En plus des versions militaires du C-130 Hercules commercialisées à plus de 2500 exemplaires depuis soixante ans, Lockheed, aujourd’hui Lockheed Martin, a réussi à placer quelques avions de ce type, les L-100 et L-100-30, certifiés par les autorités civiles comme cargos et plus rarement pour l’emport de passagers, parfois les deux puisque l’option « combi » existe. Une centaine d’exemplaires ont été construits et vendus entre 1964 et 1992, dont une grande partie reste en service au sein d’une poignée de compagnies et, paradoxalement, quelques forces aériennes.
Si le marché civil a été relativement réceptif aux versions adaptées des C-130E, pourquoi n’en serait-il pas de même avec la version C-130J qui, elle aussi, connaît un succès considérable sur les marchés militaires ? Telle est l’interrogation qui a mené à l’émergence d’une nouvelle version civile et certifiée du Hercules.
Celle-ci, baptisée LM-100J, utilise le fuselage allongé du C-130J-30 et fait son vol inaugural le 25 mai 2017 à Marietta en Georgie. Elle est présentée au statique, dans la foulée, au Salon du Bourget dès le mois suivant. Preuve de la confiance de Lockheed Martin en son produit, l’avion n’avait eu le temps d’accumuler que 28 heures de vol, convoyage transatlantique entre la Géorgie et Paris compris !
Cette année, le LM-100J a été présenté au salon aéronautique de Farnborough et son domaine de vol étant désormais bien ouvert, il a effectué une démonstration en vol particulièrement spectaculaire comprenant une majestueuse boucle, une manœuvre peu fréquente pour cette catégorie d’avions. De quoi frapper l’imagination des spectateurs et d’ancrer le LM-100J dans leur mémoire !
La spectaculaire démonstration du LM-100J lors de Farnborough 2018. (voir vers 2″00)
Le salon britannique a été aussi l’occasion pour Lockheed Martin de dévoiler une nouvelle version de leur Hercule civilisé, le LM-100J FireHerc dédié à la lutte anti-incendie.
Les Hercules sur feux, c’est une évidence depuis le début des années 70 et l’arrivée des premières plateformes MAFFS dans les unités de l’ANG et de l’AFRes.
Dans les années 80, les premiers C-130A véritablement modifiés pour ce combat ont largement démontré les capacités véritables de ce vecteur une fois doté d’un système d’arme à la hauteur comme le RADS conçu par Aero Union et aujourd’hui développé par la société Coulson. Bien sûr, on ne peut pas passer sous silence le hiatus que cette carrière a connu de 2002 à 2014 mais le nouvel engouement pour le Hercules anti-incendie, incarné à la fois par les avions de Coulson et de l’US Forest Service, tend à démontrer que les errements qui ont mené à la destruction en vol de deux avions sont désormais de l’histoire.
C’est dans cette optique que LM propose donc son FireHerc qui ne se distingue des LM-100J que par son équipement spécialisé.
Deux options sont possible, celle du MAFFS 2, conçu et construit initialement par Aero Union et désormais commercialisé par la société MAFFS Corp, la bien nommée, qui ne nécessite, pour basculer du rôle de transporteur à celui de Tanker, que l’installation d’un tableau électrique spécifique et de faire rouler la plateforme modulaire dans la soute. Mais on sait que ce système souffre de lacunes techniques importantes qui en obèrent l’efficacité démontrée, qui, en dépit de son principe formidable et de sa simplicité théorique, a été relégué à un simple outil de renfort ponctuel.
Lockheed Martin, dès la conception du LM-100J, s’est donc rapproché du groupe Coulson, qui a racheté les brevets des soutes RADS (Retardant Aerial Delivery System) pour C-130 fonctionnant selon le principe du « Constant Flow« , lors de la liquidation d’Aero Union. Le groupe canadien, qui a largement contribué à remettre le C-130 sur le devant de la scène chez les pompiers du ciel a doté trois avions, un EC-130Q et deux L-100-30, de cette soute et un quatrième, encore un EC-130Q, est en cours de conversion. Les appareils en service ont été ainsi intensivement utilisés en Californie et en Australie. Coulson avait aussi remporté l’appel d’offre pour équiper les HC-130H de l’US Forest Service mais la conversion n’a jamais été entamée et le programme est en cours d’abandon.
Ce système de largage est scindé en deux parties distincte. La première est fixe, installée à demeure dans le plancher de la soute et comporte surtout les deux portes de largage. Au-dessus, vient se positionner le réservoir interne, amovible, dont la contenance varie selon les modèles. Le RADS de base fait 3000 gallons (11 300 litres), les avions de Coulson ont reçu un modèle de 4000 gallons (environ 15 000 litres) en attendant celui de 5000 gallons (19 000 litres) en cours de développement.
Là aussi, le basculement d’une mission à l’autre est relativement facile et ne prend que très peu de temps. Coulson, dans son argumentation commerciale donne une durée de 30 minute pour amener la soute RADS, la positionner sur son emplacement, effectuer les branchements nécessaires et procéder à quelques essais d’ouverture des portes.
Techniquement, et pour beaucoup d’opérateurs, un C-130J disposant d’un RADS et certifié civil pour convenir aux nouveaux appels d’offres, est à la limite d’être l’outil parfait. Charge utile importantes, qualités manœuvrières du vecteur, polyvalence des largages, le RADS permettant d’adapter le « coverage level » (taux de couverture, densité du largage) à la situation et à la végétation, sont autant d’atouts démontrées par les C-130 Airtanker depuis le début des années 80.
