Véritable vedette de l’exposition statique de l’Aerial Firefighting Event en mars dernier, le Boeing 747 Supertanker de la société Global Supertanker Services était accessible aux visiteurs. A l’heure où il a rejoint les opérations en Californie voici à quoi ressemble, de l’intérieur, le plus gros « camion de pompiers » volant de l’histoire.
Ancien « Liner » de Japan Airlines, le futur N744ST a été mis ensuite au standard cargo (BCF pour Boeing Converted Freighter) pour la compagnie Evergreen International Airlines. A la faillite de celle-ci en 2013, il est racheté par son propriétaire actuel, une société formée essentiellement par des anciens d’Evergreen désireux de poursuivre l’exploitation du concept de Boeing 747 de lutte anti-incendie qu’ils avaient développé depuis le début des années 2000.
Alors que les deux précédents Supertanker, qui attendent désormais leur sort dans le désert, n’avaient connu que quelques opérations épisodiques étalées sur une décennie, le nouveau 747, qui a effectué son premier largage test au printemps 2016, a vécu une première année d’opérations plus trépidante qu’espéré, intervenant en Israël en novembre, au Chili de janvier à février 2017 puis en Californie, pour le compte du Cal Fire, du début de l’été à la fin des opérations en décembre. Au total, l’avion a effectué aux alentours de 150 largages opérationnels sur feux pour sa première année de service.
Après un court hiver passé en maintenance à Colorado Springs, sa base principale, l’appareil a été déployé à Sacramento McClellan dès le mois de juin 2018. Il a été activé ensuite à plusieurs reprises par la Californie pour combattre les feux au sud comme au nord de l’état, et le 21 juillet, il a effectué son premier largage en Oregon, à son tour frappé par plusieurs gros feux, une mission ponctuelle effectuée pour le compte du Department of Forestry (ODF) et qui a donné lieu à trois sorties.
Orné d’une décoration élégante et contemporaine, le Tanker 944 ne passe pas inaperçu. On accède à son bord par la porte avant gauche qui débouche directement sur le pont principal où se trouvent les deux rangées de réservoirs qui constituent l’ensemble de largage.
Le système est celui qui a été construit et installé pour le premier Supertanker, un 747-200F qui disposait d’une porte cargo dans le nez. Le 747-400BCF ne dispose que d’une porte cargo située à l’arrière, le système capable d’emporter environ 75 000 litres de retardant a donc été modifié pour pouvoir être installé à bord.
Le système de réservoirs et de mise sous pression occupe presque tout le pont principal ce qui fait que le Supertanker conserve les trois compartiments cargo se trouvant sous le plancher du pont principal, bien pratiques pour transporter le matériel nécessaire pour un déploiement. Le compartiment avant peut toujours recevoir deux conteneurs ULD (Unified Loading Device, en français conteneur LD3) et le dévidoir utilisé pour le chargement du retardant. Le compartiment cargo arrière est occupé par les quatre buses de largage et ne peut plus servir qu’à ranger la barre de remorquage de l’avion. Le troisième compartiment, tout à l’arrière, est réservé au vrac et peut aussi continuer à être utilisé pour transporter des pièces de rechange supplémentaires.
Une échelle métallique permet d’accéder au pont supérieur. On est loin de l’escalier des versions passagers. La bosse caractéristique des 747 constitue la « zone vie » du Supertanker avec à l’avant, le poste de pilotage.
Pour celui qui le découvre, le cockpit d’un Boeing 747 est surprenant. Alors que l’avion affiche des dimensions particulièrement généreuses, le poste de pilotage n’est pas si spacieux, avec un plafond finalement assez bas. Mais il reste assez large pour être confortable. Il est situé relativement en haut et bien en avant du train principal ce qui demande une certaine rigueur pendant les roulages.
Sa planche de bord, avec ses cinq écrans multifonctions lui donnent un aspect très familièrement contemporain. C’est oublier que le premier vol d’un 747-400 remonte à 1988 et qu’il s’agissait, à l’époque, d’une avancée considérable pour la gestion des systèmes en vol. A l’origine, l’équipage des premières versions du 747 était composé d’au moins trois hommes, pilote, co-pilote et ingénieur de bord, les version tardives comme le 747-400 ont été conçues directement pour un équipage à deux.
Néanmoins, la spécificité des missions feux a conduit GSS à créer un nouveau rôle à bord, le DSO, Drop System Operator, assis sur le « jump seat » central et qui dispose d’une console latérale pour gérer l’ensemble du système de largage pendant que les deux autres gèrent l’avion et sa trajectoire.
Le principe du système de largage du Supertanker est d’utiliser de l’air sous pression contenu dans 8 des réservoirs du pont principal. Pour des raisons de centrage, ce sont les réservoirs les plus en arrière, ceux contenant le retardant étant au dessus du centre de gravité de l’avion. Un système de tuyaux permet ensuite à cet air de venir chasser la charge qui se déverse alors par quatre buses situées juste en arrière de l’aile. Pour mettre ces réservoir sous pression, il est nécessaire d’employer un compresseur haute pression externe. L’une des évolutions possibles du Supertanker sera d’ailleurs de pouvoir disposer d’un compresseur interne pour être encore plus autonome lors de ses déploiements. Lors du largage, l’air passe par un système de régulation et en jouant ainsi sur la pression et sur le nombre de buses utilisées, le DSO est en mesure de faire varier la densité du largage (coverage level de 2, faible densité, à 10, forte densité). Le rôle du troisième homme d’équipage est donc crucial.
