Bourget ou de la livraison d’un des protos au Musée de l’Air, voire même sans bouger de chez moi et d’autres occasions se présenteront à nouveau. Car comme certains concluent trop facilement, le retrait des A380 d’Air France et la fin de sa production chez Airbus ne signifient pas l’arrêt total et immédiat de sa carrière opérationnelle.
Toutes les compagnies ne vont pas cesser du jour au lendemain de les exploiter, mais il est déjà certain que la carrière complète de l’Airbus A380 n’atteindra jamais la longévité de celle du 747 par exemple.
Il va donc rejoindre la cohorte des réussites techniques qui se révélèrent inadaptées aux marchés de leurs époques. Reste qu’il n’aura pas droit, au sein de la compagnie aux dérives tricolores, à un adieu digne de ce nom. On aura une pensée donc pour les navigants qui ont fait leur dernier vol dessus sans savoir que c’était leur ultime envolée… un évènement qui est devenu désagréablement courant ces derniers temps.
(1) Jacques Noetinger est décédé le 21 avril 2012 à l’âge de 92 ans.
(2) j’avais plus de places pour mes jambes dans le Cessna 177 d’Antoine !! Un comble !