« Une guerre qui s’est perdue sans doute
Entre Biarritz et Knokke-le-Zoute,
C’est une statue sur la grand place.
Finalement la terreur,
Ce n’est qu’un vieux qui passe. »
Michel Sardou, Verdun, 1979
Peut-on oublier Verdun ?
Du 21 février au 19 décembre 1916, 300 000 morts, 400 000 blessés, une terre dévastée qui porte encore en elle les traces de ces combats et les cendres de centaines de combattants. On imagine mal ces affrontements faits de préparations d’artilleries et d’assauts vains, dévoreurs de vies. La boucherie au sens le plus strict du mot. Les survivants en étant parfois si marqués qu’ils ne pouvaient en parler, aucun mot n’étant assez fort. La terreur, ce n’était qu’un vieux qui passe. La terreur, elle était dans le souvenir des survivants.
Verdun est, sur un plan militaire, un tournant de l’histoire de la guerre contemporaine car Cette bataille marque le moment où les armées entrent véritablement dans le 20e siècle. Dans les différentes commémorations qui ont émaillé cette année souvenir, l’aviation, il faut bien le dire, a été la grande absente. Ce n’est pas totalement choquant si on compare les pertes des troupes au sol et les pertes des aviateurs sur ce secteur.
Rarissime vue de deux Nieuport en train d’escorter un appareil de reconnaissance. (Photo : Les Arts Décoratifs, Paris /Jean Tholance)
Pourtant, c’est à Verdun que l’aviation de guerre est véritablement née. Jusqu’alors, les aéroplanes avaient une fonction essentielle, aller voir de l’autre côté des lignes ennemies afin de faciliter les décisions stratégiques et les choix tactiques. Du coup lorsque cette guerre est devenue statique et coûteuse en vie humaines, il a fallut chasser ces espions aériens. Jusqu’en 1916, la chasse française était un système peu organisé, même si des unités avaient déjà commencé à se spécialiser avec une certaine efficacité. Mais la qualité de leur action relevait bien souvent de la dextérité individuelle et de l’instinct des aviateurs. Le temps du combat aérien singulier et solitaire se terminait alors, même si certains ont longtemps continué à le pratiquer, c’était désormais le temps des escadrilles, des tactiques de groupe, de la maîtrise du ciel. L’arme aérienne débutait alors une véritable mutation, une maturation dont l’aviation militaire moderne est aujourd’hui l’aboutissement.
Le Commandant de Rose a donc été chargé d’organiser la chasse pour rendre aveugle les troupes du Kaiser et pour cela il fallait des avions, des pilotes, des escadrilles. Il rassembla des unités spécialisées dans le secteur de la bataille terrestre et leur imposa une tactique collective exigeante, agressive ne laissant que peu d’opportunités aux appareils ennemis d’effectuer leurs missions d’observation. Et la tactique fonctionna. Comme l’avait demandé le Général Pétain, le ciel avait été balayé, l’adversaire était temporairement aveugle, mais les combats ne faisaient que débuter.
Charles de Rose à bord de son Nieuport en 1916. Après avoir offert à la chasse française ses premiers grands succès grâce à une tactique très agressive, il retourne en état-major. Il se tue accidentellement en mai près de Soissons. (Photo : Service Historique de la Défense)
Le Musée de l’Air propose à partir d’aujourd’hui une exposition temporaire consacrée à la Guerre Aérienne dans la bataille de Verdun. Dans un espace d’environ 400 m2 dont l’accès se fait par la Grande Galerie, l’ancienne aérogare temporairement et partiellement fermée en raison des importants travaux de réhabilitation qui s’y déroulent, environ 170 pièces originales et documents ont été rassemblés et organisés par les équipes du Musée afin de raconter et d’expliquer les enjeux de cette bataille dans les airs.
La pièce maîtresse de l’exposition est bien sûr le Nieuport XI, le chasseur, agile et rapide qui a permis aux ailes françaises de reprendre la suprématie du ciel aux monoplans Fokker au début de la bataille. Cet avion porte d’ailleurs les couleurs de la monture du Commandant de Rose.
