Orbis, du DC-10 au MD-10

Le DC-10 est devenu un avion bien rare. Plus de 45 ans après son entrée en service, il a été supplanté par d’autres machines plus performantes. Sa production s’est limitée à très exactement 446 exemplaires dont 60 KC-10 Extender de ravitaillement en vol commandés par l’USAF. Barré par le 747, il a été aussi été durement touché par une série d’accidents spectaculaires entre 1974 et 1979 qui ont entraîné un assèchement fatal des commandes.

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Le N10DC « Ship One » au cours des essais de vitesse minimale de décollage à Edwards AFB en 1971. (Photo : MDC via René J. Francillon)

Échec commercial pour son constructeur, le DC-10 fut néanmoins adulé plus tard par ses passagers et ses équipages. En France, il fut, bien sûr, l’avion emblématique de la compagnie UTA, chargé des voyages exotiques en  Afrique ou aux Antilles. Il vola aussi pour AOM et Aerolyon, des compagnies également synonymes de vacances et de soleil. Il n’est donc pas étonnant que les passagers ont gardé un bon souvenir de leurs vols. Mais n’oublions pas qu’un DC-10 d’UTA a malheureusement été pulvérisé en plein ciel, au dessus du Niger, par une bombe libyenne en 1989.

Parallèlement à son intense carrière de transporteur de passagers, le DC-10 a été un avion extrêmement apprécié pour le transport de fret, son fuselage large étant parfaitement adapté à cette mission. Évidement, il n’est pas possible non plus de ne pas évoquer les trois DC-10 de la compagnie 10 Tanker qui sont utilisés comme avions de lutte contre les feux de forêts aux USA et en Australie. En fait, la majeure partie de la carrière commerciale du DC-10 s’est déroulée sans histoire et aujourd’hui, le DC-10 ne fait donc plus vraiment les gros titres.

Pourtant, le DC-10 été à nouveau mis en lumière en Californie, il y a tout juste quelques jours, et son histoire est de celle que la grande histoire de l’aéronautique ne retiendra pas forcément, mais qui a pourtant changé la vie de milliers de personnes.

Le DC-10-10 aujourd’hui immatriculé N220AU est le deuxième DC-10 produit et porte le numéro constructeur 46501. Il fut initialement immatriculé N101AA car destiné à American Airlines. Il fait son premier vol en janvier 1971, quelques mois après le vol inaugural du premier appareil de la lignée, le MSN 46500 immatriculé N10DC et surnommé « Ship One ». Ce dernier n’était pas un prototype. C’était un avion destiné à être mis au standard commercial une fois les essais en vol achevés. Le deuxième avion produit, « Ship Two » était aussi destiné à rejoindre une compagnie, American Airlines comme son immatriculation l’indiquait. Il a donc été équipé d’entrée de tous les systèmes prévus dont celui permettant les atterrissages automatiques, stratégique pour l’exploitation commerciale du triréacteur. Ces essais débutent en mars 1971 et très vite, il s’avère que la mise au point du système « Autoland » risque de prendre plus de temps que prévu. Pour éviter aux livraisons de prendre du retard, Mc Donnell Douglas et American Airlines se mettent d’accord. La compagnie prendra livraison du « Ship One » et le « Ship Two » servira d’appareil d’essais.

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« Ship One » au cours d’un de ses premier vols d’essais au-dessus de la Californie. (Photo : MDC via René J. Francillon)

En décembre 1972, les deux appareils échangent donc leurs immatriculations. Le MSN 46500 « Ship One » devient donc le N101AA tandis que le MSN46501 « Ship Two » devient le nouveau N10DC et permet à McDonnell Douglas de poursuivre les essais en vol.

En juin 1977, cette tâche effectuée et remis au standard commercial, il est livré à la compagnie britannique Laker et immatriculé G-BELO. On le retrouve ensuite immatriculé N183AT pour ATA et en 1986, il retourne en Grande Bretagne comme G-GCAL pour Cal Air puis Novair. Lorsque cette compagnie cesse son activité en 1990, l’avion est stocké un temps avant d’être vendu pour $14 millions à Orbis International. Pour 15 millions de plus, l’avion est converti, dans l’Alabama, en hôpital ophtalmologique volant, une opération qui prend 18 mois. Dans cette nouvelle configuration, il effectue sa première mission en Chine en 1994.