Derrière eux se trouve la cabine équipée d’une douzaine de sièges de première classe, extrêmement confortables, permettant à l’appareil de se déployer avec son équipe au complet, mécaniciens et équipage de relève. Le système de divertissement en vol qui existait du temps de son exploitation chez JAL a été enlevé lors de sa conversion au rôle de cargo, seule différence notable entre cette « première classe » et celle d’une compagnie régulière.
Car si le pont cargo principal est dépourvu de toutes décorations et fioritures, le pont supérieur est lui, resté au standard d’un avion de ligne, ce qui en fait un espace agréable. Contrairement à beaucoup d’avions de lutte anti-incendies qui sont dépouillés de toutes les traces de leur passé commercial, pour gagner en masse, le 747-400 a tellement de marge sur ce point que GSS a pu se permettre ce luxe, y compris celui de conserver le tissu de revêtement des parois. Juste avant d’entrer dans le cockpit, on y découvre d’ailleurs la remarquable collection de patches obtenus auprès des unités avec lesquelles le Supertanker a travaillé !
Le fond de la cabine a conservé son « galley » ce qui permet d’assurer un minimum de services lors des vols de convoyage comme ce fut le cas pour relier Colorado Springs, sa base principale, et Tel Aviv ou Santiago lors de ses deux premiers déploiements à très longue distance.
Marcos Valdez, volubile pilote, ne tarit pas d’éloges sur son avion qu’il manie avec une dextérité certaine. Son approche et son atterrissage à KMCC, au mois de mars, façon encadrement, en vol à vue et sans toucher au pilote automatique, semblait aussi simple qu’à bord d’un Cessna… mais avec un avion dont la masse dépassait les 200 tonnes !
D’ailleurs, quand on l’interroge sur les problèmes que pourrait avoir cet avion à intervenir dans le relief, il répond, non sans provocation que, quelque soit l’appareil, à une vitesse donnée et un angle identique, le rayon de virage sera toujours le même. Ayant lui-même piloté l’avion lors des interventions dans la Cordillères des Andes et dans les montagnes californiennes, il ne semble pas préoccupé par le côté soit-disant « suicidaire » de son métier. Il en est de même pour ses collègues puisque plusieurs équipages se relaient sur l’avion en cours de saison.
Le 747-400 en configuration Tanker n’est jamais exploité à sa masse maximale. En cas de problème, le largage de la charge en urgence est toujours possible et ne prend que quelques secondes. Ainsi allégé, l’avion, qui dispose d’une réserve de puissance phénoménale même sur trois réacteurs, pourra toujours reprendre de l’altitude ce que beaucoup d’avions pourtant considérés comme plus adaptés à la mission auront plus de mal à faire en performances dégradées même si son utilisation dans le relief nécessite, bien sûr, un indispensable travail d’anticipation des trajectoires.
Néanmoins, vers 170 kt, le 747 largue à une vitesse supérieure à celle d’un CL-415 en croisière. Mais à partir du moment où le Lead Plane prend en compte les spécificités du « Tanker » qui le suit, l’intervention peut se faire en toute sécurité.
Surtout, les techniques de largage du retardant, qui n’exigent pas que l’avion soit collé au terrain pour être efficace, assurent au Supertanker une vraie marge de manœuvre.
Ainsi, si le 747 ne peut pas effectuer un largage direct sur les flammes au creux d’une vallée trop étroite, il pourra, en fonction des conditions météo, larguer sur les crêtes pour empêcher le feu d’envahir la vallée d’à côté ou bien de le stopper à la sortie de la vallée avec le retardant établi en barrière.
Le Supertanker à l’ouvrage en 2017 en Californie.
Si le scepticisme était de mise lorsque les DC-10 et 747 sont arrivés sur le marché de la lutte anti-incendie, il y a un peu plus de dix ans, aujourd’hui, ils ont, par leurs actions contre les feux, fait taire une grande partie des critiques à leur égard. La réponse aux inquiétudes ayant pris la forme de longue bandes rouges sur les collines noircies de Californie et d’ailleurs. Désormais on peut dire que les hommes du Cal Fire et des autres corps de pompiers qui combattent les feux au sol comptent vraiment sur eux.
Pour les spécialistes, le système utilisé à bord du Supertanker, d’une mise en œuvre complexe, est loin d’être aussi efficace sur feux que peuvent l’être les systèmes à gravité « constant flow » par exemple. Pour les interventions que le Supertanker a été amené à conduire lors de ses différentes missions aux USA, la pose de barrières de retardant, le système a été considéré comme tout à fait acceptable. Néanmoins, lors de ses interventions au Chili, où il est devenu iconique, et où il a travaillé avec du retardant court-terme et en largage direct, son action a été reconnue comme sensiblement moins efficace que les autres avions engagés sur les mêmes feux, le BAe 146 de Neptune Aviation et l‘IL-76 VAP-2 d’Emercom.
Au cours des conférences, plusieurs responsables des pompiers californiens ont toutefois souligné l’action décisive des VLAT en contrat avec le Cal Fire, sur les immenses feux qui ont touché l’état l’année dernière avec un hommage particulièrement appuyé au Boeing 747 dont c’était pourtant la toute première saison.
On se souvient que ce sont les contrats accordés par l’État de Californie au DC-10 qui ont ainsi permis au triréacteur de faire ses preuves sur le terrain et de convaincre ensuite l’USFS de lui accorder des contrats d’emploi exclusifs, permettant alors à la flotte de la société 10 Tanker de se développer. L’histoire ne serait-elle pas en train de se répéter, cette fois-ci au profit de GSS ?
merci à Marcos et Bob pour l’accueil !