Sur un plan technique l’appareil se présente avec des équipements du dernier cri mais ceci n’a rien d’étonnant pour un appareil devant s’intégrer dans l’espace aérien contemporain. FMS, GPS, système de navigation inertielle, écran pour une moving map et radar météo mais aussi un système l’alerte de proximité du sol et un détecteur de cisaillement.
Surtout, son cockpit est compatible avec l’utilisation de systèmes de vision nocturne.
Or, on sait que Coulson, sous-traitant de Lockheed Martin pour cette version, va expérimenter, à la fin de l’année, les largages de nuit depuis ses L-100 en Australie. ceci n’a donc rien d’anecdotique comme le souligne clairement le visuel de la couverture de la plaquette commerciale distribuée par son constructeur : La nuit, le dernier rempart à l’utilisation des aéronefs de lutte anti-incendie est l’obstacle que tout le monde cherche, aujourd’hui, à faire tomber.
Le cockpit du LM-100J dispose aussi de deux immenses HUD (Head-up display, afficheurs-tête-haute). L’utilisation de ces systèmes pour les missions feux n’est pas encore très répandu, et ce, pour plusieurs raisons. Peu d’avions de lutte anti-incendie en sont dotés, les plus connus étant les Q400MR de la Sécurité Civile. Mais les équipages n’étant pas formés à leur utilisation, ils restent sagement repliés dans leurs compartiments. Ce sont des outils pratiques pour le vol en IFR ; le Hercules ne disposant pas de calculateur de tir, le HUD n’est donc d’aucune aide pour la précision des largages.
Pire, son positionnement très près des yeux du pilote peut se révéler extrêmement dangereux dans les violentes turbulences qui accompagnent les feux survolés à basse hauteur. En cas d’opérations nocturnes, si les HUD du FireHerc devaient être utilisés pour afficher le résultat du travail des différents capteurs qui devront doter l’avion pour assurer un maximum de sécurité à l’équipage, EVS, imagerie infrarouge, affichage synthétique adapté, faudra-t-il revoir leur positionnement ?
Même si Lockheed Martin ne communique que très peu sur ce point, les chiffres qui circulent donnent un LM-100J de base à environ 65 millions USD. Pour une aviation militaire ou un organisme d’état, c’est un investissement acceptable (c’est à peu près le prix auquel la Sécurité Civile va toucher ses six prochains Q400MR). Pour un opérateur privé œuvrant sous contrat avec une collectivité locale, c’est irréaliste.
Ce lourd investissement ne sera même pas envisagé pour une raison simple : pourquoi s’endetter lourdement pour un Hercules flambant neuf alors qu’on peut trouver des appareils tout à fait convertibles, d’occasion, pour une fraction de ce prix ?
Un exemple simple : Coulson dispose donc de quatre Hercules pour ses contrats anti-incendies, le premier EC-130Q a été récupéré auprès d’un musée, le second était stocké depuis 25 ans à Davis-Monthan. Les deux autres sont des L-100-30 de chez Lynden Air Services. A aucun moment Coulson ne s’est intéressé à des avions neufs.
« Pourquoi chercher à obtenir des Hercules à 20 millions alors que je touche mes Boeing 737 à 3 millions pièce » a avoué Wayne Coulson lors d’une conversation dans les allées de l’AFF NA à Sacramento en mars dernier en expliquant la raison profonde qui l’a entraîné à s’intéresser aux avions dont la compagnie Southwest était en train de se débarrasser.
Car le problème du Hercules, c’est que trouver des cellules encore convertibles, donc de versions disposant d’un potentiel restant convenable, est mission quasi impossible, les opérateurs conservant leurs machines jusqu’au bout et les quelques appareils se trouvant sur le second marché trouvant preneur rapidement, souvent dans d’autres forces armées, à des tarifs que les entreprises privées ne peuvent pas envisager.
On peut donc penser que le FireHerc est un concept qui pourra séduire des nations, là où le combat contre les feux de forêt relève encore du droit régalien, ou bien quelques rares opérateurs privés particulièrement bien lotis pouvant jouer la carte de la polyvalence saisonnière pour leurs avions. Si on peut regretter que le FireHerc arrive un peu tard pour offrir un peu de concurrence pour le marché de la succession des Turbo-Firecat français (appel d’offre où, de toute façon, un quadri-turbine était exclu d’entrée), on peut imaginer qu’un tel avion pourrait très bien convenir à l’envie actuelle du Cal Fire de se doter de moyens aériens lourds propres ! Qui sait ?
Le LM-100J fait l’objet, aujourd’hui, d’une vingtaine d’exemplaires en commandes, fermes ou lettres d’intention d’achat, et Lockheed-Martin a un objectif affiché de 75 exemplaires. Le LM-100J FireHerc, projet parmi les plus ambitieux du moment, permettra-t-il d’atteindre ou de dépasser ce chiffre ? On peut en douter. Ce concept qui s’appuie pourtant sur une expérience technique et opérationnelle concrète risque d’être confronté à un marché où la réalité économique des opérateurs pourrait doucher bien des enthousiasmes. Il n’en reste pas moins un projet particulièrement attractif qu’on aimerait voir vraiment aboutir.