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le N220AU d’Orbis, ancien « Ship Two ». (Photo : Orbis)

Orbis est une Organisation non gouvernementale à but non lucratif créée en 1982. Elle nait d’un constat simple ; dans de nombreux endroits, les personnels soignants n’ont souvent pas les moyens de s’offrir un billet d’avion pour venir se former aux techniques les plus avancées dans les universités du monde occidental. Parmi les problèmes recensés, les maladies ophtalmologiques qui peuvent parfois entraîner la cécité sont ceux qui nécessitent une grande technicité des personnels médicaux et souvent un matériel de pointe.

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Le DC-8 N220RB, premier hôpital ophtalmologique d’Orbis. (photo : Aeroprints.com)

Grâce à un financement initial venu des industriels du monde médical et aéronautique, Orbis équipe le Douglas DC-8-21 N220RB offert par United Airlines en hôpital ophtalmologique volant totalement opérationnel.

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Le DC-8 Orbis (en haut à gauche, derrière un Harbin SH-5) désormais exposé au musée national de l’aviation à Pékin. La Chine est un des pays régulièrement visités par Orbis.

En 1992, le DC-8 est donc remplacé par le DC-10 46501, ancien « Ship Two » et désormais immatriculé N220AU, beaucoup plus volumineux et offrant aussi de plus grandes capacités d’accueil et un confort accru. Ce changement d’appareil entraîne aussi une modernisation complète de l’ensemble du matériel médical disponible à bord.

Depuis 1982, Orbis a ainsi participé à la formation de 325 000 personnels soignants, notamment grâce au bloc opératoire qui fonctionne selon les principes d’un hôpital universitaire et qui dispose de tout le matériel nécessaire pour que les opérations les plus pointues puissent être suivies en direct depuis la salle de classe, d’où l’importance de la régie audiovisuelle existante à bord. 11 millions d’examens oculaires ont été ainsi effectués dans 92 pays afin de prévenir les bénéficiaires d’une  possible cécité en diagnostiquant à temps le glaucome, la cataracte, le trachome, la rétinopathie chez les enfants prématurés et le strabisme.

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En raison de son histoire, le N220UA était déjà un appareil assez peu fatigué. En 1999, il n’accusait que 36 000 heures de vol, à une époque où d’autres DC-10, construits bien après lui, avaient déjà dépassé les 100 000 heures de vol. En raison de son rôle si particulier, l’avion est loin de voler aussi intensément qu’en compagnie régulière. Orbis a annoncé qu’entre 1994 et 2016, au cours de ses 22 ans de service pour l’ONG, l’appareil a parcouru environ 1 500 000 km ce qui ne représente qu’environ 2000 heures de vol. Ses équipages sont des pilotes de lignes qualifiés sur DC-10, provenant généralement de Fedex, et qui viennent convoyer l’avion bénévolement lorsqu’un déplacement est prévu. Pourtant, dès le début de cette décennie, son remplacement avait commencé à faire parler de lui.

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Le DC-10 N220UA à Los Angeles International en juin 2016, prépositionné pour sa cérémonie de retrait de service. (Photo : A. Grondeau/Heading West)

En 2011, Fedex, grand utilisateur d’avions cargo, annonçait offrir à Orbis un de ses avions MD-10, en fait un DC-10 modernisé avec l’avionique contemporaine du MD-11. Il ne nécessite plus qu’un équipage de deux hommes au lieu de trois auparavant, le poste de Flight Engineer étant supprimé. La distance franchissable du MD-10-30 est de 10 000 km environ, contre 7000 les appareils de la série DC-10-10.

