Au cours de l’été 2002, l’histoire des avions de lutte contre les feux de forêts aux USA prend une tournure tragique. Deux avions sont perdus en vol dans des circonstances glaçantes. C’est donc un véritable électrochoc qui touche l’administration américaine. Lorsque vint le temps des décisions, celles-ci furent claires, nettes, abruptes et définitives. Si certaines furent logiques, d’autres prêtent plus à polémiques. 15 ans plus tard, les conséquences de cet été tragique, ce cauchemar des pompiers du ciel US, sont encore extrêmement visibles et sensibles.
Aux USA, la gestion des territoires et espaces naturels incombe à différentes administrations, ce qui donne un maillage territorial particulièrement morcelé. La complexité du système de responsabilité est aggravé par les objectifs antagonistes qu’ont parfois ces administrations comme les affaires indiennes, l’aménagement du territoire, la gestion de la chasse et de la pêche, les services forestiers, l’armée ou les parcs nationaux, sans oublier les administrations locales, états, comtés ou municipalités. Chacune de ces administrations dispose de la possibilité d’employer des aéronefs de lutte anti-incendie, en propre ou sous contrat, pour protéger les territoires dont elles ont la charge. Mais pour offrir une vraie protection aérienne aux administrations les plus pauvres ou qui ont fait le choix de s’en remettre à Washington, l’état Fédéral loue les Tankers les plus volumineux par l’intermédiaire de l’US Forest Service, dépendant du ministère de l’agriculture. Ces appareils sont généralement sous contrat pour plusieurs saisons, à des tarifs attractifs, ce qui fait que les contrats fédéraux sont les plus recherchés par les opérateurs de bombardiers d’eau US.
En 1970, la flotte fédérale d’avions sous contrat avec l’US Forest Service comptait 57 avions, parmi lesquels on trouvait encore des B-17 et des C-119, appareils qui furent retirés dans le courant de cette décennie-là et au cours de la suivante. La succession de ces appareils fut assurée par des P-3 et des C-130A à partir du début des années 90.
En 2002 cette flotte à vocation nationale comptait encore 44 appareils, 6 C-130A, 5 PB4Y Privateer, une douzaine de DC-4, 3 DC-7, un DC-6, quelques P-3 Orion et des P-2 Neptune de différentes versions dont 3 Firestar. Ces avions avaient des capacités allant d’environ 7000 litres pour les Neptune à 12 000 pour les quadrimoteurs.
17 juin 2002.
A l’ouest de la Californie, près de la ville de Walker, un feu a éclaté. Depuis quelques heures, le C-130A Hercules Tanker 130 de la compagnie Hawkins & Powers, en service pour l’US Forest Service, effectue des rotations entre le feu et l’aérodrome de Minden, à une soixantaine de km de là, pour remplir et larguer autour du feu sa charge de 12 tonnes de retardant. A son bord, Steve Wass, Craig LaBare et Mike Davis.
Il décolle à 14h29 locale pour son sixième largage avec une pleine charge de retardant. A 14h45, alors qu’il termine un largage en deux temps, à très basse altitude et devant les témoins abasourdis, l’avion s’écrase. Une équipe de télévision locale couvrait l’évènement et a filmé l’accident dont les images font immédiatement le tour du monde. On y voit distinctement l’aile se briser en son milieu.
Devant ce drame, le Forest Service n’a pas le choix, tous les C-130A alors sous contrat sont cloués immédiatement au sol.
18 juillet 2002
A peine plus d’un mois plus tard un PB4Y Privateer de la même compagnie Hawkins & Powers, le Tanker 123, également en contrat avec l’USFS, est engagé contre un feu qui ravage les collines autour de la ville d’Estes Park dans le Colorado à partir de l’aéroport Jefferson County (Jeffco) près de Broomfield, CO.
Vers 18h40, heure locale, alors qu’il s’apprête à effectuer son huitième largage de la journée et qu’il débute son approche par un virage à gauche à 15 ou 20° d’inclinaison, l’aile gauche s’arrache et l’avion plonge vers le sol en s’embrasant, ne laissant aucune chance d’en réchapper à son équipage de deux hommes, Rick Schwartz et Milt Stollak.
Les quatre PB4Y survivants rejoignent alors leur base de GreyBull dans le Wyoming pour être immobilisés en attendant les résultats de l’enquête.
La fin de saison se fait donc sans l’aide de ces deux types d’avions mais l’inquiétude règne parmi les équipages concernés. Le fait que l’accident du C-130 soit filmé et diffusé à l’envi sur toutes les télés du monde entier pèse extrêmement lourd dans la balance. Aujourd’hui encore, dès qu’il est question de Hercules sur feux, ce sont ces images, choquantes, inoubliables, dramatiques mais spécifiques qui viennent à l’esprit et peu importent les raisons exactes de l’accident, le discrédit est jeté sur le Hercules.
A ceci s’ajoute aussi le souvenir des différents procès et procédures judiciaires, dont certaines étaient alors encore en cours, qui ont suivi l’accord établi entre les armées, le Forest Service et les sous-traitants contractuels pour permettre l’attribution des Hercules en surplus à des conditions très favorables pour leurs exploitants, ce qui a entraîné un scandale national majeur.