Avec ses 480 kg en ordre de marche, son moteur de 80 ch et une vitesse de décrochage inférieure à 65 km/h, le Nieuport XI aurait presque pu entrer aujourd’hui dans la catégorie des ULM de classe 3 « Multi-Axes », à 7,5 kg près…
Autour du « Bébé » Nieuport, des vitrines présentent des uniformes authentiques, des armes, des obus mais aussi quelques documents exceptionnels comme le journal de marche et des opérations de l’escadrille N65 qui compta dans ses rangs Charles Nungesser à partir d’octobre 1915..
Le JMO de l’escadrille N65 prêté par le Service Historique de la Défense.
L’obsession du renseignement, la nécessité de l’observation des installations et de l’organisation adverse, est particulièrement mis en lumière dans cette exposition, ce qui reflète les véritables enjeux de cette bataille aérienne. Au centre de la pièce, une authentique carte du front, annotée avec une précision incroyable grâce aux observations des aviateurs, illustre parfaitement cette situation. Une frêle nacelle d’observateur d’un train de cerfs-volants, puisque les ballons et les avions n’étaient pas les seuls moyens employés, est d’ailleurs exposée à côté d’une maquette qui permet de comprendre en un coup d’œil la complexité de la mise en œuvre de ce système incroyable.
Canevas de Tir, Verdun, 29 Mars 1916. Extrait. Le document original, où les positions allemandes et les batteries d’artillerie sont reportées avec une grande précision, mesure 105 cm sur 75. (Document : Service Historique de la Défense)
D’autres thématiques sont ensuite abordées comme les bombardements aériens et leurs victimes civiles ou le coût humain de la bataille du ciel.
L’évocation des premiers bombardements stratégique se fait par les unes, explicites, de journaux français et allemands.
Verdun est aussi l’émergence de l’aviateur, de l’As, dans l’imaginaire populaire. Portés par la presse qui firent de certains des vedettes, les chasseurs commencèrent à prendre une place médiatique qu’ils conservent encore un peu de nos jours. Navarre fut un d’eux, avec un surnom qui positionne clairement son action : la sentinelle de Verdun. Mais les héros plus anonymes ne sont pas oubliés, ce sont eux qui, collectivement, par leurs actions, ont influencé le sort du combat;
Cette vitrine contient quelques exemplaires de tenues de vol. Il ne fait aucun doute, à les regarder, que le froid était le principal ennemi de l’aviateur.
Une dernière pièce, aussi authentique qu’extraordinaire vient clore ce parcours : une automobile Torpedo Sigma qui fut construite spécialement pour Georges Guynemer en 1916 et aujourd’hui conservée dans un très bel état par le Musée National de la Voiture de Compiègne. Bien sûr, on pourra toujours objecter que le jeune aviateur Guynemer ne vola pratiquement pas au-dessus de Verdun pendant la bataille, son heure de gloire intervenant un peu plus tard, mais 99 ans après sa disparition, il représente bien l’archétype du pilote de chasse légendaire, conscient de la fragilité de son existence et impitoyable en combat, un mythe fondateur né justement au-dessus de Verdun.
La Torpedo Sigma de Guynemer avec laquelle il écuma Paris et ses lieux de perdition en 1916.
Avec cette exposition, qui n’entre pas dans le système de gratuité des collections permanentes du musée, et pour cause puisqu’elle n’est que temporaire, le Musée de l’Air vient compléter l’ensemble des commémorations du centenaire de cette bataille historiquement fondamentale. La muséographie très contemporaine adoptée permet de passer un moment particulièrement instructif grâce à un choix de documents et d’objets originaux particulièrement pertinents.
A noter la parution aux Éditions Pierre de Taillac du livre « Verdun, la guerre aérienne » publié sous la direction de Gilles Aubagnac, chef du service des collections et Clémence Raynaud, conservateur du patrimoine, commissaires de l’exposition. Il reprend et développe les thématiques abordées et une grande partie des illustrations utilisées font partie de l’exposition temporaire.
Plus d’infos sur l’Aérobibliothèque
Attention, cette exposition n’entre pas dans la gratuité des collections permanentes du Musée de l’Air.
Verdun, la guerre aérienne.
Du 15 octobre 2016 au 29 janvier 2017 au Musée de l’Air et de l’Espace.
Visite libre : 7 €, tarif réduit 4 €.
Visite guidée (sur réservation) : 14 €, tarif réduit 11 €.