L’avion en question est le DC-10-30CF numéro de constructeur 46800, 96e appareil de ce type produit et livré en avril 1973 à Trans International Airlines en tant que N101TV. Avion cargo dès l’origine, il passe ensuite chez Transamerica en 1979 puis Air Florida en 1981, non sans avoir volé un temps pour Nigeria Airways. En 1983, il est de retour chez Transamerica avant d’être racheté par Fedex en 1984. Il change alors d’immatriculation pour devenir N301FE et il est converti au standard MD-10-30F. En 1999, cet avion avait déjà accumulé plus de 60 000 heures de vol.

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Le nouveau MD-10 d’Orbis à Victorville.

Offert donc à Orbis en 2011, il est immatriculé N330AU et le chantier de transformation est confié à Southern California Logistics à Victorville en Californie. La cérémonie d’adieux au premier DC-10 Orbis et l’inauguration du MD-10 a finalement lieu sur l’aéroport de Los Angeles International le 4 juin 2016.

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Le nouveau MD-10 d’Orbis au décollage à Victorville il y a quelques jours. (Photo : Orbis)

L’ensemble de l’équipement intérieur est particulièrement novateur car installé dans 9 conteneurs cargos aériens habituels mais largement modifiés afin de permettre une approche modulaire de l’aménagement qui pourra ainsi évoluer au fur et à mesure des besoins et des évolutions technologique du domaine.

L’agencement général est légèrement différent de celui de son prédécesseur car il comporte, de l’avant vers l’arrière d’une salle de classe/conférence de 46 places reliée aux différentes salles d’intervention ainsi qu’à la salle de stérilisation, d’une pièce dédiée au travail administratif de l’équipe, la régie audiovisuelle, puisque l’avion dispose de la capacité de filmer et diffuser les opérations en 3D, la salle d’examen et de soins au laser, une salle d’observation, le bloc opératoire, l’espace de stérilisation, la salle de réveil et de soins post-opératoires, l’espace de travail biomédical, le vestiaire des patients et du personnel médical. Chacune de ces salles est sponsorisée par différentes compagnies ou partenaires privés. Ainsi la salle de réveil porte le nom de Fedex et la salle d’examen et de soins au laser est désormais parrainée par la société de produits L’Occitane en Provence qui, par le biais de sa Fondation a fait de la lutte contre la cécité un de ses axes de recherche et décerne tous les deux ans, depuis 2013, l’Occitane Sight Award pour distinguer un médecin ophtalmologue et apporter un financement à ses travaux de recherche.

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Inauguration de la salle d’examen et de soin au laser du MD-10. (Photo : Orbis)

Dans le cadre de cette mise en service, le MD-10 Orbis effectue en juin 2016 une tournée aux USA afin que le grand public et les sponsors éventuels viennent découvrir cet outil moderne et participer ainsi à son financement. La première étape a donc été Sacramento, la capitale de l’État de Californie. Il sera ensuite présenté à New York, Washington DC, Memphis et à Dallas. La première mission est d’ors et déjà prévue en Chine au mois de septembre.

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Cindy Crawford présente la salle de réveil du nouvel hôpital volant, c’est un peu ironique quand on sait le nombre de « fractures de l’œil » (souvent chez les mâles) qu’elle a causé… et qu’elle cause encore ! Les ours en peluche, dont un stock important se trouve en permanence à bord, sont sponsorisés par OMEGA. (Photo : Orbis)

Avec son nouveau MD-10, Orbis franchit un cap technologique important. Les missions effectuées par cet hôpital volant ne seront jamais très médiatiques mais pour les patients qui auront, grâce à leur passage à bord de cet avion, été diagnostiqués à temps et soignés, nul doute qu’il restera un souvenir impérissable. C’est aussi un chapitre de plus dans l’histoire du triréacteur McDonnell Douglas, un avion à l’histoire tourmentée, souvent caricaturée à l’extrême et pourtant d’une très grande richesse.

 

Merci à René J. Francillon pour ses éclaircissements érudits sur l’histoire individuelle des deux premiers appareils produits ainsi qu’à Antoine Grondeau pour m’avoir autorisé à publier sa photo du DC-10 Orbis à LAX, point de départ de cet article.

Note : Orbis indique que leur DC-10 N220UA ex « Ship Two » sera confié au Pima Air & Space museum à Tucson, Arizona.