Deux enquêtes sont diligentés par le NTSB et ce que découvrent alors les enquêteurs fait froid dans le dos.
Un Service Bulletin (82-557) de février 1985 recommandait de supprimer certains renforts des surfaces inférieures de la section centrale de l’aile sur les C-130B et E car « ils étaient une source potentielle de formation de points de fatigue ». Or, les C-130A n’étaient pas concernés car Lockheed n’assurait plus le suivi de ces versions anciennes du Hercules et le SB édité ne s’appliquait donc pas, règlementairement, à eux.
L’analyse de l’épave du Tanker 130 montrait pourtant clairement que la rupture de l’aile était la conséquence directe de l’apparition de criques à la surface de l’aile, certaines longues de plusieurs centimètres, partant de trous de rivetage de la « wing box », au niveau des longerons 16 et 17. Ces fissures importantes étaient la conséquence directe du caractère difficile des missions de lutte contre les feux, menés à basse altitude, souvent dans les turbulences, où les facteurs de charge peuvent être importants et répétitifs.
Cependant, les criques auraient pu être découvertes facilement en utilisant des « méthodes d’inspection non destructives » en particulier par radiographie capable de détecter des fissures à partir de 0.50 (12,7 mm) ou de 0.75 pouces (19,05mm), sachant que certaines atteignaient 12 pouces (30,48 cm) ! Une fois ces criques détectées, des remèdes étaient possible à commencer par le remplacement des parties fragilisées. Certes, ces opérations ont un coût, mais les performances des Hercules semblaient le mériter. Au pire, les avions les plus endommagés auraient pu être retirés du service à temps. Le rapport d’accident de la FAA pointait aussi le fait que la maintenance des avions de H&P était effectuée sans tenir compte des contraintes structurelles plus importantes que subissaient ces avions dans leurs missions actuelles par rapport à leur usage militaire courant. Les inspections auraient dû être 12 fois plus fréquentes que recommandé.
Des inspections confirmèrent l’apparition de ces criques sur les autres appareils de la compagnie. Dans la foulée, l’enquêteur du NTSB George Petterson décida de réouvrir le dossier d’un précédent accident d’un C-130A de lutte contre les feux de forêt, le Tanker 82 tombé dans le sud de la Californie en 1994. En finançant lui même des recherches sur les lieux de l’accident et des analyses de débris, il parvint à la conclusion que l’accident de cet avion était déjà dû à la fatigue structurelle de l’appareil. Si l’enquête avait été mieux menée à l’origine, le drame du Tanker 130 aurait sans doute été évité. M. Petterson sera officiellement récompensé pour cette conscience professionnelle en 2014 par l’attribution du Walt Darran International Fire Fighting Award.
L’enquête sur le Privateer 123 statuait également à un immense problème de maintenance. En service avec H&P depuis 1969, l’avion avait accumulé environ 8000 heures de vol depuis. C’est à la jonction aile-fuselage qu’une crique de fatigue, d’une longueur de 53 cm, s’était propagée à partir d’un trou de rivetage et s’était étendue jusqu’au longeron. Cette fissure n’était pas détectable à l’œil nu en raison de la présence des réservoirs de retardant à l’intérieur du fuselage. Le rapport du NTSB tira donc la conclusion que les procédures de maintenance n’était pas adaptées.
Pendant ce temps, de son côté, l’USFS organisait un audit profond de ses opérations sous l’égide d’un « Blue Ribbon Panel » (un panel ruban bleu), un audit de très haut niveau composé d’experts devant se prononcer avec la plus grande objectivité et indépendance. Le rapport final est publié en décembre 2002 et parmi les idées du comité d’experts, on trouve le remplacement des avions alors en service par des appareils plus récents, en particulier par des P-3B Orion et des Hercules de types B, E voire H. En parallèle, l’USFS annonce officiellement que les 11 avions (4 Privateer, 7 Hercules) cloués au sol après les accidents sont radiés des listes des candidats éligibles aux contrats fédéraux. Pour les compagnies ayant fait le choix du C-130A au début de la décennie précédente, le coup est rude.
Pour la saison 2003 qui se présentait alors, la flotte fédérale pouvait encore compter sur 33 Tankers lourds, Neptune et Firestar, Douglas DC-4, DC-6 et P-3A Orion. Elle se déroula toutefois sans problème majeur jusqu’au 3 octobre lorsqu’au cours d’un convoyage entre Prescott (AZ) et San Bernardino (CA), le Neptune Tanker 99 de Minden s’écrasa près de East Highlands CA, après être entré dans un nuage à basse altitude, tuant Carl Dobeare et John Attardo, son équipage. Un cas classique de désorientation spatiale et un avion sans doute perdu pour être entré dans la couche au mauvais endroit.
Au cours de l’hiver suivant, les activités de maintenance annuelles suivirent leurs cours pendant que les équipages pouvaient goûter à un repos bien mérité, jusqu’au début du printemps, période à laquelle les training commencent afin de revalider les qualifications. La saison 2004 devait être une saison comme les autres, il n’en sera rien.